[IFFMH 2020] “La Femme qui s’est enfuie” de Hong Sang-soo

Par Boustoune

[Pushing the boundaries]

De quoi ça parle ?

De discussions entre amies autour d’un verre de soju, d’une tasse de thé ou d’un barbecue, et des relations entre les hommes et les femmes.

Pourquoi, même si tout cela est très bien fait, on n’en peut plus?

Parce qu’il s’agit d’un énième film de Hong Sang-soo, filmé à la façon de Hong Sang-soo, avec des thématiques et des artifices narratifs propres à Hong Sang-soo…

Gam-hee (Kim Min-hee, actrice-fétiche et compagne de Hong Sang-soo)  rend visite à une vieille amie dans une petite ville à la périphérie de Séoul.
Comme elle sait qu’elle est dans un film de Hong Sang-soo, elle sait que l’essentiel du film va se dérouler à table, alors elle a apporté de la viande à cuire sur barbecue et de l’alcool. Et effectivement, les deux femmes passent un long moment à table à grignoter et s’enivrer en parlant de tout et de rien mais surtout, évidemment de leurs affaires de cœur – on est dans un film de Hong Sang-soo, rappelons-le…  Young-soon vit seule, mais semble pleinement s’épanouir dans le célibat. Gam-hee, lui raconte que de son côté, elle vit une relation fusionnelle avec son mari. Depuis qu’ils se sont mis ensemble, cinq ans auparavant, ils ne se sont pas quittés. D’ailleurs, c’est la première fois qu’elle passe le week-end sans lui… Tout va bien pour les deux femmes, donc, qui, du coup, papotent d’autres sujets. Elles parlent de régime végétarien, de cause animale, de mode de vie alternatif. Des choses nouvelles dans le cinéma de Hong Sang-soo! On se dit que le cinéaste coréen va peut-être sortir de sa zone de confort. Surtout quand la discussion est interrompue par un voisin venu se plaindre du bruit causé par les chats errants que nourrit Young-soon, et que celle-ci s’amuse à le faire tourner en bourrique. On se dit alors que le film part sur de bonnes bases…

Pour la deuxième partie du film, Gam-hee part voir une autre vieille amie, Su-young. Et là, plus de discussions en dehors des sentiers battus. Les deux femmes ne parlent que de problèmes de coeur. Su-young s’est séparée de son mari il y a plusieurs années et semble s’épanouir dans son indépendance retrouvée. Elle ne manque pas de prétendants – un voisin architecte et un poète pot-de-colle – mais cherche à garder le contrôle de ses relations avec les hommes. # Balance ton porc, oui, sur le barbecue coréen…
Après une nouvelle interruption de la conversation par un fâcheux de sexe masculin, Gam-hee, raconte à son amie que de son côté, elle vit une relation fusionnelle avec son mari. Depuis qu’ils se sont mis ensemble, cinq ans auparavant, ils ne se sont pas quittés. D’ailleurs, c’est la première fois qu’elle passe le week-end sans lui…

Oui, on l’a déjà écrit plus haut, et oui, le personnage l’a déjà dit avant. On ne radote pas… C’est juste qu’on est chez Hong Sang-soo et que le principe de répétition fait partie des artifices narratifs fréquemment utilisés par le cinéaste.
Il l’utilisera encore dans une troisième partie assez similaire, où Gam-hee croise une ancienne camarade qui lui avait subtilisé son compagnon de l’époque. À priori Gam-hee s’en moque car elle vit une relation fusio… Bref, on a compris le refrain. Sauf que cette fois-ci, après la discussion, elle rencontre par hasard cet ancien compagnon – un cinéaste, parce qu’on est dans un film de Hong Sang-soo – et elle réalise qu’elle n’est peut-être pas si heureuse que cela avec son mari.
Elle fuit se réfugier dans une salle de cinéma, face à la mer (face à l’amer). Son esprit se met à vagabonder et rêver d’autres horizons.

Jolie fin, mais dommage que, pour en bénéficier, on doive supporter plus d’une heure de blablas banals, de beuveries soft et de croquage de pomme (symbole de la tentation). On avait déjà éprouvé un semblable agacement il y a une quinzaine d’années, quand le cinéaste, après des débuts remarqués, semblait réaliser encore et encore le même film, avec les mêmes ressorts narratifs, les mêmes personnages, la même façon de filmer (La Femme est l’avenir de l’homme, Conte de cinéma, Woman on the beach,…) avant qu’il ne se mette à s’amuser avec la narration, avec le bien nommé Ha ha ha. Cela lui a permis de tenir un petit moment, avant de puiser dans sa vie privée (sa liaison avec Kim Min-hee et son divorce tonitruant avec son épouse) de nouveaux éléments narratifs. Mais là, de nouveau, la routine s’installe. Certes, c’est toujours du cinéma très fin, très raffiné, très élégant, sobre et toujours interprété à la perfection, mais on commence à s’ennuyer ferme devant ses histoires trop interchangeables, ses artifices narratifs qui virent au stéréotype. On connaît par coeur tous les tours de passe-passe du cinéaste coréen, ses tics de mise en scène. L’effet de surprise ne joue plus, d’autant que Hong Sang-soo est sacrément prolifique, signant entre un et trois films par an (en même temps, il lui suffit d’une pièce avec une table et deux chaises, deux acteurs ou actrices, un plat de nouilles et une bouteille de soju pour amorcer la production, hein. Il n’y a pas d’effets spéciaux à superviser…).

Sans doute gagnerait-il à calmer un peu son rythme de production, prendre le temps d’écrire un scénario plus ambitieux, d’essayer de sortir de sa zone de confort et essayer d’autres idées, d’autres genres.
Sinon ce sera sans nous pour un moment…


La femme qui s’est enfuie
Domangchin yeoja
Réalisateur : Hong Sang-soo
Avec : Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Song Seon-mi, Kim Sae-byuk, Lee Eun-mi
Origine : Corée du Sud
Genre : Film de Hong Sang-soo
Durée : 1h17
Date de sortie France : 30/09/2020
Contrepoints critiques :
”Il se dégage du dernier Hong Sang Soo un charme infini.”
(Olivier Bachelard, Abus de Ciné)
”La Femme qui s’est enfuie, le dernier film du duo, marque en ce sens une sorte d’apogée, ouvrant pour ses héroïnes une parenthèse de douceur et de mélancolie, une ma­gnifique ‘surface de réparation’ féminine.”
(Mathieu Macheret, Le Monde)

Crédits photos : Copyright Les Bookmakers / Capricci Films