La Sirène du Mississippi (1969) de François Truffaut

Après "Baisers Volés" (1968) premier opus de sa saga Antoine Doinel, le réalisateur-scénariste François Truffaut adapte de nouveau un roman de Cornell Woolrich (ou William Irish) dont il avait adapté déjà "La Mariée était en Noir" (1968). Amusant d'ailleurs de remarquer que le cinéaste majeur de la Nouvelle Vague se soit intéressé à cet auteur peu de temps après ses entretiens avec un certain Alfred Hitchcock pour son livre "Le Cinéma selon Alfred Hitchcock" (1966) alors que le maître du suspense à lui-même adapté "Fenêtre sur Cours" (1954) du même écrivain. On peut aussi citer d'autres films tirés de cet auteur comme "L'Homme-Léopard" (1943) de Jacques Tourneur, "Les Mains qui Tuent" (1944) de Robert Siodmak ou encore "Obsession" (1954) de Jean Delannoy. François Truffaut réalise et écrit le scénario et décicace son film à un monument qu'il admire, Jean Renoir... Louis Mahé, riche fabriquant de cigarettes de La réunion attend avec impatience sa fiancée qu'il a connu via une petite annonce matrimoniale. D'abord heureux de voir arriver une femme très belle et pleine d'esprit il commence à s'interroger après quelques semaines de mariage elle disparaît alors qu'il apprend qu'elle n'était pas la femme qu'il devait épouser. Il fait la connaissance de Berthe Roussel, soeur de sa véritable fiancée qui a disparu, ensemble ils engagent un détective privé pour retrouver l'usurpatrice qui en a profité pour vider les comptes de Louis. Mais Louis retrouve l'usurpatrice avant le détective par un heureux hasard, alors qu'il veut d'abord la tuer il ne peut s'y résoudre et s'aperçoit qu'il est tombé amoureux d'elle malgré tout, et elle lui avoue également son amour. Le couple va alors fuir le monde, fuir les autres et surtout fuir le détective privé qui est sur leur trace...

La Sirène du Mississippi (1969) de François Truffaut

Pour son premier rôle masculin Truffaut choisit une des plus grands stars de son époque, Jean-Paul Belmondo pour qui il n'a pas encore tourné mais qui a déjà participé à la Nouvelle Vague via les films "À Bout de Souffle" (1960), "Une Femme est une Femme" (1961) et "Pierrot le Fou" (1965) tous de Jean-Luc Godard dont, tout de même, le premier qui a éét co-écrit par Truffaut. Pour le premier rôle de femme fatale, le rôle est incarnée par Catherine Deneuve alors au sommet de sa beauté, dont la Nouvelle Vague pour elle se résume à un segment dans "Les Plus Belles Escroqueries du Monde" (1963) de Claude Chabrol et au film "Les Créatures" (1966) de Agnès Varda. Les deux stars se retrouvent pour la seconde et ultime fois après s'être croisées dans "La Chasse à l'Homme" (1964) de Edouard Molinaro. Si Bébel ne retournera plus avec Truffaut, Deneuve elle retrouvera le cinéaste pour "Le Dernier Métro" (1980). Une bonne partie du générique a déjà joué pour Truffaut, Michel Bouquet dans "La Mariée était en Noir" (1968), Marcel Bébert producteur du cinéaste sera de tous ses films de "Baisers Volés" (1968) au "Dernier Métro", Martine Ferrière dans "Baisers Volés", sans compter deux guests aux voix caméos on peut entendre les actrices Alexandra Stewart et Delphine Seyrig vues respectivement dans "La Mariée était en Noir" et "Baisers Volés". Et enfin, citons Nelly Borgeaud qui retrouvera Truffaut plus tard dans L'Homme qui Aimait les Femmes" (1977) mais qui sera surtout une actrice chez Alain Resnais dans "Muriel ou le Temps d'un Retour" (1963), "Mon Oncle d'Amérique" (1980) et "On Connaît la Chanson" (1997). Pour l'anecdote, Belmondo déclarera dans une interview qu'il a effectué des tests avec Brigitte Bardot pour ce film, l'actrice aurait malgré tout refusé le rôle qui serait alors revenu à Catherine Deneuve, mais étonnament aucune autre source ne confirme ce fait.. À la musique Truffaut retrouve Antoine Duhamel après "Baisers Volés", compositeur à qui on doit les B.O. de "Pierrot le Fou" de Godard, et plus tard de films comme "La Mort en Direct" (1980) de Tavernier et "Ridicule" (1995) de Patrice Leconte... Le livre est avant tout une oeuvre sombre, à suspense qui se devait logiquement d'offrir le matériau idéal pour un thriller avec une angoisse à la Hitchcock ou au moins retrouver le Truffaut de "La Mariée était en Noir". Cette fois on a l'impression que le réalisateur a voulu explorer d'autres chemins, pour un résultat à la fois mélo et fantaisiste, mais surtout on a la désagréable sensation que Truffaut n'a pas réussi à trouver sa voie comme sil ils 'agissait d'un coup d'essai. D'abord, le premier quart d'heure on pense par exemple à "Quand la Marabunta Gronde" (1954) de Byron Haskin, on a un homme richissime mais seul qui épouse une femme inconnue venue de l'autre bout du monde. Un homme qui a tout pour lui si ce n'est une vision très classique du couple, tandis qu'une femme à la beauté diaphane très hitchcockienne va s'avérer une femme fatale et mystérieuse.

La Sirène du Mississippi (1969) de François Truffaut

Le début a tout du mélo avant de virer vers un road-movie passionnel qu'on aimerait voir partir à la "Bonnie and Clyde" mais qui va s'engoncer dans une mélasse qui va petit à petit perdre de sa substance, perdre de son intérêt, voir perdre en crédibilité. On a par exemple bien du mal à comprendre cet homme, qui agit comme un fugitif alors qu'il ne l'est pas encore, on ne croit pas au suspense fantoche qui veut nous interroger sur la réelle personnalité de la femme (est-elle honnête quant à son amour ?! Est-elle une manipulatrice ?!) alors que c'est plutôt flagrant ! Ou alors Deneuve et Truffaut n'ont pas su trouver le ton juste. Oui, Belmondo est plutôt bon en victime à l'insu de son plein gré, mais à contrario ce qu'on peut lire sur sa performance l'acteur avait déjà bien avant oser aborder des rôles tout aussi complexe comme dans "Léon Morin, Prêtre" (1961) de Jean-Pierre Melville ou (1967) de Louis Malle. Oui Catherine Deneuve est une femme fatale et froide idéale, à l'ambiguité vénéneuse mais là encore l'actrice avait déjà démontré d'autres facettes comme dans "Répulsion" (1965) de Roman Polanski et "Belle de Jour" (1967) de Luis Bunuel. En fait, loin d'être désagréable le film surprend surtout par son manque de parti pris dans le genre ou plutôt dans le mélange des genres. À force de vouloir intégrer une multitudes de références et de clins d'oeil, Truffaut s'est une peu perdu, voir s'est pris les pieds dans le tapis. Par exemple il est indéniable qu'il a été influencé par "Sueurs Froides" (1958) de Hitchcock, et il termine son film en hommage au chef d'oeuvre "La Grande Illusion" (1937) de Jean Renoir. On sourit à la réplique "Ta beauté est une souffrance. C'est une joie et une souffrance" dont il servira une variante dans "Le Dernier Métro". Truffaut signe donc un film qui n'est pas un thriller assumé tant le suspense n'est pas intéressant voir vain, le mélo en tient pas plus la route tant on ne croit jamais à la sincérité de la femme (Deneuve), même durant la séance on se pose la question du comment du pourquoi d'un tel scénario ?! Le film de Truffaut a bénéficié d'un budget très confortable (1,6 million de dollars ce qui est bien au-dessus des productions habituelles Nouvelle Vague) mais ne se remboursera pas au box-office. Un échec donc, compréhensible sans doute tant Truffaut semble avoir lui-même hésité sur trop de paramètres pour convaincre. À noter que ce roman connaîtra une adaptation hollywoodienne avec "Péché Originel" (2001) de Michael Cristofer avec Angelina Jolie et Antonio Banderas...

Sirène Mississippi (1969) François TruffautSirène Mississippi (1969) François Truffaut