L'étrange Monsieur Victor

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci à Pathé pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « L’étrange Monsieur Victor » de Jean Grémillon.

« Au lieu de faire le méchant tu ferais mieux de travailler proprement »

Monsieur Victor, un commerçant toulonnais d’apparence honorable est en fait un receleur pour une bande de malfaiteurs qui sévit dans toute la région. Menacé de chantage par un l'un de ses lieutenants, il commet un meurtre pour lequel un innocent est condamné au bagne. Huit ans plus tard, le forçat s’évade. De retour en ville pour tenter de revoir son fils, notre commerçant le recueille…

« Avec tes manières et tes gentilles t’es vraiment une crème d’ordure ! »

Personnalité atypique et attachante, Jean Grémillon demeure une figure à part dans le paysage cinématographique français. Tout d’abord de par son parcours original, puisqu’il est musicien classique de formation et qu’il entre dans l’univers du cinéma en devenant pianiste de salle en accompagnement des projections. Avant d’évoluer, au gré de ses rencontres et de ses amitiés (Charles Dullin, Jacques Feyder) vers la réalisation, de documentaires d’abord puis de films de fiction. Mais Grémillon est aussi un réalisateur à part du fait de ses idées progressistes (pour l’époque) et de son intransigeance, qui seront la cause, toute sa carrière durant, de ses rapports difficiles avec les producteurs. Ses premiers films, « La petite Lise » (qui traite de la prostitution) et « Daïnah la métisse » sont ainsi volontairement remontés et sabotés par les producteurs contre sa volonté, tandis que plusieurs de ses projets d’après-guerre (plus politiques, traitant notamment de la Commune de Paris) ne trouveront jamais de financements. Ce qui ne l’empêchera pas de réaliser une poignée de films majeurs, notamment durant sa période la plus faste comprise entre 1937 (« Gueule d’amour », grand succès critique et publique) et 1943 (« Le ciel est à vous »).

« Tu as raison de te rendre utile puisque tu ne te rends pas agréable »

Jean Grémillon reste le cinéaste des âmes tourmentées et des personnages en proie à une forte dualité. On pense au légionnaire séducteur de « Gueule d’amour » qui se révèlera sensible et vulnérable. Mais aussi au capitaine de « Remorques », tiraillé entre sa passion pour une rescapée des mers et sa fidélité pour son épouse malade. Ou encore à la mère de famille discrète du « Ciel est à vous » qui cache un tempérament d’aventurière. Tourné en 1938, « L’étrange Monsieur Victor » lui permet d’ajouter à sa galerie un personnage éminemment complexe, qui présente deux visages en tous points opposés. Pour sa famille comme pour le reste de la communauté, Monsieur Victor est ainsi un respectable commerçant bourgeois. Mais dans l’ombre de son arrière-boutique, il se révèle être un receleur véreux et sans scrupule à la tête d’une organisation criminelle. Une face sombre qui trouve son paroxysme dans un accès de violence incontrôlable au cours duquel il commet un meurtre pour lequel il laissera accuser à tort un innocent. Tout le génie de Grémillon sera dès lors de transcender son sujet (un banal thriller schizophrène) et y apportant de la nuance. « L’étrange Monsieur Victor » se transforme ainsi en un drame psychologique profondément humain, dans lequel les personnages se montrent ambivalents et où il est parfois difficile de faire la part entre le Bien et le Mal. Ainsi, Monsieur Victor a beau être un criminel et un menteur, il a néanmoins toujours assumé financièrement la femme et l’enfant de l’homme qu’il a laissé accuser à sa place. De même qu’il prend finalement bien soin de lui lorsque celui-ci se retrouve en cavale. Un protégé auréolé d’innocence et au statut de victime, qui n’hésite cependant pas à séduire ouvertement la femme de son protecteur. Même les enfants se montrent féroces, n’hésitant pas à se faire chanter entre eux. C’est d’ailleurs sans doute là que le film trouve son véritable intérêt et sa belle noirceur. Un très bon Grémillon, avec un Raimu formidable à contre-emploi.

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Le blu-ray : Le film est présenté en version restaurée dans un Master Haute-Définition, en version originale française (2.0)) ainsi qu’en audiodescription. Des sous-titres français pour malentendants et anglais sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné de « À l’ombre des persiennes » : entretien avec Philippe Roger, Paul Vecchiali, Jean-Dominique Nuttens et Jean François Buiré (57 min.), d’un commentaire audio de Philippe Roger, d’un document d’archive « Raoul Ploquin dans « L’Histoire du cinéma français par ceux qui l’ont fait » et d’une actualité Pathé d’époque « À propos de la suppression du bagne » (1937).

Édité par Pathé, « L’étrange Monsieur Victor » est disponible en édition collector limitée blu-ray + DVD depuis le 24 mars 2021.

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