The Lodger (1927) de Alfred Hitchcock

Après son premier film "The Pleasure Garden" (1925) et le film perdu "The Moutain Eagle" (1926) le producteur Michael Balcon ne laisse pas souffler son poulain, Alfred Hitchcock à qui il confie ce nouveau projet à peine son précédent film terminé. Le producteur a acquis les droits du roman "The Lodger" (1913) de Marie Belloc Lowndes, ça tombe bien le cinéaste l'avait déjà lu et adoré et dont il avait vu la pièce de théâtre dès ses 17 ans. Il en fera aussi plus tard une émission radio en 1940 et tentera même un auto-remake en couleur lors de son passage à Hollywood. Mais pour l'heure Hitchcock collabore une nouvelle fois avec son scénariste Eliot Stannard pour adapter cette histoire très inspiré d'un certain Jack l'Eventreur qui, en 1913, est encore très ancré dans les mémoires londoniennes et qui, rappelons-le sévissait à Whitechapel non loin du quartier de Leystonstone où a grandi Hitchcock. Désormais nul besoin de rappeler que derrière le réalisateur il y a et aura toujours son épouse et fidèle assistante Alma Reville... Un tueur en série qui se surnomme lui-même "le Vengeur" sème la panique à Londres en assassinant des jeunes femmes blondes. Sur le secteur où sévit le tueur, un homme mystérieux loue une chambre d'hôte dont la fille des propriétaires est courtisée par l'enquêteur. Tandis que petit à petit les soupçons se posent sur cet inquiétant locataire, ce dernier se rapproche pourtant de la fille de ses hôtes, au grand dam de l'enquêteur...

The Lodger (1927) de Alfred Hitchcock

Ce locataire est incarné par Ivor Novello, grande vedette qui tournera un remake parlant éponyme (1932) de Maurice Elvey et qui deviendra également scénariste notamment pour "Tarzan l'Homme-Singe" (1932) de W.S. Van Dyke. Ses propriétaires sont joués par Marie Ault qui tournera plusieurs films de Graham Cutts dont Hitchcock fût assistant et qui retrouvera ce dernier dans "La Taverne de la Jamaïque" (1939), et Arthur Cherney qui débuta dans des films comme "Lights of London" (1914) de Bert Haldane et "The Lure of Crooning Water" (1920) de Arthur Rooke. Leur fille est incarnée par June Tripp vue dans "The Yellow Claw" (1921) de René Plaissetty et qui , en fin de carrière, prêtera sa voix pour le film "Le Fleuve" (1951) de Jean Renoir. L'enquêteur amoureux de cette dernière est interprété par Malcolm Keen qui retrouve et retrouvera Hitchcock avec "The Mountain Eagle" et "The Manxman" (1929). Et enfin, notons deux caméos prestiges, celui de Alma Reville qui écoute la TSF, et Hitchcock lui-même en badaud... On remarque d'emblée deux choses dans ce film : la teinte de couleur de pellicule et le (sur)jeu de certains acteurs. Pour les couleurs, c'est une technique très répandu notamment lors de la période du cinéma Muet, ainsi en teinte on trouve un Noir et Blanc plus classique bien entendu, mais aussi du sépia et même des filtres bleuté et rosé, chaque couleur étant surtout un indicateur de lieu (extérieur, intérieur surtout). Plus gênant est la différence de jeu des acteurs. Si on a l'habitude que les acteurs théatralisent un peu les émotions, Muet oblige, il n'en demeure pas moins que le surjeu est un soucis surtout quand d'autres sont bien plus subtils, la différence d'interprétation crée alors un décalage parfois outrancier. Ainsi, on sourit un peu quand Ivor Novello appuie de façon presque caricaturale le coté mystérieux de son personnage, on est par contre bluffé par les nuances et le contrôle du couple Marie Ault-Arthur Cherney. Ce décalage reste le plus gros défaut du film. Mais ensuite on suit avec délectation l'évolution du récit dont on perçoit toute la modernité (tant et tant de films ensuite qui copieront ce canevas !). On retrouve les prémices toujours plus pregnant de ce qui fera la patte et le style du futur maitre du suspense.

Lodger (1927) Alfred Hitchcock

Le réalisateur impose la femme comme cause à l'insu de son plein gré du crime, il impose aussi la première "blonde hitchcockienne" (alors qu'elle est brune dans le livre), il instaure le faux coupable qui sera presque un fil conducteur dans sa filmo, mais surtout on constate quelques passages que le cinéaste améliorera pour ses futurs chefs d'oeuvres comme le parallèle évident avec "Frenzy" (1972), l'importance symbolique des menottes, la scène de bain dans un nuage de vapeur, la place de l'escalier dans la maison qui renvoie à (1960)... Et on ne peut qu'apprécier comment Hitch fait planer la miséricorde sur l'histoire, où comment l'omniprésence de la religion s'incruste dont la séquence la plus frappante est l'ombre d'une fenêtre qui dessine une croix sur le visage du locataire. Par là même, le réalisateur signe une mise en scène inventive et toujours en mouvement (rare à cette époque), usant entre autre de la plongée-contre-plongée (escalier) ou comment on imagine les cents pas d'un homme à l'étage à travers un "plancher de verre". Malgré le fait que le réalisateur soit satisfait, ses producteurs auront quelques réserves quant à la qualité du film (c'est peu de le dire !) à tel point qu'ils engagèrent Ivor Montagu (homme de cinéma mais aussi et surtout un passionné de tennis de table au point de devenir durant 41 ans président de la Fédération Internationale de Tennis de Table), cinéaste qui fit plusieurs modifications comme réduire intertitre et améliorer le générique. Il semble que Hitchcock ait finalement approuvé ces changements tout en laissant planer le doute sur l'importance de Montagu sur l'oeuvre finale. Néanmoins, on remarque que Montagu va être encore producteur et monteur pour Hitchcock notamment sur "L'Homme qui en Savait Trop" (1934), "Les 39 Marches" (1935) et "Quatre de l'Espionnage" (1936), et Hitchcock dira lors de son entretien avec François Truffaut qu'il considère "The Lodger" comme son "premier vrai Hitchcock Picture". Le point le plus litigieux semble avoir été la question de la culpabilité du locataire, le cinéaste voulant laisser planer le doute, mais les producteurs réclamèrent qu'il soit clairement innocent au vu de la notoriété de la vedette Ivor Novello. Clairement le choix paraît nettement plus judicieux, même aujourd'hui. Dommage.. On décèle pourtant cette volonté dans le dernier acte où le lynchage apporte une réelle tension... Mais le film reste une belle démonstration de Hitchcock, qui asseoit définitivement son talent et sa réputation avec un potentiel qui éclabousse le Septième Art au crépuscule du Muet. Le succès et l'excellente réception critique font bientôt de Hitchcock qle réalisateur le plus réputé et le mieux payé du Royaume-Uni.

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