Casablanca (1942) de Michael Curtiz

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Monument du Septième Art, maintes fois cités très justement parmi les films les plus mythiques du cinéma (dont une 3ème place des plus grands films américains selon l'American Film Institute juste derrière "Citizen Kane" de Orson Welles et "Le Parrain" de F.F. Coopola) ce superbe film est également le film favori de votre serviteur. Il était temps de remettre à jour un article qui datait déjà de 2012. Le projet voit le jour quand le producteur de la Warner Hal B. Wallis découvre la pièce de théâtre "Everybody Comes to Rick's" (1938) de Murray Burnett et Joan Alison, dont il peut remercier Irene Lee Diamond collaboratrice de l'ombre qui a d'abord découvert la pièce lors d'un voyage à New-York alors que la pièce n'a jamais été produite. La pièce est en fait inspirées des voyages effectués par les auteurs en Europe dans les années 30. La montée du nazisme et une soirée dans une boîte de nuit de Cap Ferrat où il découvre un pianiste noir aura suffit à fonder les bases d'une pièce qui va devenir culte. Wallis achète les droits pour 20000 dollars, et pour surfer sur les élans exotiques et romantiques alors à la mode à Hollywood le titre est modifié pour "Casablanca", s'inspirant d'un grand succès de l'époque, "Casbah" (1938) de John Cromwell. Un choix qui s'avère d'autant plus judicieux qu'en ce début des années 40 la ville marocaine est sous contrôle de Vichy. Wallis désirait Wylliam Wyler pour diriger le film mais n'étant pas disponible il choisit finalement Michael Curtiz dont il avait déjà produit les chefs d'oeuvres "Captain Blood" (1935) et surtout "Les Aventures de Robin des Bois" (1938).

La Warner engage dans un premier temps les frères Julius et Philip Epstein (alors réputé pour leur sens de l'ironie) pour écrire le scénario, mais ils délaissent le projet (alors que le récit est écrit jusqu'au flash-back) pour travailler sur les films de propagande du Ministère de la Guerre américain. C'est alors Howard Koch, qui retrouve Michael Curtiz après "La Caravane Héroïque" (1940) et "L'Aigle des Mers" (1940), qui reprend la suite en insistant sur la partie plus politique et morale de l'histoire avant qu'un troisième auteur intervienne, Casey Robinson, qui retrouve également Curtiz après "Capitaine Blood" et "Quatre au Paradis" (1938), pour étoffer l'histoire d'amour triangulaire. Il y a aura des dernières modifications demandées par la censure du Code Hays (ICI et pour en savoir plus LA !) pour qui les références sexuelles étaient trop explicites... Début des années 1940, à Casablanca alors sous domination de l'état français du Régime de Vichy, et alors que la Seconde Guerre Mondiale fait rage, la ville semble un havre de Paix. Mais quand un couple, Victor Laszlo et son épouse Llsa Lund se présente au night club de Rick ce dernier et Llsa se reconnaissent pour un passé pas si lointain. Dans le même temps, des soldats allemands arrivent à Casablanca et veulent obliger la police française à les aider pour empêcher Victor de quitter le territoire car il est un leader résistant recherché... L'américain Rick est incarné par le monstre sacré Humphrey Bogart qui retrouve Curtiz après "Les Anges aux Figures Sales" (1938) et "La Caravane Héroïque" (1940) et qu'il retrouvera encore avec "Passage pour Marseille" (1944). Llsa est incarnée par la star Ingrid Bergman qui commençait à percer à Hollywood avec les films "Intermezzo" (1939) de Gregory Ratoff et "Docteur Jekyll and Mister Hyde" (1940) de Victor Fleming. Victor est joué par Paul Henreid, qui était alors en pleine ascension après des films comme "Au Revoir Mr. Chips" (1939) de Sam Wood et "Une Femme cherche son destin" (1942) de Irvin Rapper mais il deviendra vraiment connu après avec "Pavillon Noir" (1945) de Frank Borzage et "L'Emprise" (1946) de Edmund Goulding. Pour l'anecdote, la Warner a convaincu d'accepter le rôle en lui promettant qu'il serait l'égal de Bogart et Bergman mais lors du tournage il ne s'est pas vraiment entendu avec ses partenaires l'acteur étant particulièrement imbu de sa personne. Henreid qualifiait Bogart de "acteur médiocre" tandis que Bergman surnommait Henreid "prima donna" (!).

Le préfet français est joué par l'excellent Claude Rains qui retrouve Curtiz après "... Robin des Bois" et "L'Aigle des Mers", qu'il retrouvera avec Bogart sur "Passage pour Marseille" et qui retrouvera surtout Ingrid Bergman pour le chef d'oeuvre "Les Enchaînés" (1946) de Alfred Hitchcock. L'officier allemand est interprété par Conrad Veidt, star allemande ayant justement fuit le régime nazi dont les rôles emblématiques sont dans les films "L'Homme qui Rit" (1928) de Paul Leni, "Juif Süss" (1934) de Lothar Mendes, "Le Joueur d'Echec" (1938) de Jean Dréville tandis qu'après "Echec à la Gestapo" (1941) de Vincent Sherman il retrouve Bogart et son partenaire Peter Lorre, acteur autrichien ayant aussi fuit le nazisme et acteur culte de (1931) de qui retrouve Bogart après "Le Faucon Maltais" (1941) de John Huston, qu'il retrouvera avec Curtiz sur "Passage to Marseille". L'acteur Sydney Greenstreet retrouve la plupart de ses partenaires également, Bogart et Lorre après "Le Faucon Maltais" et "Passage to Marseille" de Curtiz, puis retrouvera Henreid dans "La Vie Passionnée des soeurs Brontë" (1946) de Curtis Bernardt. Outre Peter Lorre et Conrad Veidt, on constate qu'une grand epartie du casting sont des acteurs ayant fuit l'Europe nazie, parfois juste peu de temps avant le tournage comme le couple français Madeleine Lebeau et Marcel Dalio, elle vue dans "Jeunes Filles en Détresse" (1939) de Georg-Wilhelm Pabst et "Gentleman Jim" (1942) de Raoul Walsh, et lui acteur majeur vu dans "La Grande Illusion" (1937) et "la Règle du Jeu" (1939) tous deux de Jean Renoir. Citons encore Helmut Dantine et S.Z. Sakall qui ont fuit juste au début de 39-45. Citons l'actrice Joy Page qui obtient là son premier rôle grâce à son beau-père, un certain Jack Warner. Puis enfin, n'oublions pas le pianiste Sam joué par Dooley Wilson, qui est en fait jazzman batteur-chanteur, mais dont ce rôle de pianiste restera à la postérité. Le musique est signée du compositeur Max Steiner, choisit car il a déjà collaboré avec Curtiz sur "Les Anges aux Figures Sales", déjà oscarisé pour "Le Mouchard" (1935) de (et deux autre ensuite viendront pour "Une Femme cherche son Destin" et "Depuis son Départ" en 1944) mais qui est surtout alors encore auréolé des succès "Autant en Emporte le Vent" (1939) de Victor Fleming et "Sergent York" (1941) de Howard Hawks... Le film débute par une poursuite entre la police et un fugitif, quelques minutes où on plonge dans les rues de Casablanca, où en quelques plans judicieux tout le contexte géo-politique et les protagonites nous sont présentés avec l'instauration d'une atmosphère spécifique tout en posant d'emblée les tenants et aboutissants de l'intrigue : le laissez-passer. Une atmosphère magnifiquement mise en place par Curtiz qui joue avec merveille des ombres et du Noir et Blanc tout aussi magnifiquement mis en valeur en clair-obscur par la photographie signée de Arthur Edeson, remarqué déjà pour des films comme "A l'Ouest, Rien de Nouveau" (1930) de Lewis Milestone, "Frankenstein" (1931) de James Whale, "Les Révoltés du Bounty" (1935) de Frank Lloyd ou encore "Le Faucon Maltais". Curtiz saura aussi user d'astuces comme de faire en sorte que Ingrid Bergman ne paraisse pas plus grande que Bogart, ou surtout, d'utiliser une maquette et d'engager des nains pour la séquence finale.

On remarque aussitôt les personnages emblématiques de l'histoire, de Ugarte le receleur de laissez-passer à Ferrari le concurrent de Rick en passant par le préfet Renaud et au serveur Carl. Mais évidemment ceux qui sont au centre de l'intrigue forment le triangle amoureux, Rick, Llsa et Viktor Laszlo. Un triangle sous tension pour lequel l'actrice Ingrid Bergman avait demandé au réalisateur qui elle était censé aimé, question à laquelle Curtiz lui répondit qu'elle devait jouer l'amoureuse sincère aussi bien de Rick que de Viktor. Une situation dont le dénouement final s'est pourtant avéré logique puisque le Code Hays interdit qu'une femme puisse quitter son époux pour un amant. La vraie réussite du film réside donc dans la façon dont Curtiz va évoquer la possibilité que Llsa puisse effectivement quitter Viktor pour Rick. Ce point est au centre de l'intrigue avec ce laissez-passer qui paraît parfois comme un prétexte malgré la situation géo-politique essentielle. Le cynisme romantique de Rick est évidemment un leurre, et tout repose donc sur ce qui va lui permettre de redevenir l'homme de principe et de liberté qu'il a été. Llsa est merveilleusement jouée tout en ambiguité par une Ingrid Bergman au sommet de sa beauté. Viktor est incarné avec classe par Henreid même si son côté dandy guindé semble parfois une posture peu naturelle pour un résistant ayant souffert des pires souffrances.

Mais si on est subjugué par la beauté nimbée autour de Llsa/Bergman et ce jeu de l'amour et du hasard avec les deux "amants", on s'aperçoit qu'émotionnellement on est surtout happé par deux séquences "musicales". La première est évidemment la scène où Llsa arrive au cabaret de Rick avec le morceau "As Time Goes By" joué par Dooley Wilson, qui n'était d'ailleurs pas réellement pianiste mais batteur, et qui est à l'origine une chanson de Herman Hupfeld composée en 1931 mais qui entrera bel et bien à la postérité grâce au film. La seconde est ce moment frisson où les clients se mettent à chanter la Marseillaise pour contrer le "Die Wacht Am Rhein" de l'Allemagne Nazie qui est le point d'orgue émotionnel du film. A noter que les larmes de Madeleine Lebeau ne sont pas feinte, étant alors elle-même réfugiée politique. Outre ces deux moments forts le film est semé de séquences marquantes ou même mythiques, entre les gros plans sur les yeux embués de Lisa et les petits messages "patriotiques" (tract de la résistance ou bouteille d'eau Vichy jetée à la poubelle par exemple) il y a aussi de vraies belles scènes emblématiques (la Marseillaise, le trucage de la roulette...). La psychologie des personnages est elle aussi très intéressante, entre le cynisme de Rick et l'opportunisme de Renaud le double jeu de Llsa est inouï... D'ailleurs Oscar du meilleur scénario pourtant décrié par certain qui trouve justement que c'est son point faible... Non ! Le scénario est excellent (qui sera classé en 2006 par la Writers Guild of America meilleur scénario de tous les temps), passant de l'intrigue principale aux petites histoires parallèles (tout le monde cherche à obtenir un visa) le scénario est, au contraire, une vraie réussite. Un Oscar auquel s'ajoute les Oscar du Meilleur réalisateur pour Curtiz et du Meilleur film pour Jack Warner en lieu et place de Hal B. Wallis ce qui marquera un prémice à leur divorce professionnel. Le film sortira en Allemagne après-guerre mais en étant amputé des passages évoquant le nazisme ! Pour l'anecdote et la magnifique ironie du sort, le film sera exploité alors même qu'aura lieu la Conférence de Casablanca en 1943 (Tout savoir ICI !). En conclusion, Michael Curtiz signe avec ce film son meilleur film, un chef d'oeuvre absolu du cinéma à voir, à revoir, à conseiller et à aimer !

Avis de Llowenn ICI

Note :