“Adieu les cons” d’Albert Dupontel

Adieu les consSi Suze (Virginie Efira) a un prénom d’apéritif, elle en est plutôt au dessert de son existence, comme essaie maladroitement de lui faire comprendre son médecin. Les tâches que la scintigraphie révèle dans ses poumons sont jolies. On dirait des fleurs. Mais elles constituent surtout « un bouquet de soucis« . Le diagnostic est clair : Suze souffre d’une maladie rare, liée à son activité professionnelle. Les sprays qu’elle a inhalés à haute dose dans son salon de  coiffure ont induit une réaction auto-immune dévastatrice. Comme elle le résume, elle souffre “d’un excès de permanentes”.
Comprenant que ses jours sont comptés, elle décide de consacrer toute son énergie à combler le plus grand regret de sa vie, retrouver l’enfant dont elle avait accouché à quinze ans et qu’elle a dû abandonner sous X, suite à la pression parentale.

JB (Albert Dupontel) a aussi un prénom d’apéritif – une marque de whisky – mais aussi un prénom binaire. Ça tombe bien, pour un informaticien. Ou plutôt, un virtuose de la sécurité informatique, oeuvrant pour l’administration publique. Il a travaillé dur pour arriver à ce niveau de compétences et s’apprête à toucher au but avec un poste de directeur régional. Hélas, ses chefs raisonnent eux aussi en binaire : jeune/vieux. Aujourd’hui, ils privilégient le scotch qui sort à peine du fût, pas le cinquante ans d’âge pur malt, quitte à trahir la promesse faite au pauvre fonctionnaire. JB est dévasté. Il a tout sacrifié à sa vie professionnelle et se voit maintenant poussé vers la sortie. Il n’a ni femme, ni enfant, ni loisirs pour occuper une future retraite.
Avec sa logique binaire, tout est forcément blanc ou noir. Ici, noir, c’est noir. Ses idées de la même couleur le poussent à vouloir se suicider sur son lieu de travail, pile au moment où Suze tenté d’obtenir des informations sur son dossier.

Les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu. JB se rate, mais blesse un collègue et est pris pour un fou dangereux. Il se retrouve traqué par la police. Suze pourrait le disculper, mais elle préfère profiter de la situation pour trouver les informations qui lui manquent. Le duo, bientôt complété d’un archiviste aveugle (Nicolas Marié), part donc à la recherche du fils de Suze, tout en cherchant à échapper à la police.

Le ton est de prime abord celui d’une comédie plutôt plaisante, malgré un scénario relativement simple et un humour beaucoup plus sage que celui des premiers films de Dupontel. Certains regretteront probablement la folle sauvagerie de Bernie ou d’Enfermés dehors, qui faisait toute l’originalité du cinéaste, mais il convient de noter que cette férocité disparait au profit d’une veine poétique et gentiment décalée, qui permet au film d’opérer, dans sa seconde partie, un virage vers quelque chose de plus dramatique et plus touchant, tout en tendresse et délicatesse.
Car malgré son enrobage de comédie et son titre provocateur, Adieu les cons est avant tout un film romantique, empreint d’une grande mélancolie. Le scénario dépeint la rencontre d’une femme qui voudrait bien vivre encore un peu, mais se sait condamnée, et d’un homme qui ne veut plus vivre dans ce monde froid et déshumanisé. Peut-être sont-ils faits l’un pour l’autre, mais dans ce contexte, quel avenir peut-il y avoir à l’idylle qui se dessine peu à peu, au fil de leur drôle de cavale? Eux sont à bout de souffle. Mais peut-être le fils de Suze peut-il encore s’en sortir?
Le personnage d’Albert Dupontel réalise soudain qu’il a construit toute sa vie sur un mensonge, sur l’illusion d’un bonheur artificiel, construit sur la réussite individuelle, le labeur, la performance. Au bout du compte, il se retrouve face à un constat d’échec terrible. Qu’a-t-il fait de sa vie? A-t-il seulement été heureux une fois au cours de ces longues années passées à infiltrer des réseaux, déjouer les systèmes de sécurité les plus complexes sans jamais être en mesure d’identifier les propres verrous de sa vie, les blocages qui le condamnent à une certaine solitude? Il est peut-être un geek surdoué, virtuose du clavier, mais cette aisance technique est inversement proportionnelle à sa capacité à interagir réellement avec ses semblables. D’une certaine façon, il est tout aussi aveugle que Blin, l’archiviste. En tout cas handicapé dans sa relation aux autres. Et le fils de Suze, lui aussi brillant informaticien, semble prendre le même chemin si personne ne le remet dans le droit chemin.

Le film dresse un portrait peu réjouissant du monde contemporain. Ses décors kafkaïens, froids et glacials – des hôpitaux, des salles d’archives, un pavillon de banlieue, des tours infernales de verre et d’acier abritant des immeubles de bureaux – dépeignent un univers sans chaleur et sans amour. Ses personnages crèvent de leur travail, au sens propre – pour Suze – comme au figuré, pour J.B. Ils vivent par ailleurs dans une société où toute leur vie est contrôlée – par l’éducation parentale, puis l’éducation tout court, par des “Big Brother” qui n’ignorent plus rien de leur activité numérique et par des policiers omniprésents, à qui le cinéaste semble particulièrement en vouloir. Surtout, ce monde moderne semble contraindre les individus à une certaine solitude, que cet improbable trio va tenter de faire voler en éclats en unissant leurs forces pour se lancer dans une folle cavale .

Au final, c’est cette tonalité sombre et crépusculaire que l’on retient. On sort de la salle un peu secoués, la larme à l’oeil, émus par le combat dérisoire de ces personnages contre ce “monde de cons” et l’irruption trop tardive de l’amour dans leurs vies pour croire à une hypothétique victoire.
Albert Dupontel n’est peut-être plus ce cinéaste féroce à l’humour décapant qu’il était jadis, mais il occupe toujours une place à part dans le cinéma français? Son style a gagné en maturité et en force émotionnelle ce qu’il a perdu en verve provocatrice et ce nouvel opus, trois ans après sa remarquable adaptation d’Au revoir là-haut, démontre qu’il peut aujourd’hui raconter des histoires avec une palette de nuances beaucoup plus importante.
Dans cet univers davantage poétique et sensible, il peut désormais intégrer des actrices comme Virginie Efira, dont la performance toute en délicatesse illumine l’ensemble du film et en fait une oeuvre totalement réussie.


Adieu les cons
Adieu les cons
Réalisateur : Albert Dupontel
Avec : Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié, Jackie Berroyer, Philippe Uchan, Bastien Ughetto, Marilou Aussiloux, Catherine Davenier, Michel Vuillermoz, Bouli Lanners, Laurent Stocker, Kyan Khojandi, Grégoire Ludig, David Marsais, Terry Gilliam
Origine : France
Genre : Tragi-comédie romantique
Durée : 1h27
Date de sortie France : 21/10/2020
Contrepoints critiques :
”C’est un genre d’After Hours rabougri”
(Didier Peron, Libération)
”Ce qu’il resterait d’insolence se dissout dans les poncifs. Même sentiment de ringardise face à la dimension mélodramatique du récit, dont la trame est digne d’un larmoyant feuilleton du XIXe siècle. Le pire étant sans doute la récupération opportuniste d’un sujet brûlant, les violences policières.”
(Marcos Uzal,  Les Cahiers du Cinéma)
”Entre burlesque et tragédie, le septième long métrage d’Albert Dupontel est l’un de ses meilleurs, et frappe juste : en plein cœur”
(Sophie Rozemont, Rolling Stones)

Crédits photos : Copyright Jérôme Prébois – ADCB Films