[CRITIQUE] : Nos âmes d’enfants

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Mike Mills
Avec : Joaquin Phoenix, Gaby Hoffmann, Woody Norman, Scoot McNairy, …
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Américain
Durée : 1h48min
Synopsis :
Journaliste radio, Johnny interroge des jeunes à travers le pays sur leur vision du futur. Une crise familiale vient soudain bouleverser sa vie : sa sœur, dont il n’est pas très proche, lui demande de s’occuper de son fils, Jesse. Johnny accepte de le faire mais n’a aucune expérience de l'éducation d'un enfant. Entre les deux débute pourtant une relation faite de quotidien, d’angoisses, d’espoirs et de partage qui changera leur vision du monde.

Critique :

Intemporel, mélancolique et donnant tout du long la parole aux enfants, #NosAmesdEnfants se sert de son récit pour développer une histoire plus dense sur la jeunesse, leurs attentes, leur question et leur besoin de s’exprimer pour contrer l’angoisse du futur. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/9PFWKyLv5g

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) January 16, 2022

Cinq ans après son troisième long métrage, Mike Mills revient sur nos écrans avec Nos âmes d’enfants (C’mon C’mon de son petit nom anglais), avec en vedette Joaquin Phoenix. Alors que 20th Century Women pouvait se voir comme un véritable hommage aux femmes en général et aux mères en particulier (le cinéaste a confié s’être inspiré de sa propre mère), ce nouveau film donne la parole aux enfants et offre une transition poétique vers cette nouvelle génération, qui porte le futur dans leur mains.

Copyright Metropolitan FilmExport

Un micro, un enregistreur et des questions. C’est tout ce qu’emporte Johnny, un journaliste radio, à travers les États-Unis pour son nouveau projet : interroger des enfants et des adolescents sur l’avenir. Mais un appel vient bouleverser son emploi du temps. Sa sœur, Viv (Gaby Hoffmann), a besoin de lui. Johnny doit venir garder son neveu de neuf ans, Jesse (Woody Norman), qu’il n’a pas beaucoup vu depuis que Viv et lui sont en froid. Ces quelques jours seront une sorte de parenthèse entre l’oncle et le neveu, l’occasion de se découvrir et surtout d’aborder des sujets difficiles pour en ressortir grandi, d’un côté comme de l’autre.
On ne compte plus les films où un homme doit s’occuper quelques jours, seul, d’un enfant, pour comprendre quelque chose de lui. Des récits plein de bons sentiments, où le personnage doit apprendre à être un père (ou un substitut) sur le tas. La relation devient alors le miroir des émotions et le personnage de l’enfant, juste un prétexte. Mike Mills, au contraire, veut mettre en avant Jesse et les enfants dans leur globalité. Il n’est pas question pour Johnny de devenir un père ou d’apprendre correctement à s’occuper d’un enfant, mais plutôt de voir son neveu dans toute sa complexité et ses interrogations et l’accompagner tandis qu’il se construit. Le choix du noir et blanc s’impose de lui-même dans la mise en scène qu’il nous propose. Une image peu contrastée, s’intéressant autant aux humains qu’aux villes où le récit s’installe, dans une atmosphère presque éthérée. Si le film se veut très réaliste, sa construction le rend presque intemporel, comme un tableau de peinture qui ne perdrait jamais de sa pertinence. Nos âmes d’enfants fait plus que raconter le quotidien de Johnny et Jesse, il interroge véritablement des enfants américains, au quatre coins du pays. Les villes ont été choisies avec soin : New York pour son immigration et l’illusion que la ville entretient, Détroit, la ville fantôme et la Nouvelle-Orléans, blessée dans sa chair depuis l’ouragan. Joaquin Phoenix, accompagné de Molly Webster, la correspondante principale de l’émission de radio Radio Lab, a effectué les entretiens que l’on voit et que l’on entend tout le long du film. Le récit est bercé par la voix de ces enfants, qui s’interrogent sur leur avenir, celui de leur ville et/ou de la planète toute entière.

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Le son devient un élément important du film, grâce aux entretiens et à la passion que se découvre Jesse pour le métier de son oncle. Il s’approprie bien vite le micro et l’enregistreur et se balade dans New-York ou La Nouvelle-Orléans en écoutant les sons spécifiques des villes. C’est par ce vecteur que l’émotion se développe. La musique, composée par Bryce et Aaron Dessner, est alors délicieusement minimaliste, pour ne pas venir ternir ce qui se transmet par la parole, captée par le micro. Par ce biais, le film a tous les outils pour aborder différents thèmes : la passation entre générations, la normalité, l’identité, le milieu social et surtout le rôle des parents. Même si le personnage de Viv est effacé, elle n’en reste pas moins essentielle dans le récit que nous conte Mike Mills. Nos âmes d’enfants se forme également autour de citations d’essais sur la maternité, qui viennent s’inscrire directement sur l’image. On peut y entendre alors un passage du livre de Jacqueline Rose, Mothers : an essay on cruelty and love : « Les mères sont le bouc émissaire ultime de nos échecs personnels et politique, de tout ce qui ne va pas dans le monde et qu’il leur revient — de façon irréalisable, bien sûr — de réparer ». Le film s’emploie à montrer, d’une façon nuancée, le rôle de la mère dans la famille nucléaire et de le décortiquer jusqu’à son noyau. Une façon de se débarrasser des clichés et des attentes (toujours trop grandes) autour de celles-ci et de les déplacer sur la famille toute entière.
Nos âmes d’enfants se sert de son récit pour développer une histoire plus dense sur la jeunesse, leurs attentes, leur question et leur besoin de s’exprimer pour contrer l’angoisse du futur. La mélancolie qui se dégage de la mise en scène ouvre une fenêtre vers un questionnement plus poussé sur nos perceptions des nouvelles générations et nous oblige à les prendre au sérieux.
Laura Enjolvy