[CRITIQUE] : Las Niñas

[CRITIQUE] : Las Niñas
Réalisatrice : Pilar Palomera
Avec : Andrea Fandos, Zoé Arnao, Natalia de Molina, Julia Sierra,...
Distributeur : Epicentre Films
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Espagnol
Durée : 1h40min
Synopsis :
1992. Celia est une jeune fille de 11 ans qui vit avec sa mère à Saragosse et étudie dans un collège pour filles dirigé par des bonnes sœurs. Brisa, une nouvelle camarade arrivant de Barcelone, l’entraîne vers une nouvelle étape de sa vie : l’adolescence.
Critique :

Avec #LasNiñas, Pilar Palomero captive mais n’arrive pas à se défaire d’un récit de prise de conscience déjà vu mainte fois, livrant un film certes émouvant mais trop classique pour se démarquer les autres efforts récents basés sur l’émancipation féminine. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/3ghxL1Uxy8

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 24, 2021

Veste en jean bariolée, rouge à lèvre cerise, regard intense, … L’affiche du premier long métrage de Pilar Palomero, Las Niñas, nous montre des adolescentes sur le point de se rebeller. Adossées à une voiture, leur posture offre un contrepoint avec leur tenue, un uniforme d’écolière stricte : jupe longue en coton, chaussettes blanches montantes et chemise bien repassée.
La cinéaste espagnol pose sa caméra à Saragosse, en 1992. Une date loin d’être anodine, le pays étant à ce moment-là dans une euphorie suscitée par Les Jeux Olympiques de Barcelone et l’Exposition de Séville. Pourtant, Las Niñas ne porte pas cette joie dans son récit, au contraire. Filmé à hauteur de ces “filles” (traduction littérale de “niñas”), en pleine transition vers l’adolescence, le film s’attarde sur l’éducation religieuse rigoriste inculquée aux jeunes filles. La sexualité n’est qu’une affaire de mariage et de procréation nous informe un de leur cours, mené par Madre Consuelo. Celia, timide jeune fille, suit ces préceptes sans se poser de question. Jusqu’à l’arrivée de Brisa (au prénom plus qu’à propos), qui viendra perturber sa vie bien rangée.

[CRITIQUE] : Las Niñas

©Epicentre Films


Le film s’ouvre sur une chorale particulière. Les écolières chantent sans musique et surtout sans voix. Elles miment les paroles, articulent les mots, mais aucun son ne sort de leur bouche. C’est une technique que leur apprend la Mère responsable de la chorale. Certaines chanteuses n’auront pas le droit d’utiliser leur voix durant la chanson et devront chanter en play-back, sans que cela ne se ressente. Celia fait partie de celles devant mimer les paroles. Sa voix n’existe pas et quand elle ouvre la bouche, c’est pour utiliser une voix commune, une voix unique. La métaphore n’est pas bien compliquée à comprendre : ces jeunes filles ne sont pas encouragées à faire des vagues. Mais c’est sans compter le raz-de-marée qu’amène l’adolescence. Les hormones, le changement du corps, l’envie de se rebeller contre le monde entier ne font pas le poids comparé à leur quotidien plutôt morne.
Ce qu’on peut reprocher aisément à Pilar Palomero, c’est le peu d’originalité de sa mise en scène pour raconter l’histoire d’une rébellion adolescente dans un univers strict. Le récit, pas bien original, met en exergue la rigidité du collège religieux par une ambiance plus exaltante entre camarades, dans l’intimité d’une chambre ou, rébellion ultime, dans une boîte de nuit. La caméra s’attache au mimétisme de Celia sur ses amies beaucoup plus libres avec leur corps et leurs vêtements. Elle s’amuse à raccourcir son t-shirt et “fumer” un stylo. Elle demande à sa mère une veste en jean et des tops pour suivre la mode du moment. Las Niñas se construit autour des limites à dépasser pour ces jeunes filles, en quête d’un monde plus vaste. Cela commence par du rouge à lèvre, rouge sang, couleur connotée de la sexualité. Puis par des sorties en boîte, une virée en moto avec un garçon, un jeu d’alcool. Mais l’amitié qui tenait ces six jeunes filles se délite quand la jalousie et les rumeurs ternissent les liens. Parce que la liberté n’était que factice, la norme régit encore leur monde et leur éducation malgré tout.

[CRITIQUE] : Las Niñas

©Epicentre Films


C’est dans ce récit un peu plus nuancé que Las Niñas se montre intéressant. Celia grandit dans une famille mono-parentale, enfoncée dans les non-dits. Sa mère se démène pour subvenir à leur besoin. Le père est absent, parti ou mort. Le silence autour de cette famille va briser la confiance de la jeune fille et lui faire prendre conscience que malgré son envie de faire partie d’un groupe, elle sera toujours “hors-norme”. On ne saura jamais pourquoi Celia n’a pas de père, mais la cinéaste nous montre le déchirement d’une famille toute entière (sa mère a coupé les ponts avec ses parents) autour d’une grossesse hors mariage. Et parce que ses parents n’ont pas respecté la norme du mariage et de la vie de famille traditionnelle, Celia sera une paria dans une société rigide et sexiste.
Las Niñas se forme autour de contradictions : un pays qui se construit dans un renouveau mais qui continue d’enfermer les femmes dans la répression sexuelle et une vie codifiée ; une envie d’envoyer valser les carcans tout en continuant pourtant à perpétuer les normes inculquées. Pilar Palomero n’arrive cependant pas à se défaire d’un récit de prise de conscience déjà vu maintes fois au cinéma. La cinéaste livre un film certes émouvant mais trop classique pour se démarquer d’autres films basés sur l’émancipation féminine, qui foisonnent actuellement.
Laura Enjolvy
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