Le Voyage de Chihiro (2001) de Hayao Miyazaki

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après son premier vrai succès international avec le chef d'oeuvre "Princesse Mononoke" (1997) le réalisateur Hayao Miyazaki revient avec une autre réussite inconstestable et incontestée toujours avec le studio Ghibli, qui entretemps a aussi produit le magnifique "Mes Voisins les Yamada" (1999) de Isao Takahata. Pour ce nouveau projet, Miyazaki voulait avant tout faire un film qui s'adresserait aux préadolescentes, après avoir reçu en vacances plusieurs fillettes amies de sa fille. En cherchant l'inspiration dans les livres de ces fillettes il n'y trouva que des bouquins qu'il trouvait trop axés sur des amourettes et autres romances. Il cherche alors un véritable personnage qui serait plus une "fille ordinaire à laquelle il serait facile de s'identifier". Il pense alors à adapter le livre "Kirino Mukouno Fushigina Machi" (1975 - "Le mystérieux Village Voilé dans la Brume" en V.F.) de Sachiko Kashiwaba, mais ces associés ne sont pas du tout convaincu, l'artiste va alors, tout en s'en inspirant, écrire une nouvelle histoire autour d'un onsen (établissement thermal traditionnel) et du "kamikakushi" (terme signifiant disparition mystérieuse ou mort faisant référence à une légende ancienne où des enfants disparaissaient et étaient parfois retrouvés dans des tombeaux ou des temples) ; d'ailleurs le titre original du film est "Sen to Chihiro no Kamikakushi" soit littéralement "la disparition mysétrieuse de Sen et Chihiro". Le film sera un succès énorme, surpassant encore celui de "Princesse Mononoke" et remportera l'Oscar du Meilleur film d'animation puis l'Ours d'Or à la Berlinale, ex-aequo avec "Bloody Sunday" (2002) de Paul Greengrass. Une reconnaissance qui confirme et asseoit définitivement la réputation mondiale des studio Ghibli et de Miyazaki, à la suite de quoi tous les anciens films de Miyazaki ressortent dans les salles notamment en France...

Chihiro, 10 ans, boude tandis qu'elle va emménager avec ses parents dans une nouvelle demeure. Mais sur la route la famille s'arrête dans un mystérieux restaurant où les parents se goinfrent jusqu'à être transformés en porcs ! Paniquée, Chihiro fuit avant de comprendre qu'elle est dans le monde des esprits et qu'elle va devoir faire face à la sorcière Yubaba, sorcière harpie responsable du sortilège et pouvoir sauver ses parents... Techniquement, les animateurs améliorent le système graphique déjà abordé avec "Princesse Mononoke", à savoir que la grande majorité des dessins restent réalisés de façon traditionnel à la main, mais dorénavant tout en étant numérisés afin d'effectuer des retouches sans altérer l'art manuel si cher à Miyazaki. Comme à son habitude, Miyazaki modifie son scénario au fur et à mesure, faisant évoluer son récit en fonction de ses inspirations et en fonction de l'avancé des animations en cours. Pas simple donc pour les animateurs qui, selon le directeur de l'animation Masashi Ando, demande encore plus d'exigence de l apart des animateurs vu la multiplication des scènes à modifier ou même à remplacer. Pour le film il est imposé trois couleurs dominantes (rouge, or, orange) avec un soucis de contraste fort entre la couleur et le noir, et avec des différences notables vis à vis des lieux (par exemple les quartiers de Yubaba). Miyazaki mêle les genres comme à son habitude mais cette fois avec plus de variations (conte, horreur, fantastique,...) qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler "Alice au Pays des Merveilles" dans le passage entre réel et imaginaire même si Miyazaki ne délimite pas de frontière, le lien entre les deux mondes est alors beaucoup plus poreux, comme une cohabitation de fait ; Yubaba peut aussi renvoyer à la Reine de Coeur de par son aspect "monstrueusement gonflé". Mais dans cette histoire contemporaine (vis à vis des précédents films moins marqués dans le temps) le réalisateur-scénariste-animateur n'omet pas d'aborder avant tout certains de ses thèmes de prédilection comme les dangers de la société moderne, les valeurs ancestrales (symbolisées par le shinto tradition et religion japonaise), l'intégration par le travail collectif, la quête initiatique...

Le cinéaste précise : "Nous devons informer la jeunesse japonaise de la richesse de nos traditions."... Par là même, Miyazaki insiste sur l'importance de son identité où comment la sorcière Yubaba impose à Chihiro de changer de nom en Sen (voir premier paragraphe plus haut) et l'oblige à y répondre. Asservir par la perte d'identité a été inspiré à Miyazaki par le cycle de Terremer (1964-2018) de Ursula Le Guin ; Le réalisateur poussera d'ailleurs à adapter cette oeuvre littéraire qui sera assumé par son propre fils Goro Miyazaki avec le film d'animation "Les Contes de Terremer" (2006) toujours chez Ghibli. La quête initiatique n'est pas franchement probante, et surtout esthétiquement le film est un peu fouilli par moment, surtout parasité par une sorcière qui prend trop de place (pour être poli et dans tous les sens du terme). Cette sorcière et son environnement direct est la seule partie qui agresse, visuellement trop caricaturale sur le fond comme la forme. Mais heureusement, Miyazaki offre un univers foisonnant et effervescent, une fantasmagorie colorée qui donne tant de niveau de lecture (trop ?!) qu'il est impossible de s'ennuyer, on se retrouve dans un manège enivrant qui mêle magie et poésie souvent par alternance. On notera le joli passage du train, inspiré directement d'un autre chef d'oeuvre Ghibli, "Le Tombeau des Lucioles" (1988) de Isao Takahata. Outre la sorcière Yubaba peut attrayante, Miyazaki signe là sans doute son film le plus dense, mais aussi le plus intriguant ce qui est déjà une épopée au bestiaire riche et onirique. Le film a été un succès phénoménal au Japon où il a détrôné "Titanic" (1997) de James Cameron et ne sera délogé qu'avec le succès récent de "Demon Slayer : le Train de l'Infini" (2020) de Haruo Sotozaki. Il a été le plus grand succès mondial non-américain et non-anglophone jusqu'à ce qu'il soit dépassé par le français "Intouchables" (2012) du duo Toledano-Nakache. Un film à voir et à conseiller.

Pour info bonus, Note de mon fils de 11 ans :