Il était une fois dans l'Ouest

Par Dukefleed
Pour quelques notes de plus

Un très grand moment de cinéma dans lequel Leone se sert du genre cinématographique emblématique des US pour apporter une critique cinglante au capitalisme galopant…. Mais surtout du grand cinéma tout court… Mon fils de 12 ans est resté scotché devant cet opéra lancinant aux personnages époustouflants.

Avant la critique de Léo Moser longue mais tellement précise, deux anecdotes :

§Henry Fonda ne voulait pas du rôle de Frank, c'est l'acteur Eli Wallach (le truand dans Le Bon la Brute et le Truand) qui persuada Henry Fonda de prendre le rôle à contre-emploi de sa carrière. Fonda est d'autant meilleur qu'il avait 63 ans au moment du tournage et qu'il en paraît beaucoup moins lorsqu'on le voit plus jeune dans le flash-back.

§La scène d'ouverture devait être interprétée par Clint Eastwood, Eli Wallach et Lee Van Cliff en clin d'œil à son précédent film Le Bon La Brute et Le Truand. Mais Eastwood dont la carrière décollait, refusa car son personnage mourrait rapidement. Les deux autres acteurs déclinèrent à leur tour.

« Premier film de la trilogie des "Il était une fois..." et chef d'œuvre intemporel de Sergio Leone, "Il était une fois dans l'Ouest" n'a pas toujours joui d'une telle réputation. Retour sur l'itinéraire de l'œuvre maîtresse du western-spaghetti.

Une gare de fortune au milieu du désert. Sous un soleil de plomb, trois hommes vêtus de cache-poussières attendent patiemment l'arrivée d'un train. Avant que celui-ci n'entre en gare, la caméra s'attarde longuement sur leurs gueules patibulaires, les regards torves qu'ils s'adressent d'un air entendu, et l'expression insondable que dissimulent leurs traits impavides. Cette interminable attente, Sergio Leone en saisit toute la dramaturgie figée, et transforme une longue stase mutique – la séquence excède les dix minutes – en un ballet formel et sonore hypnotique. Du vrombissement d'une mouche piégée dans le canon d'un colt, aux gouttes d'eau perlant sur la calotte d'un chapeau, chaque détail infime prend une dimension opératique, le tout rythmé par le sifflement lancinant d'une éolienne grinçante. Et lorsqu'au gré d'une contre-plongée virtuose, le train finit par arriver en gare, c'est d'abord l'air plaintif d'un harmonica qui annonce l'entrée en scène d'un quatrième larron, tout de blanc vêtu, venu en découdre avec les trois autres. S'ensuivent un échange lapidaire, un face-à-face au zénith, et la mise à feu des charges patiemment disposées dans une fusillade éclair. La poudre a parlé : les trois hommes sont tués, le quatrième blessé. La caméra s'attarde alors, dans un léger travelling arrière, sur l'éolienne et son grincement métronomique, seul son rompant un silence de mort.

Western spaghetti

Si une séquence devait contenir à elle-seule tout le cinéma de Sergio Leone, ce serait certainement la longue ouverture, devenue mythique, d'Il était une fois dans l'Ouest, chef d'œuvre holistique du cinéma leonien, et point culminant du western-spaghetti. Pourtant, cette appellation culinaire d'un genre cinématographique qu'il a, sinon créé, du moins porté à son pinacle, Sergio Leone la rejeta farouchement. "Ce terme de 'western-spaghetti' est l'un des trucs les plus cons que j'ai jamais entendus de ma vie" déclarait-il dans une interview tardive. Si l'on peut comprendre sa défiance face à cette désignation bouffonne, qui doit son origine à un sarcasme du cinéma américain dissimulant péniblement sa pointe de jalousie, elle a depuis été entérinée, et reste instinctivement associée au cinéma de Leone. Le western méditerranéen, qui connaît un âge d'or flamboyant en Italie entre 1964 et 1973, avec pas moins de 400 westerns réalisés, n'est au final rien d'autre que la réappropriation par des cinéastes européens d'un genre mythique du cinéma américain, alors en perte de vitesse dans ses terres natales. Mais les codes, la grammaire et les intentions du western-spaghetti seront le fait de Leone, chef d'orchestre génial d'un genre qui aura dynamité le cinéma classique hollywoodien et redistribué les cartes.

Au début des années 1960, le western connaît un déclin progressif aux Etats-Unis, où il était jusqu'alors un genre roi, et devient, en dépit de quelques derniers succès comme Les Sept Mercenaires, le symbole passéiste d'une Amérique en transformation, qui délaisse les salles de cinéma avec la démocratisation de la télévision, et rêve de changements sociaux. C'est paradoxalement en Europe, et particulièrement dans les studios romains de Cinecittà, et dans les terres asséchées de la Sierra Nevada espagnole, que le genre connaît un second souffle. Après un premier péplum – Le Colosse de Rhodes en 1961 – le jeune Sergio Leone, fils d'un père cinéaste et d'une mère actrice, signe entre 1964 et 1966 la trilogie du dollar (Pour une poignée de dollarsPour quelques dollars de plusLe Bon, la Brute et le Truand) qui deviendra la pierre angulaire du western à l'italienne. C'est dépouillé de son manichéisme proverbial, et de sa parabole hagiographique, que renaît le western chez nos voisins transalpins. Il n'est plus question de glorifier les valeurs fondatrices de la nation américaine, largement mythifiées par les cinéastes hollywoodiens classiques, mais de rendre compte de l'âpreté d'une période charnière de l'histoire des Etats-Unis. Les vilains sont encore plus vilains, et les bons plus vraiment bons. Un monde où règnent l'individualisme et l'anomie, où l'ordre est réglé par la poudre, et où la loi en vigueur est celle du plus fort.

A l'italienne

Cette réactualisation des fondements du western va de pair avec une réactualisation de sa grammaire visuelle, dont Sergio Leone sera le grand instigateur. Tous les codes narratifs, dramaturgiques et stylistiques du western classique sont accentués jusqu'à les porter à l'incandescence. Le motif du duel, la figure de l'homme mystérieux qui arrive en ville, les cadrages exagérés, la dilatation du temps poussé à son point de rupture deviennent les notions fondatrices du langage cinématographique leonien. Un surlignage formel et une mise en scène baroque qui vaudront aux films de Leone d'être taxés de parodies ingrates et accusés de surplomber avec ironie le western classique en en exacerbant ou détournant les codes, mais dont le vocabulaire virtuose finira par infuser en profondeur le cinéma américain, notamment avec l'émergence du Nouvel Hollywood et sa vague de westerns dits "crépusculaires".

Si, à quelques exceptions près, Leone n'est pas reconnu par ses pairs et longtemps boudé par la critique, sa trilogie du dollar connaît en revanche un grand succès populaire, notamment en Europe et particulièrement en France, où chaque film dépasse les 4 millions d'entrées, Le Bon, la Brute et le Truand allant jusqu'à cumuler 6,3 millions de tickets écoulés à sa sortie française, hissant Clint Eastwood au rang de star mondial. Si bien que lorsque Leone, après avoir conclu sa trilogie, veut adapter le roman The Hoods de Harry Grey (qui deviendrait plus tard Il était une fois en Amérique), ses producteurs l'incitent à réaliser un autre western. C'est ainsi que naît Il était une fois dans l'Ouest, œuvre maîtresse du western selon Leone, et film-somme condensant toutes ses obsessions.

Une odeur de poudre

Il y a fort à parier que le public, qui a réservé un accueil tonitruant au film à sa sortie en 1969 (il cumula plus de 14 millions d'entrées en France), ait lui-même participé à l'image de parodiste qui a longtemps collé à Leone, prenant son plaisir dans une sorte de second degré, de vision ironique du western. Pourtant, cinquante ans plus tard, et le temps faisant son effet, Il était une fois dans l'Ouest fait moins figure d'objet parodique que de grand film classique, le plus imposant et personnel de son auteur avec Il était une fois en Amérique. Passée l'ouverture magistrale citée en introduction, le film s'empoussière dans une fable noire et corrosive sur un Ouest américain à la croisée des époques, où l'industrialisation galopante des territoires sauvages charrie son lot d'intérêts brumeux et de règlements de comptes sanglants. Leone fait de la lutte d'intérêts pour l’appropriation des terres que traverse la construction du chemin de fer, une odyssée baroque et poisseuse sur la folie des hommes, leur moralité chancelante l'avidité mortifère qui guide leurs actes. La conquête de l'Ouest comme le sanctuaire inviolable des valeurs fondatrices de l'Amérique en prend pour son grade, et Leone oppose à la sauvegarde d'un mythe entretenu par plus d'un demi-siècle de cinéma américain, son goût pour le sacrilège.

Le cinéaste substitue au traditionnel "cow-boyscout" initié par John Wayne, la figure du vieux roublard mystérieux, légende poussiéreuse d'un mythe contrefait. Toute la galerie de personnages du film répond à des archétypes identifiés du genre, que Leone détourne en laborantin fou, les disséquant pour mieux les déconstruire. Outre Charles Bronson dans le rôle de l'homme à l'harmonica, vagabond taiseux en quête d'une vengeance dont on découvrira tardivement le motif, Claudia Cardinale, comme toujours fabuleuse, hérite du rôle d'une ancienne prostituée, récente veuve qui découvre la rugosité du Far West, seule personnage féminin et lumineux au sein d'un monde d'hommes (souvent épouvantables), où l'ombre règne sans partage. Henry Fonda, jusqu'alors cantonné aux rôles de héros valeureux, se voit confier la partition à contre-emploi d'un tueur impavide et glaçant, embauché par le patron du chemin de fer pour éliminer tous les obstacles susceptibles d'en enrayer la construction.

Co-écrit par Sergio Leone, Sergio Donati, mais aussi Dario Argento et Bernardo Bertolucci (alors à l'aube de leurs carrières de cinéastes), Il était une fois dans l'Ouest mêle à son naturalisme cru (la reconstitution fidèle de l'Ouest américain et la restitution sans fard de sa violence) un symbolisme jamais balourd, qui confère au film une dimension furieusement opératique. La formidable partition d'Ennio Morricone, qui restera longtemps en tête des hit-parades, surligne autant qu'elle motive les envolées formalistes de Leone, chaque thème accompagnant un personnage différent, leur multiple variation épousant leurs états d'âme successifs. D'Ennio Morricone, ancien camarade de classe du cinéaste, presque aussi (si ce n'est plus) célèbre que lui, Sergio Leone disait qu'il n'était pas son musicien, mais son scénariste. L'accompagnement musical, dont les thèmes étaient joués sur le plateau pour mieux imprégner les acteurs, participe à la théâtralisation du film qui l'apparente parfois à un grand opéra baroque.

Quand on l'interrogea sur la réappropriation par un Italien du mythe, par essence américain, du western, Sergio Leone, qui avait fait ses armes sur des péplums, déclara ceci : "Agamemnon, Ajax ou Hector sont les archétypes des cow-boys d'hier : égocentriques, indépendants, héroïques, fripouilles, et tout ça en grand, à des dimensions mythiques". Cette dimension mythique que revêt la conquête de l'Ouest dans les films de Ford ou de Hawks n'a en rien déserté le western-spaghetti selon Leone, mais a vu sa mythologie se déplacer à la faveur d'une relecture assombrie, plus aiguisée factuellement, et résolument baroque de l'histoire américaine. Et si Il était une fois dans l'Ouest a connu un triomphe en Europe, il en va autrement aux Etats-Unis, où il reçut un accueil mitigé. La faute en partie, dit-on, au refus du public américain de voir Henry Fonda dans un rôle de tueur d'enfant. Mais ce rejet doit certainement aussi tenir au dépouillement symbolique par un cinéaste étranger d'un genre historiquement réservé au cinéma américain.

Depuis maintenant plusieurs décennies, Sergio Leone est largement reconsidéré par la critique et les cinéastes, qui l'ont finalement adoubé comme l'un des cinéastes les plus importants de son temps, et le réalisateur de chefs d'œuvre intemporels, dont le dernier, Il était une fois en Amérique (qui clôture la trilogie des Il était une fois) est souvent considéré comme l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma. En témoigne la sortie ce mercredi d'Il était une fois... à Hollywood de Quentin Tarantino, cinéaste acclamé et adorateur revendiqué de Sergio Leone, qui n'a eu de cesse de rendre hommage à son cinéma, jusqu'à titrer son dernier film en référence à ses films. La boucle est bouclée ? »

Sorti en 1968

Ma note: 20/20