[CRITIQUE] : Madres Paralelas

Par Fuckcinephiles
Réalisateur : Pedro Almodóvar
Avec : Penelope Cruz, Milena Smit, Aitana Sánchez-Gijón,...
Distributeur : Pathé
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Espagnol
Durée : 2h00min
Synopsis :
Deux femmes, Janis et Ana, se rencontrent dans une chambre d'hôpital sur le point d’accoucher. Elles sont toutes les deux célibataires et sont tombées enceintes par accident. Janis, d'âge mûr, n'a aucun regret et durant les heures qui précèdent l'accouchement, elle est folle de joie. Ana en revanche, est une adolescente effrayée, pleine de remords et traumatisée. Janis essaie de lui remonter le moral alors qu'elles marchent telles des somnambules dans le couloir de l'hôpital. Les quelques mots qu'elles échangent pendant ces heures vont créer un lien très étroit entre elles, que le hasard se chargera de compliquer d'une manière qui changera leur vie à toutes les deux.


Critique :

Film bancale, peu subtil et d'une colère sourde, aux nombreuses branches scénaristiques, #MadresParalelas est un appel à l'exhumation d’une histoire commune, que ce soit la guerre ou la façon dont les femmes sont traitées dans une société entre trop patriarcale. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/dB0s2WIC6E

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 18, 2021

Présenté lors de la Mostra de Venise en septembre dernier, le nouveau long métrage de Pedro Almodóvar, Madres Paralelas, sort dans nos salles en décembre. L’heure est au bilan pour le cinéaste espagnol. Après Douleur et Gloire, où il faisait le point sur son identité et son métier de réalisateur, il vient rendre des comptes avec son pays dans ce nouveau film, sous les traits d’une histoire maternelle entre deux femmes, mères célibataires.
Les femmes portent les cicatrices du passé et les fondations de l’avenir. C’est ce que nous dit Madres Paralelas, au travers de son regard sur la maternité et le passé encore enfoui de centaines de familles espagnoles. Alors qu’il a construit presque toute sa carrière autour des femmes : leur humour, leur force, leur résilience et leur sexualité, Almodóvar signe ici un hommage poignant à celles qui portent la vie, mais aussi le monde.

Copyright El Deseo


Janis (Penelope Cruz) a bientôt quarante ans et une carrière de photographe bien établie. C’est une femme libre et indépendante. Dès les premières secondes du film, le cinéaste inverse la tendance de séduction : c’est Janis qui regarde Arturo, un bel anthropologue juridique, un regard scopique au travers de son objectif de photographe. C’est elle également qui installe la conversation, qui l’invite chez elle. Bien que leurs dialogues soient sérieux, tournant autour de l’excavation d’une fosse de guerre d’un village, le cycle de la séduction est enclenché. Par la magie du montage, leurs ébats nous emmènent directement à l’hôpital, neuf mois après. Janis est seule cependant. Arturo, marié, ne peut prendre sa responsabilité parentale. Mais cela ne dérange pas Janis, au contraire. Dans la chambre, elle rencontre Ana (Milena Smit), une adolescente pas encore majeure, une mère-fille célibataire, sans trace de père elle-aussi. Elles partagent l’expérience de l’accouchement entre femmes, comme quelque chose d’unique et de sororal, sans hommes.
Ces mères parallèles vont sans cesse se croiser au fil de la narration, avec des coïncidences, des hasards et même un drame (dont on vous laisse le suspens intact), trames que le cinéaste aime tant. Almodóvar entrecroise deux récits bien distincts, dont on peine à assimiler tant ils sont à l’opposé. Mais le réalisateur a des choses à dire sur notre société, sur l’histoire enfouie de l’Espagne. Madres Paralelas est un film sur les oubliées, celles qui se battent dans l’ombre pour construire un pays sur les os d’un régime totalitaire. Que ce soient les femmes, filles, petites-filles, arrières petite-filles des hommes déportés pendant la guerre, elles cherchent désespérément leurs corps dans les fosses communes, afin de leur donner une sépulture digne de ce nom. Tant que les corps de ces victimes d’antan n’ont pas été retrouvés, la guerre n’est pas finie, annonce Janis, qui a repris les rênes des recherches familiales depuis la mort de sa grand-mère. Des cicatrices que l’Espagne a bien vite oubliées, mais qu’un mouvement de femmes ne cesse de déterrer afin de les guérir pour de bon.

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Alors oui, Madres Paralelas n’est pas subtil. Le changement peut sembler brusque après Douleur et Gloire. La douleur a laissé place à une colère sourde. Une colère contre un pays qui préfère mettre des œillères, un pays encore très machiste. Le film met les femmes au centre de tout et aborde les thèmes liés à leur corps, que la société patriarcale aime contrôler. La grossesse, mais aussi le viol, le revenge porn. Almodóvar les aborde avec de gros sabots, avec un message global “We should all be feminist”, t-shirt Dior qu’ont arboré les actrices américaines au début du mouvement Time’s Up, dont Penelope Cruz fait partie. Si le film ne fait pas dans la demi-mesure, au moins le message passe. Almodóvar semble nous dire qu’il est temps, pour les hommes, de devenir des alliés. Il dépouille son film de personnages masculins, les rares ayant soit un rôle reproducteur, soit un rôle symbolique de la violence masculine et montre les femmes comme de véritables héroïnes du quotidien. Cependant, il se montre cruel avec les femmes qui ne possèdent pas le fameux « instinct maternel ». Que ce soit la mère d’Ana, Terasa (Aitana Sánchez-Gijón), montrée comme une femme insensible et égocentrique, parce qu’elle privilégie sa carrière plutôt que sa fille, ou une fille au pair irlandaise, plus intéressée par ses études que par le baby-sitting. Le rôle de mère semble indissociable de la féminité pour le réalisateur.
Film bancale, aux nombreuses branches scénaristiques, Madres Paralelas est un appel à l'exhumation d’une histoire commune, que ce soit la guerre ou la façon dont les femmes sont traitées dans une société entre trop patriarcale. S’il est difficile de passer outre les séquences “telenovela”, à la symbolique lourde, il était faux de penser que Pedro Almodóvar avait fait le tour avec son précédent film. Le cinéaste espagnol a encore bien des choses à nous dire.
Laura Enjolvy