Onoda, 10000 Nuits dans la Jungle (2021) de Arthur Harari

Second long métrage de Arthur Harari après son polar "Diamant Noir" (2015). Cette fois il revient avec un projet particulièrement ambitieux et d'une ampleur qui séduit d'emblée ne serait-ce que parce qu'un réalisateur français signe une histoire nippone singulière qui rappelle que ce sont souvent les anecdotes frappantes qui nous font aimé l'Histoire avec un grand H. Ainsi le cinéaste s'intéresse avec ce film à Hiro Onoda (Tout savoir ICI !) considéré comme le plus célèbre des dits "Soldats japonais restants" (Tout savoir ICI !), des soldats qui ne savaient pas que la guerre était finie durant des années ou simplement qui ne voulaient pas croire à la défaite. Ainsi, Onoda et quelques soldats sont restés en mode guerre sur l'île de Lubang aux Philippines à partir de 1944 et jusqu'en 1974 pour le dernier à se rendre. Harari a co-signé le scénario avec Vincent Poymiro auquel on doit les scénarios de la série TV "Ainsi Soient-Ils" (2012-2015) et des films "Plein Sud" (2009) de Sébastien Lifshitz et "L'Hiver Dernier" (2012) de John Shank. Les deux auteurs se sont surtout basé sur le livre "Onoda, seul en guerre dans la jungle" (1974) de Bernard Cendron et Gérard Chenu. Pourtant Hiro Onoda a écrit son autobiographie "Ma Guerre de 30 ans sur l'île de Lubang" (1974) que le réalisateur avoue ne pas avoir lu : "Je l'ai découvert plus tard quand le scénario était déjà écrit et qu'on allait commencer le tournage. Ne pas avoir lu le livre m'a donné la liberté d'inventer le personnage que je voulais. Pour moi, Onoda était un carburateur à fiction et je ne voulais pas être prisonnier de sa subjectivité." Au vu du projet, ce film est logiquement une co-production franco-nipponne à majorité hexagonale...

Onoda, 10000 Nuits dans la Jungle (2021) de Arthur Harari

Fin 1944, la défaite du Japon est quasi assurée mais sur ordre, le jeune Hiro Onoda est envoyé sur une île des Philippines pour prendre le commandement du dernier groupe de soldats de l'île pour les entraîner dans une nouvelle doctrine : la Guerre Secrète. Soit continuer la lutte contre l'impérialisme occidental, continuer la guerre coûte que coûte... Hiro Onoda est incarné jeune par Yuya Endo remarqué dans "Kamikaze le Dernier Assaut" (2015) de Takashi Yamakazi, et vieux par Kanji Tsuda vu dans plusieurs films majeurs comme "Audition" (2002) de Takashi Miike, "Dolls" (2003) de Takeshi Kitano on plus récemment dans "Guilty of Romance" (2012) de Sion Sono, puis retrouve après "Tokyo Sonata" (2008) de Kiyoshi Kurosawa Kai Inowaki vu également dans "Confessions" (2010) de Tetsuya Nakashima et "The Fable" (2019) de Kan Eguchi. Citons encore Yuya Matsuura vu dans "Little Zombie" (2019) de Makoto Nagahisa, Taiga Nakano vu dans "Le Lien du Sang" (2020) de Tatsushi Omori, Issei Ogata vu dans (2016) de martin Scorcese, puis Tetsuya Chiba qui est avant tout connu comme auteur du manga "Ashita no Joe" (1968-...)... Le réalisateur-scénariste Arthur Harari avoue plusieurs références et inspirations pour son film, pêle-mêle citons les films "Feux dans la Plaine" (1959) de Kon Ichikawa, "L'Ouragan de la Vengeance" (1965) et "La Mort Tragique de Leland Drum" (1967) tous deux de Monte Hellman, "United Red Army" (2007) de Koji Wakamatsu, avec aussi une importance des noms comme Samuel Fuller, Sergio Leone, , Akira Kurosawa et surtout (dixit le réalisateur) Kenzo Mizoguchi... Le film débute comme un film de guerre mais à la façon des années 50-60, comme un film d'auteur, sans esbroufe ni escalade de violence mais avec une immersion réaliste et presque intimiste dans la déroute de quelques soldats qui perdent leurs repères. Ce qui est fascinant c'est aussi la capacité du réalisateur Arthur Harari a digéré ses influences pour les parsemer tout le long de son film. Ainsi on pourrait voir dans la première partie du Monte Hellman, y voir même du Werner Herzog ensuite ("Aguirre..." en 1972 et "Rescue Dawn" en 2006), on pencherait plus pour Fuller et Kurosawa pour le reste. On se retrouve dans un survival qui ne dit pas son nom, un survival nouveau genre, inédit de par l'abnégation, le don de soi, le sens du devoir emmener à un point sans doute jamais vu jusqu'ici. Evidemment, savoir qu'il s'agit d'une Histoire Vraie donne un pouvoir d'attraction fort tant on a bien du mal à imaginer cet entêtement, qui frôle la simple folie sans pourtant que ces hommes n'y tombent jamais vraiment.

Onoda, 10000 Nuits dans la Jungle (2021) de Arthur Harari

Si l'effet groupe pousse les uns et les autres vers la poursuite des combats on est encore plus abasourdi quand le groupe diminue en nombre jusqu'à ne plus être que deux, puis seul. En effet, le groupe vit sous ordre militaire, et donc l'organisation permet un semblant de discipline guerrier entre montage/démontage de camp quotidiennement, tour de garde, surveillance ... etc... Tandis que plus le groupe diminue plus il est compréhensible de ne pas trouver forcément crédible que ces hommes croit dur comme fer que la guerre se poursuit. On frôle le grotesque quand arrive le premier "contact" et que les survivants obtiennent les premières "vraies" informations sur le présent actuel. Psychologiquement le film est sur ce point passionnant, le soldat japonais ayant un sens aigü du patriotisme d'abord, auquel s'ajoute une formation spécifique qui frôle le lavage de cerveau, l'autarcie et l'isolement façonnant ensuite une capacité paranoïaque d'où il est forcément difficile de sortir. Sur le fond, le cinéaste décrit une évolution logique, cohérente et compréhensive du "soldat japonais restant", et ce sur le pari d'un film long tout de même de 3 heures. Et c'est là aussi la force du film, 3 heures qui ne les font pas, 3 heures qui paraissent bel et bien nécessaires pour ressentir justement le temps qui s'étire sans pour autant que cela soit long ou lent et sans que l'ennui ne s'installe. Le soldat japonais étant en guerre il s'applique à ses missions et l'occupe donc malgré la rareté des "situations de guerre". Le réalisateur soigne sur la forme un réalisme qui force l'admiration jusque dans les détails, du crayon papier à l'usure des mains en passant par les indices du passage des ans. Parfois attiré par le style contemplatif, le réalisateur ne choisit pourtant pas cette option même si les paysages imposent le contexte de la jungle et un climax singulier, car même si le temps est étiré il se passe toujours quelque chose, d'abord dans le quotidien du soldat mais aussi dans l'évolution psychologique des uns et des autres sans pour autant occulter le lyrisme de certains passages. Tout dans ce film est en parfait équilibre entre action et émotion, en parfait harmonie entre les hommes et leur environnement sans jamais tomber dans la spectaculaire car in reste toujours à hauteur d'homme. Arthur Harari a la grand qualité d'avoir su se réinventer pour son second film avec une oeuvre ambitieuse et complètement maîtrisée. Même si on peut avoir une interrogation légitime sur le fait qu'il ait occulté l'autobiographie du principal intéressé, on ne peut que saluer un film cohérent et crédible de bout en bout. Un des grands films de l'année à voir et à conseiller.

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