[CRITIQUE] : Frère et Soeur

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Arnaud Desplechin
Acteurs : Marion Cotillard, Melvil Poupaud, Golshifteh Farahani, Benjamin Siksou, Patrick Timsit,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h48min
Synopsis :
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2022.
Un frère et une sœur à l’orée de la cinquantaine… Alice est actrice, Louis fut professeur et poète. Alice hait son frère depuis plus de vingt ans. Ils ne se sont pas vus depuis tout ce temps – quand Louis croisait la sœur par hasard dans la rue, celle-ci ne le saluait pas et fuyait… Le frère et la sœur vont être amenés à se revoir lors du décès de leurs parents.


Critique :

Laissant au stade de fondation toute construction émotionnelle dans sa plongée au coeur d'une animosité entre 2 pôles égocentriques qui vampirisent l'attention, #FrereEtSoeur se fait un mélodrame tragi-comico-familial décevant privilégiant bien trop la théâtralité à la subtilité. pic.twitter.com/hVtpRTUGGW

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 21, 2022

Il y avait jadis quelque chose de réconfortant dans l'idée familière de retrouver les mêmes thèmes où presque librement egrainés/recyclés par Arnaud Desplechin à chacune de ses nouvelles réalisations, ce petit côté rassurant de savoir où l'on va, comme une contine dont on ne connait pas forcément les paroles, mais dont la mélodie nous trotte toujours gentiment dans la tête.
Mais c'était avant de découvrir la menue déception qu'incarne son dernier effort en date, Frère et Soeur, catapulté en Compétition Officielle sur la dernière Croisette, sorte de fusion peu inspirée de deux de ses plus beaux efforts, Rois et Reine (à qui il reprend sa structure fragmentée) et Un Conte de Noël, incarnant à la fois le meilleur comme le plus irritant du cinéma du cinéaste.
Cruel paradoxe de se dire que le plus grand défaut de ce Desplechin cuvée 2022, est justement ce qui fait le sel ailleurs du timbre si particulier de son oeuvre, peut-être parce que le prisme qu'il choisit ici pour décortiquer les maux qui gangrènent un clan gentiment bourgeois - et plus directement deux de ses enfants - n'est pas forcément celui attendu voire le plus captivant, même s'il réserve plusieurs belles séquences.

Copyright Shanna Besson - Why Not Productions


Dans une atmosphère austère et glaciale propice à l'implosion des âmes et à l'explosion des rancoeurs, il narre la relation toxique entre Alice, une actrice populaire et son frère Louis, un écrivain dont les aternoiements familiaux nourrissent la plume primée, s'intéressant bien plus au comment de cette dynamique de dégoût aigu plus qu'au pourquoi bien plus fascinant, à la racine de cette haine familiale dont les expressions sont théâtralisées presque à outrance et jusqu'à l'absurde.
Un jeu du chat et de la souris qui n'attend que ses instants de collision pour distiller un tant soit peu de vie.
Et de vie il est question pourtant dans ce quatorzième long-métrage du cinéaste, et d'inéluctabilité surtout tant la mort menace continuellement les Vuyard (un enfant pour Louis, leurs parents après un accident pas si éloigné de Destination Finale 2 - on exagère à peine), même de manière inconsciente (la pièce que doit jouer Alice s'appelle... The Dead), celle-ci allant même à les forcer à renouer des liens qu'ils préféreraient enterrés.
Mais rien ne se passe jamais vraiment, comme si même dès son écriture, le cinéaste - aidé par la scénariste Julie Peyr - admettait ne pas pouvoir donner de réponse si ce n'est engageante, au moins un tant soit peu consistante sur la haine qui, lentement, se fait le cancer volcanique de deux êtres unis par les liens du sang et un penchant pour l'automutilation (ils luttent de manière différente contre la dépression : l'opium pour lui, les antidépresseurs pour elle) mais séparés par la jalousie et une rage vicieuse.

Copyright Shanna Besson - Why Not Productions


Laissant au stade de fondation toute construction émotionnelle dans sa mise en abîme d'une animosité entre deux pôles égocentriques qui vampirisent toute l'attention au point de considérer - tout comme la narration - leurs proches uniquement comme des oreilles attentives où des yeux adorateurs de leur propre gloire; Frère et Soeur irrite et laisse sensiblement de marbre dans son refus presque sadique de ne donner que peu de réponses à ses nombreuses questions, là où il laisse pourtant pointer parfois une vraie richesse romanesque qu'épouse les partitions emballantes de Marion Cotillard (profondément touchante lorsque son contrôle hautain cède sous le poids authentique du chagrin) et Melvil Poupaud (qui laisse exploser des émotions brutes et électriques, rappelant parfois celle d'Adam Driver dans Marriage Story).
Pour son nouveau mélodrame tragi-comico-familial, Desplechin privilégie la théâtralité à la subtilité, le flou - parfois - désagréable à l'énergie vibrante.
Certains seront séduits tandis que d'autres resteront sur le carreau où seront intimement coincé le popotin entre deux sièges - comme nous -, et ce n'est pas sa résolution à la fois apaisante pour les personnages mais un brin risible, qui viendra peser de façon décisive dans l'arbitrage finale...
Jonathan Chevrier