[Cannes 2020] « Falling » de Viggo Mortensen

FallingJohn Peterson (Viggo Mortensen) est brusquement confronté à la maladie de son père, Willis (Lance Henriksen), un octogénaire qui commence à sombrer dans la démence. Il parvient à convaincre de vieil homme de quitter son ranch dans l’état de New York, où il a toujours vécu, et de s’installer en Californie, près de lui et de sa soeur (Laura Linney). Avant de pouvoir lui trouver une maison à proximité, John héberge son père et doit déployer des trésors de patience pour supporter le comportement erratique de ce-dernier, déjà perdu entre souvenirs et délires, mais aussi ses reproches amers et ses attaques verbales incessantes.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Viggo Mortensen n’a pas choisi un sujet facile pour son premier film en tant qu’auteur/réalisateur. Un tel mélodrame où il est question de démence, de fin de vie et d’anciens traumas familiaux est déjà en soi un terrain glissant, où il est facile de déraper soit vers le pathos, l’émotion outrancière, soit vers une ambiance profondément grise et déprimante. Mais pour corser encore les choses, le cinéaste a choisi d’opposer de façon radicale ses deux personnages, qui ont des philosophies et des mode de vie totalement opposés : Peter est un homosexuel assumé, marié à un infirmier d’origine asiatique et père d’une petite fille de dix ans. Il est sensible, discret et a soutenu Obama aux élections présidentielles. Willis est un cowboy à l’ancienne, orgueilleux et têtu. Un type ultra-conservateur, qui ne peut réprimer de vieux réflexes machistes, homophobe et racistes. Il est frustre, jure comme un charretier et n’hésite jamais à dire ce qu’il pense. Avec un tel schéma, le film pourrait vite tomber dans la joute verbale facile, l’opposition manichéenne, le mélo de papa un peu trop fabriqué.

Pourtant, Viggo Mortensen évite tous les écueils en signant une oeuvre joliment équilibrée, émouvante sans être larmoyante, parfois drôle et impertinente, parfois féroce. Surtout, il parvient à faire exister ses personnages, dévoiler toutes leurs nuances, et faire transparaître les liens d’affection entre le père et son fils derrière leur apparente opposition.
Willis n’a certes pas été un père ou un mari parfait. Il l’a payé en perdant les femmes de sa vie et en voyant ses proches se détacher de lui, au point d’aller vivre à l’autre bout du pays. Mais il a malgré tout aimé ses enfants et a essayé de leur transmettre ses valeurs. Les scènes où il apprend à John, alors enfant, à chasser le canard, sont de beaux moments de complicité père-fils. Et même s’il semble toujours combattre farouchement l’homosexualité de son fils, on devine qu’il a depuis longtemps accepté le fait que son fils soit différent de lui.
John, lui, encaisse les coups avec un calme stoïcien digne de celui d’Ed Harris – un bon copain de Viggo Mortensen – dans Apollo 13. Il pourrait détester ce vieillard acariâtre qui passe son temps à l’insulter, le rabaisser et s’ingénie à le faire tourner en bourrique avec ses sautes d’humeurs et ses incessants changements d’avis, mais on sent qu’il l’aime malgré tout, qu’il le respecte et l’admire, d’une certaine façon. C’est aussi grâce à l’éducation qu’il a reçue qu’il est devenu celui qu’il est aujourd’hui, un adulte heureux et serein.
Mortensen place constamment sa caméra à bonne distance, trouve les bons cadrages, avec une rigueur et un dépouillement qui évoque le côté clinique des derniers films de David Cronenberg – un autre bon copain du cinéaste, qui joue d’ailleurs ici un petit rôle de médecin. En jouant lui-même le rôle de John, avec la retenue et la sensibilité dont on le sait capable, il peut constamment contrôler le timing des scènes, trouver le tempo adéquat. Il réussit également à parfaitement diriger son partenaire, Lance Henriksen, qui trouve ici l’un des plus beaux rôles de sa carrière, après de nombreuses années gâchées dans des séries B (voire Z) sans grandes ambitions.

Il n’est pas certain que Falling puisse séduire un large public. Certains le jugeront sans doute trop sec, un peu trop austère. D’autres lui reprocheront sans doute son manque d’enjeux dramatiques, si l’on met de côté l’opposition de caractères père-fils. Pour nous, c’est justement ce qui constitue la principale force du film. Ce refus du larmoyant, cette sobriété dans la mise en scène et cette poésie mélancolique sont des partis-pris forts, qui portent la marque d’un intéressant auteur en devenir.
Tout au plus pourrait-on reprocher à Viggo Mortensen sa narration morcelée. En entrelaçant scènes contemporaines et souvenirs tout au long du film, il laisse apparaître un peu trop rapidement les liens affectifs qui unissent les deux personnages. Les dévoiler plus lentement ou plus tardivement aurait pu provoquer davantage d’émotion et donner au film un peu plus d’ampleur. Pour autant, le premier long-métrage du cinéaste américano-danois est assurément une belle réussite.

Sélectionné pour l’édition 2020 du Festival de Cannes, il aurait probablement trouvé toute sa place dans la section Un Certain Regard, qui est généralement un bel écrin pour les premiers films, et il y aurait sans nul doute reçu un accueil chaleureux. Aujourd’hui, il sort après de longs mois d’attente, en même temps que bien d’autres films mis de côté pour cause de COVID-19. Souhaitons qu’il puisse rencontrer son public…


Falling
Falling
Réalisateur : Viggo Mortensen
Avec : Lance Henriksen, Viggo Mortensen, Laura Linney, Terry Chen, Sverrir Gudnason, Hannah Gross, David Cronenberg
Origine : Etats-Unis
Genre : Mélodrame familial chargé, mais sans pathos
Durée : 1h52
Date de sortie France : 19/05/2021
Contrepoints critiques :
”La vie, l’amour, la mort : pour sa première réalisation, Viggo Mortensen vise juste et forme avec Lance Henriksen un duo père-fils déchirant.”
(Aurélien Allin, Cinemateaser)
”Ponctué de maladresses, le premier film de l’acteur américano-danois déçoit un peu.”
(Jean-Baptiste Morain, Les Inrockuptibles)

Crédit photo slider : Copyright Caitlin Cronenberg