[Namur 2021] “Aya” de Simon Coulibaly Gillard

Par Boustoune

[Compétition Première oeuvre]

De quoi ça parle ?

De la fin d’un monde, un village de Côte d’Ivoire sur le point d’être englouti par l’océan, et d’un univers, celui de l’enfance d’Aya une adolescente qui a grandi dans ce lieu tout en sable et eau.
Le film décrit son passage à l’âge adulte, vécu littéralement comme un déracinement.

Pourquoi le film nous inonde d’émotion ?

Le film vaut déjà pour les performances remarquables de Marie-Josée Kokora et Patricia EgnabayouIl, qui interprètent, complices, Aya et sa maman, l’adolescente qui refuse de quitter le village et la mère-poule qui cherche à la pousser hors du nid, pour son bien.
Mais il vaut aussi et surtout pour ses images à la force évocatrice évidente, qui créent un environnement sensoriel singulier et une esthétique sublime. La plupart des plans opposent vie et mort, ombre et lumière, ou montrent le combat inégal entre le sable et l’eau. La côte s’efface progressivement, rongée par le flux incessant de l’océan et l’élévation du niveaux des mers en raison du réchauffement climatique. L’eau finit par recouvrir peu à peu tous les bâtiments de Vieux Lahou, village côtier au sud de la Côte d’Ivoire. Le cimetière est déjà sous l’eau, et les sépultures doivent être déplacées dans des conditions compliquées, avant que l’océan ne les engloutisse complètement. Les vivants ne vont pas tarder à partir eux aussi, car l’eau approche de plus en plus de leurs habitations. D’ailleurs, les habitations ont été construites uniquement en bois et feuillages pour permettre une évacuation rapide des villageois.
Autre conséquence du réchauffement climatique, des tempêtes de plus en plus violentes frappent le littoral. Pluies diluviennes succèdent aux vents violents et aux vagues gigantesques. Comme dans cette scène où les pêcheurs tentent vainement de quitter la rive à bord de leurs pirogues, dans l’espoir d’aller pêcher des poissons, principale source de revenus des locaux et l’un des aliments de base des villageois. Hélas, leurs sorties en mer sont de moins en moins fructueuses et il n’y a pas assez de poissons pour toute la population. Tout se désagrège progressivement, dans une ambiance mortifère.

Ce pessimisme tranche avec la vitalité et la fougue juvénile d’Aya qui évolue avec aisance et insouciance dans son village. La jeune fille se moque d’être cernée par les eaux. Elle passe ses journées à rêver sur la plage et, quand l’eau monte, elle prend de la hauteur en allant chercher des noix de coco directement dans les arbres. Elle ne quitterait pour rien au monde son petit univers. Pourtant, lui aussi est en train de se transformer de façon irréversible. L’enfance d’Aya vit ses derniers feux. Les relations avec son ami d’enfance sont en train de changer. Leur complicité innocente se teinte de sentiments nouveaux. Aya questionne beaucoup sa mère à ce sujet, même si cette dernière ne voit pas d’un très bon oeil leur relation. Ce n’est pas vraiment le moment de s’attacher à un garçon qui risque de quitter le village d’un jour à l’autre, et encore moins de tomber enceinte… La mère a d’autres projets pour sa fille. Elle ne veut pas que sa fille connaisse le même sort qu’elle, la même vie de galère, mariée et mère très tôt, veuve trop vite, et obligée de vendre des poissons séchés pour faire vivre les siens. Elle a déjà prévu de l’envoyer à Abidjan, chez une tante qui pourra s’occuper d’elle. L’adolescente pourra éventuellement suivre des études ou trouver un emploi plus prospère. A moins qu’elle ne se laisse engloutir par la ville et ses tentations.

En tout cas, la fin de son enfance va être marquée par ce déracinement, l’obligation d’abandonner derrière elle un univers idéalisé, une image de bonheur familiale qui deviendra de plus en plus floue avec le temps, qui s’érodera comme le littoral de son village. Le film de Simon Coulibaly Gillard montre bien les émotions contraires qui traversent sa jeune héroïne et expose les conséquences dramatiques du changement de climat sur des villages entiers.
Depuis le tournage, Vieux Lahou a disparu de la carte. Chaque année, la mer gagne plusieurs mètres sur la terre et oblige à l’exode des centaines de personnes. Au-delà de ces mouvements de population, c’est l’économie de toute une zone géographique qui se trouve menacée par ces bouleversements, dans l’indifférence quasi-générale. Le film témoigne de ce qui a été et lance un cri d’alarme pour la protection de ces habitants du littoral africain, particulièrement menacés par la montée des eaux, fruit d’une pollution dont ils ne sont pas responsables.

Contrepoints critiques

”Aya parvient à devenir (…)  une captation dénuée d’artifices d’existences certes menacées de disparaître, mais qui continuent d’avancer, tissant peu à peu une ode à la résistance qui nous dirait que tant qu’il y a du sens à vivre, il reste de l’espoir.”
(Hugo Palazzo – Good Times)

”Aya, c’est Marie-Josée Kokora. C’est un sourire à décrocher la lune, une présence discrète mais lumineuse, une jeune actrice magnifique.”
(Anne-Marie Feuillère – Cinergie)

Crédits photos : Copyright Michigan Films – Visuels fournis par FIFF de Namur