[SƎANCES FANTASTIQUES] : #17. La Comtesse

Par Fuckcinephiles

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Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s, sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'oeuvre de la Hammer, que des pépites cinéma bis transalpin en passant par les slashers des 70's/80's; mais surtout montrer un brin, la richesse d'un cinéma fantastique aussi riche qu'il est passionnant à décortiquer. Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture nos billets !


#17. La Comtesse de Julie Delpy (2010)
On oublie un peu trop vite que la transition de comédienne à réalisatrice de Julie Delpy (qui se fit dans un vrai sentiment de contrer une forme de rejet, manque d'intérêt de l'industrie hexagonale, à proposer des rôles riches et diversifiés aux actrices) fut l'une des plus naturelles et brillantes du septième art hexagonal - mais pas que -, tant elle a su parfaitement mettre à profit ses nombreuses années sous la direction de cinéaste talentueux (Godard, Carax, Tavernier, Linklater, Jarmusch,...), pour façonner un cinéma exigeant mais totalement à son image : physique, complexe, empathique et intimement féministe.
En ce sens, La Comtesse est sans doute son oeuvre la plus pertinente sur le sujet, puisqu'elle s'attaque avec plusieurs casquettes (réalisatrice, scénariste, productrice, vedette titre et même compositrice, avec Marc Streitenfeld !) au mythe imposant et fascinant qu'est la comtesse Bathory (fameuse figure historique qui aurait, selon la légende plus que persistante, sacrifié plusieurs dizaines - au moins - de jeunes vierges pour tutoyer du bout des doigts, ses rêves de jeunesse éternelle), capté à travers les yeux d'un homme.

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Formidable conte historico-nihiliste, jonglant entre le récit romantico-macabre et le drame médiéval (avec une passion pour les légendes entourant son sujet, plus que sur la pure véracité historique), embaumé dans une mélancolie gothique citant autant La Passion Béatrice de Tavernier (déjà avec Delpy) que - surtout - le chef-d'oeuvre Beatrice Cenci de Lucio Fulci, La Comtesse se veut aussi bien comme un regard frontal et jamais policé de l'époque (la Hongrie du XVIIème siècle, déchirée entre un conflit meurtrier avec les turcs, et des luttes de pouvoirs intestines), que le portrait à fleur de peau d'une femme qui n'est pas tant un monstre inhumain dans ses actes, que le fruit d'une époque particulièrement cruelle envers tout ce qui n'est pas homme; une figure formidablement tragique dont le passage du côté obscur de la raison, n'intervient que par la brutalité d'un chagrin d'amour peu à peu transformé en blessure narcissique insondable et dévastatrice.
Profondément envoûtant et flirtant joliment - mais pas trop - avec le surnaturel, d'une esthétique sombre et inquiétante (superbe photo de Martin Ruhe), autant que d'une mise en scène élégante et d'une ampleur folle (allant de pair avec une direction d'acteur appliquée), magnifiant des décors naturels (plusieurs châteaux allemands); La Comtesse n'a au final pour seul défaut que son manque cruel de moyen, l'empêchant d'offrir des envolées plus épiques (la bataille en début de métrage) ou même plus graphique - un poil plus d'effets gore voire sadomasochistes, pour booster la relation un peu timide entre Bathory et le comte Vizakna.

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Fable bouleversante et moraliste sur la peur de la mort mais surtout de la toute aussi inéluctable vieillesse, pointant du bout de la caméra les affres de la vanité humaine (et de la bourgeoisie) mais aussi les travers de la société de l'époque, qui trouvent un écho puissant dans la notre (la misogynie ambiante, le refus du conformisme, le diktat des apparences, le refus de vieillir,...), La Comtesse, tout comme sa créatrice, est d'une dualité incroyable, et la preuve par A + B que le cinéma d'auteur français ne se résume pas qu'au recyclage des mêmes recettes et qu'à une accumulation de clichés faciles.
Il suffit de lui laisser sa chance et, surtout, des moyens.
Jonathan Chevrier