Le jardinier d'Argenteuil

Un grand merci à Coin de Mire Cinéma pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Le jardinier d’Argenteuil » de Jean-Paul Le Chanois.

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« ça fait cinquante ans que je lutte pour ma tranquillité, c’est pas maintenant que je vais commencer à m’emmerder la vie ! »

Jardinier-artiste, M. Tulipe est un clochard sentimental. Dans le wagon désaffecté et entouré de fleurs où il demeure, il peint des naïvetés pour les vendre à Montmartre et cultive son jardin. Mais il dessine, imprime et vieillit aussi des billets de banque. Des petites coupures pour finir ses fins de mois qu’il écoule très prudemment avec son complice Noël. Un jour Noël rencontre Hilda, une ambitieuse nurse étrangère qui les pousse à voir plus grand…

« Si j’ai survécu toutes ces années, c’est parce que je ne suis pas fou. Je suis sérieux et honnête moi ! »

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Jean-Paul Le Chanois fut certainement l’une des personnalités les plus énigmatiques du paysage cinématographique français. Érudit, il fit de brillantes études (philosophie puis médecine) avant de tout abandonner pour se consacrer au cinéma. D’abord comme acteur, avant de devenir tour à tour assistant, monteur, scénariste et enfin réalisateur juste avant la Seconde guerre mondiale. Mais il fut aussi un homme engagé, membre du Parti Communiste et animateur du « Groupe Octobre », au point même que certains dans les milieux artistiques le considèrent comme « l’œil de Moscou ». Ce qui ne l’empêchera pas - en dépit de ses convictions politiques et de ses origines juives - de travailler comme scénariste pour la Continental, la célèbre société de production à capitaux allemands durant l’Occupation. Ni de présider, ensuite, le comité d’épuration du cinéma français. Il restera néanmoins célèbre pour ses comédies populaires réalisées après-guerre et qui rencontreront un grand succès public (« Papa, Maman , la bonne et moi » et sa suite; « Le village magique »). En creux, il sera aussi le réalisateur de quelques drames sociaux, comme « Le cas du Docteur Laurent » ou « Par-dessus le mur ». Sa filmographie trouvant son apogée en 1958 avec « Les misérables » dans lequel il réunit l’un des plus castings du moment avec Jean Gabin, Bourvil et Bernard Blier.

« L’argent ça se gagne, ça ne se fabrique pas ! »

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En 1966, il réalise avec « Le jardinier d’Argenteuil » ce qui sera son dernier long-métrage pour le cinéma. Adaptation du roman éponyme (paru en 1937) de René Jouglet, le film fait ainsi le portrait haut en couleur d’un vieux jardinier assez peu ordinaire et trop tranquille pour être honnête. Du genre à cultiver l’oseille plutôt que n’importe quel autre légume ! Car sous ses airs de placide retraité, artiste peintre à ses heures, le « Père Tulipe » est en réalité un faussaire de talent. Mais tout l’enjeu du film sera de donner à ce personnage une grande singularité en le dotant d’une vraie philosophie de vie, consistant à ne produire que des petites coupures et dans des quantités très limitées afin de ne pas être inquiété. Jusqu’à ce sa tranquillité bien-aimée ne soit mise à mal par son cupide neveux, bien décidé à profiter des talents de son oncle pour voir plus grand. S’en suivra une truculente (excellente séquence où le héros tente d’écouler ses billets auprès des marchants de muguets) et joyeuse aventure qui les conduire jusque sur la Riviera, où le contact des fortunés les plus exubérants ne fera que confirmer son goût pour les choses simples et pour la discrétion. Le Chanois signe ici une fable gentiment immorale à travers laquelle il filme un instantané de cette France encore insouciante des trente glorieuses finissantes. Une société dont il devine déjà les fractures générationnelles entre des ainés de l’ancien temps, se contentant d’une vie simple, et une jeunesse plus volontiers matérialiste et futile qui annonce la société de consommation. Avec une pointe de malice, le cinéaste dénonce par ailleurs les prémices des dérives du monde de l’argent (les casinos notamment qui en dépit de leur légalité ne font pas mieux que le héros avec sa planche à billets), rappelant au travers du personnage d’un vieil allemand désabusé que l’argent ne saurait faire le bonheur. Loin de ses rôles de vieux gangster endurci, Gabin trouve ici un rôle de gentil escroc à la petite semaine qui lui sied comme un gant. Ode à la tranquillité qui peut paraitre aujourd’hui désuète, « Le jardinier d’Argenteuil » n’en est pas moins une comédie charmante, à la fois solaire et emprunte d’une certaine poésie.

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Le blu-ray : Le film est présenté en Haute-Définition, dans une version restaurée en 4K à partir du négatif original par StudioCanal, avec le CNC. Il est proposé en version originale française (2.0). Des sous-titres français pour malentendants sont également disponibles.

Côté bonus, la collection « La séance » propose un formidable concept : celui de reproduire les conditions d’une véritable séance d’époque. En mode « Séance complète », le film sera ainsi précédé des authentiques actualités Pathé de la semaine de sortie du film ainsi que de publicités et bandes-annonces d’époque, le tout en HD. En mode film seul, « Le jardinier d’Argenteuil » se lancera directement.

Edité par Coin de Mire, « Le jardinier d’Argenteuil » est disponible depuis le 4 décembre 2020 dans une très belle édition Digibook, limité à 3000 exemplaires numérotés, comprenant le blu-ray + le DVD du film ainsi qu’un livret reproduisant  des documents d’époque (24 pages), 10 reproductions de photos d’exploitation (15,5 x 11,5 cm) et la reproduction de l’affiche d’époque (29 x 23 cm). Un très bel objet qui ravira tous les cinéphiles.

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