[CRITIQUE] : Ouistreham

[CRITIQUE] : Ouistreham
Réalisateur : Emmanuel Carrère
Acteurs : Juliette Binoche, Hélène Lambert, Léa Carne,...
Budget : -
Distributeur : Memento Distribution
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h46min
Synopsis :
Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s’installe près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage. Confrontée à la fragilité économique et à l’invisibilité sociale, elle découvre aussi l’entraide et la solidarité qui unissent ces travailleuses de l’ombre.

Critique :

Film miroir sur la société contemporaine autant que sur le processus créatif, soulignant avec sincérité la précarité de la classe ouvrière, #Ouistreham, pas dénué de quelques défauts, n'en est pas moins un drame social et humain édifiant, qui ne tombe jamais dans le misérabilisme pic.twitter.com/SzWb85NZh4

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) January 10, 2022

Si les interprétations, même dramatiques, de la merveilleuse Juliette Binoche ont toujours été emprunt d'un enthousiasme rare, jamais il a pris une dimension plus active et politique qu'au coeur du nouveau long-métrage d'Emmanuel Carrère (de retour seize ans apres l'excellent La Moustache) Ouistreham, une adaptation du roman non-fictionnel Le Quai de Ouistreham de la journaliste Florence Aubenas.
La comédienne y incarne Marianne, une écrivaine qui a décidé de vivre la précarité et le pire du marché du travail hexagonale dans sa chair, afin de le mettre sur papier avec une exactitude sans pareil.
Concrètement, elle quitte les confins sûrs de sa bulle bourgeoise et s'immisce dans le monde du nettoyage aux contrats de travail plus inhumains qu'autre chose, en ce rendant jusqu'à Ouistreham, explicitement présenté comme un enfer sur Terre : heures pénibles, exigences excessives, humiliations, mépris ou encore salaires médiocres.

[CRITIQUE] : Ouistreham

Copyright Christine Tamalet


Articulé autour du concept de l'imposteur, qui a irrigué l'oeuvre de Carrère au fil du temps, Ouistreham (dont on préférera clairement son titre anglo-saxon qui le définit parfaitement : Between Two Worlds), se fait la confrontation entre un regard documentaire - donc le réel - et la fiction - l'art -, la précarité de la France d'en bas et le confort bourgeois dans un récit d'imposture profondément méta dont la mise en abyme à plusieurs niveaux (Binoche joue une écrivaine qui joue elle-même un rôle pour nourrir sa future création, un procédé qui pourrait même l'amener à porter une vraie réflexion sur ) permet aux vérités à la fois aimables et cruelles, de doublement coexister dans une tension joliment inconfortable.
Film miroir sur la société contemporaine autant que sur le processus créatif - dont il questionne la moralité ambiguë -, soulignant avec sincérité la précarité de la classe ouvrière (engoncés dans des travails fastidieux, répétitifs et même inhumains, pour tenter de joindre les deux bouts d'une vie de plus en plus coûteuse), autant qu'il est plombé par ses propres oripeaux fonctionnels (un scénario pas toujours subtil en tête); Ouistreham, édifiant et effrayant de vérité à la fois sans jamais tomber dans le misérabilisme facile, tire sa justesse et son humanité de la prestation fantastique de Juliette Binoche (qui capture toute la complexité de son personnage) et d'Hélène Lambert (une actrice non-professionnelle absolument renversante).
Jonathan Chevrier
[CRITIQUE] : Ouistreham