[IFFMH 2020] “The Slaughterhouse” d’Abbas Amini

Par Boustoune

[On the rise]

De quoi ça parle?

D’un jeune homme, Amir, qui se retrouve embarqué malgré lui dans, non pas une, mais deux sombres affaires.
Son père, Abed, gardien de nuit dans un abattoir de Téhéran, l’appelle pour l’aider à gérer une situation plus qu’épineuse : les cadavres de trois employés, morts d’hypothermie, ont été retrouvés dans la chambre froide dont il avait la responsabilité. Bien qu’il s’agisse à priori d’un accident, il est impossible d’appeler la police, car une enquête pourrait conduire à l’arrestation et la condamnation à mort du vieil homme, sans compter une multitude de problèmes pour l’entreprise.  Amir, son père et Motevalli, le patron de l’entreprise décident donc d’unir leurs efforts pour enterrer les corps de ces employés, des migrants venus de Syrie que personne ne devrait rechercher. Hélas, ce n’est pas tout à fait le cas. Peu de temps après la mort des trois hommes, une femme passe à l’abattoir demander des nouvelles de son père, qui a disparu en même temps que deux de ses cousins. Elle devient rapidement convaincue qu’Amir et Abed lui cachent la vérité, et décide de les surveiller, guettant une éventuelle erreur de leur part ou des preuves de leur implication dans la disparition de son père.

En parallèle, Motevalli, pour remercier Amir de son aide, lui propose un poste de chauffeur et d’homme à tout faire. Amir comprend rapidement que l’abattoir n’est qu’une vitrine destinée à abriter un trafic de dollars, business autrement plus juteux, mais parfaitement illégal et risqué. Il se demande si la mort des trois employés n’aurait pas de lien avec ce trafic.

Pourquoi on ne reste pas de glace devant ce film ?

Parce qu’il s’agit d’un vrai film noir, comme le cinéma iranien sait en produire, avec des personnages forts, qui ne sont pas forcément des salauds, mais qui se retrouvent rongés par la cupidité, les remords ou la soif de vengeance et entraînés dans un engrenage que l’on devine funeste.
Abbas Amini prend le temps de s’intéresser à chacun d’entre eux, en distillant suffisamment d’éléments pour que le spectateur puisse comprendre leurs motivations et les raisons qui les ont conduit dans cette situation délicate.
Lors de son séjour en France, Amir a été arrêté pour agression d’un policier, condamné à de la prison et raccompagné en Iran les menottes aux poignets. Ce n’est pourtant ni un voyou, ni un criminel. il a juste réagi de façon un peu véhémente face à des brutalités policières envers des migrants. C’est peut-être à cause de ce retour imprévu qu’Abed, ancien fonctionnaire expert en finances, a dû se remettre à travailler comme gardien pour Motevalli. Il a utilisé toutes ses économies pour qu’Amir puisse s’installer en Europe et, de là-bas, soutenir sa famille à distance. Maintenant que son fils est revenu, ces projets sont tombés à l’eau.
Des trois, c’est probablement Motevalli qui est le plus mauvais. Mais s’il est obligé de s’impliquer dans le trafic de dollars, c’est peut-être la faute des banques qui refusent de l’aider à faire face à ses difficultés passagères, elles-mêmes liées aux fluctuations du dollars et des tensions géopolitiques entre l’Iran et les Etats-Unis. Les trois défunts eux-mêmes sont venus en Iran pour tenter de se sortir de situations compliquées, conséquences des conflits en Iraq ou en Syrie, et ont peut-être été contraints de s’impliquer dans des activités crapuleuses pour survivre.
Même Asra, la femme à la recherche de son père, n’est pas épargnée par la noirceur ambiante, qui finit par contaminer tous les protagonistes du film. Et cette noirceur est avant tout liée à un contexte global, politique et social, qui oblige les individus à se compromettre pour survivre ou se faire respecter.

L’autre grande force du film, c’est de reposer sur un ensemble de comédiens épatants. Amirhossein Fathi est parfait dans le rôle d’Amir. Le contraste entre sa sensibilité à fleur de peau et son physique imposant évoque un peu le jeu de Denis Menochet, à qui il ressemble un peu. Mani Haghighi, dans la peau de Motevalli, se montre aussi à l’aise devant la caméra que derrière – il est notamment le réalisateur des excellents thrillers Valley of stars et Pig, présenté à la Berlinale en 2017.   Hasan Pourshirazi, l’un des acteurs-fétiches de Mohammad Rasoulof, complète ce beau trio avec son jeu tout en finesse, dans la peau d’un vieil homme rongé par les remords et la culpabilité. Quant à  Baran Kosari, découverte en France  en 2007 dans Dayere Zangi, elle montre qu’elle n’a rien perdu de son intensité dramatique et impose sa présence magnétique dans cette intrigue presque exclusivement masculine. 

Enfin, il convient de saluer la mise en scène sobre et clinique d’Abbas Amini, qui parvient à instiller de la tension tout au long du récit, jusqu’au dénouement.
Une belle réussite, qui confirme la vitalité du jeune cinéma iranien, malgré un contexte toujours compliqué pour les artistes, entre censure et contexte géopolitique tendu.

Autres avis sur le film :

”Abbas Amini’s Koshtargah (فیلم ایرانی کشتارگاه) boldly addresses the problems of today’s society in the genre of social drama, will impress the viewer with an interesting story.”
(Farshub)

”The Slaughterhouse ist eine düstere Mischung aus Sozialdrama und Thriller. Weniger die Frage nach dem Täter, sondern dem gesellschaftlich-politischen Kontext, der es diesem erlaubt, einfach weiterzumachen, stehen im Fokus von Regisseur Abbas Amini, der damit ein pessimistisches Bild seines Heimatlandes präsentiert.”
(“The Slaughterhouse est un mélange sombre de drame social et de thriller. Au-delà de la question du crime et de son auteur, c’est le contexte socio-politique qui est au centre des préoccupations du réalisateur Abbas Amini, qui présente ainsi une image pessimiste de son pays d’origine.”)
(Rouven Linnarz, Film-rezensionen)

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