[CRITIQUE] : Tirailleurs

[CRITIQUE] : Tirailleurs

© Marie-Clémence David © 2022 - UNITÉ - KOROKORO - GAUMONT - FRANCE 3 CINÉMA - MILLE SOLEILS - SYPOSSIBLE AFRICA

Réalisateur : Matthieu Valepied
Acteurs : Omar Sy, Alassene Diong, Jonas Bloquet,...
Distributeur : Gaumont
Budget : -
Genre : Drame, Historique, Guerre.
Nationalité : Français, Sénégalais.
Durée : 1h49min
Synopsis :
Le film est présenté en ouverture dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2022.
1917. Bakary Diallo s'enrôle dans l'armée française pour rejoindre Thierno, son fils de 17 ans, qui a été recruté de force. Envoyés sur le front, père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble. Galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au cœur de la bataille, Thierno va s'affranchir et apprendre à devenir un homme, tandis que Bakary va tout faire pour l'arracher aux combats et le ramener sain et sauf.

Critique :

Regard modéré et (très) nuancé,#Tirailleurs joue la carte de la catharsis de l'effort de guerre et de l'hommage aux soldats africains ayant donnés leur vie pour la liberté dans un drame sondant les aspirations divergentes entre un père et son fils, bien campés par le duo Sy/Diong pic.twitter.com/Q3JfODtENh

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 5, 2022


Autant s'il est indéniable que l'on puisse un tant soit peu critiquer la forme, le fond du message que veut délivrer Matthieu Valepied pour son second effort, Tirailleurs - tout est dans le titre -, est on ne peut plus louable et nécessaire (tant ce type de piqûres sont certes familières, mais toujours aussi importantes) : concocter un nouveau long-métrage qui rendrait hommage au sacrifice des africains pendant la Grande Guerre et témoignerait de l'arrogance avec laquelle les français arrachaient de leurs familles, de leur vie, les jeunes - et moins jeunes - hommes de leurs colonies pour les envoyer servir de chair à canon dans les tranchées d'un conflit qui n'était même pas le leur, de près comme de loin.
Une sorte de cousin éloigné au déjà formidable Indigènes de Rachid Bouchareb, même si l'idée d'un tel projet était venu à l'esprit du cinéaste bien avant, via un article publié dans Le Monde en 1998 et faisant état de l'histoire tragique du dernier vétéran africain de la Première Guerre mondiale, décédé quelques jours seulement avant de recevoir la Légion d'honneur, pas moins soixante-dix ans après le conflit...

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© Marie-Clémence David © 2022 - UNITÉ - KOROKORO - GAUMONT - FRANCE 3 CINÉMA - MILLE SOLEILS - SYPOSSIBLE AFRICA


Le cinéaste juxtapose alors à cette tragédie humaine celle plus intime d'un conflit entre un père, Bakary, qui ne permet pas que son fils Thierno, soit enrôlé seul pour être envoyé au massacre sur le vieux continent, dans l'horreur des tranchées - ici la bataille de Verdun -, un enfer sans fin dont les protagonistes ne sortiront jamais, celle d'une guerre de position sanglante et sans merci que le cinéma nous a plus d'une fois racontée, même de manière aussi sanglante et brutale.
Mais si le territoire est sensiblement rebattu à l'écran, difficile de ne pas reconnaître en revanche que le cinéaste - qui a fait ses gammes auprès de Raymond Depardon - sait clairement donner du corps aux images, concoctant une ballet sensoriel où la mort - tout comme la méchanceté et la noirceur de l'âme humaine - est partout, animant d'autant plus la dynamique familial en son coeur, même si elle s'avère bien trop schématique pour totalement emporter l'adhésion.
Une fois arrivé en France, Thierno est (très) facilement séduit par la fière affirmation du lieutenant Chamberau, qui le remarque aussitôt en le faisant monter en grade, laissant s'immiscer dans son esprit l'idée qu'il peut être plus qu'une pièce rapportée et sacrifiable pour un pays pour lequel il a " servi ".
Un choix qui est à l'opposé - évidemment - de ce que son père attend de lui, rêvant toujours de revenir au Sénégal via tous les sens et échappatoires possibles, même si cela l'amène ironiquement - mais tout aussi tragiquement - à payer des passeurs et autres marchands d'esclaves.
L'un veut rentrer et l'autre non, et c'est ce conflit irrémédiable qui devient le coeur du récit, savamment agrémenté d'une inversion des rôles lorsque le jeune homme devient le " supérieur " de son aîné, lui donnant des ordres tout en revendiquant son statut d'adulte.

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© Marie-Clémence David © 2022 - UNITÉ - KOROKORO - GAUMONT - FRANCE 3 CINÉMA - MILLE SOLEILS - SYPOSSIBLE AFRICA

Et c'est à la fois la grande force et la plus grande faiblesse du film, privilégier le liant dramatico-familial des aspirations divergentes entre un père et son fils, au détriment de ceux qui nourrissent le message originel du projet, et une nouvelle fois rappelé à l'arrivée de son générique de fin : l'opposition entre une France violente et une Afrique qui sert de bétail sacrifiable et mutilable pour nourrir ses conflits, et le manque de reconnaissance et de gratitude que les premiers peinent - encore aujourd'hui - à allouer aux seconds.
Plutôt que de plonger le couteau dans la plaie d'un passé colonial auquel se fait écho un présent où le racisme est de plus en plus présent, Tirailleurs joue la carte de la catharsis de l'effort de guerre et de l'hommage - sincère et nécessaire - aux soldats africains ayant donnés leur vie pour la liberté, sans jamais trop égratigner le cuir d'un pays dont les erreurs conscientes sont toujours poliment balayés sous le tapis.
Un regard modéré et (très) nuancé donc qui n'entâche pas totalement l'appréciation du film (et qui aurait peut-être mérité une vision plus consciente de ses conflits, avec un cinéaste directement engagé par ces questionnements, comme Bouchareb ou Spike Lee avec Da 5 Bloods), pas même son rythme parfois en dents de scie, totalement relevé par la partition dévoué du tandem Omar Sy/Alassene Diong.

Jonathan Chevrier

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