Personnage et émotion

Nos moments les plus révélateurs sont ceux où nous ressentons le stress. Qu’est-ce que le stress ? La tension mentale qui naît de l’émotion.
Qu’est-ce que l’émotion ? Pour simplifier, c’est aimer ou ne pas aimer, se sentir bien ou se sentir mal à propos de quelque chose.

L’émotion, le fait de se sentir bien ou mal par rapport à quelque chose, est ce qui donne une direction au personnage. Si quelque chose lui donne du plaisir, il le recherche. S’il lui donne de la douleur, il l’évite.
La direction est ce qui nous fait prendre conscience qu’un personnage est vivant. Sans elle, une personne ou un personnage est presque un légume, qui respire et qui existe peut-être, mais qui ne va nulle part. Ces propos sont ceux de Dwight V. Swain dans son livre Creating Characters… How to build Story People.

Mr Holcomb

Voici un petit homme timide, M. Holcomb. C’est un homme qui se fond dans le décor. En ce qui concerne la plupart d’entre nous, il pourrait aussi bien ne pas exister.

Mais un jour, quelque chose pousse M. Holcomb à faire preuve d’émotion. Quelque chose le rend furieux ou heureux – un voyou piétine la pelouse fraîchement ensemencée de Mr Holcomb ou bien sa voisine célibataire dont Mr Holcomb est secrètement amoureux lui offre un gâteau de Saint Valentin.

Ou bien sa sœur, le seul parent qui lui restait, meurt. Quelque chose comme ça. Dans ces moments là, M. Holcomb peut se mettre à hurler, à scintiller de mille feux ou chercher à se pendre. Et s’il en est ainsi, c’est parce que, d’un seul coup, il existe… Il prend une nouvelle dimension et acquiert un objectif.

M. Holcomb se préoccupe enfin de quelque chose, que ce soit sa pelouse, sa voisine ou sa sœur disparue, il réagit à quelque chose qui l’affecte.
En un mot, l’émotion lui a donné vie.

L’émotion se communique

En fait, le problème n’est pas seulement que la personne (ou le personnage) concernée a révélé une émotion. C’est parce qu’en montrant ses émotions, elle a aussi éveillé des émotions en nous.
En ressentant fortement, elle nous a amené à ressentir aussi.

C’est d’ailleurs ce que signifie l’empathie, confirme Dwight V. Swain. Cela signifie que nous ressentons avec l’autre.
En aidant les lecteurs à s’identifier aux personnages de l’histoire, vous, en tant qu’auteur, leur vendez de l’émotion… c’est votre habileté à éveiller en eux des sentiments, bons ou mauvais.

émotion

Sentiments et émotions ont des formes et des intensités diverses et variées. Une telle image par exemple évoque certainement une émotion ou un sentiment trouble pour la plupart d’entre nous.

Et bien que souvent négligés, la routine quotidienne ou l’inaptitude ou la stupidité dont nous avons nous-mêmes fait l’expérience peuvent grandement nous aider à ressentir de la compassion et de la sympathie pour un personnage.

Dwight V. Swain nuance néanmoins son propos en précisant que l’émotion recherchée (l’effet recherché en fait) doit être considéré selon le lectorat visé au goût et aux préjugés aussi divers et variés que les émotions qu’il peut ressentir.

De plus, ajoute Swain, la plupart des lecteurs préfèrent les fictions qui embrasent leurs émotions et évoquent leurs sentiments le plus tôt possible. Ils cherchent la promesse que quelque chose d’intéressant, c’est-à-dire émotionnellement intéressant, va se produire, et le plus tôt sera le mieux.

Pour ceux que cela peut intéresser, je me suis livré dans le forum Dramatica à l’analyse de Days Gone By, le pilote de The Walking Dead. Vous constaterez que cet épisode est imprégné d’émotions et de sentiments tels que les conçoit Dwight V. Swain.

Cet épisode met aussi en avant un principe important de toute fiction. Il faut accrocher le lecteur le plus rapidement possible.

La nécessaire accroche

Une accroche peut être définie comme une scène marquante au début d’une histoire et qui s’explique d’elle-même (c’est-à-dire qu’elle n’aura peut-être aucun rapport avec l’intrigue à venir) et qui plonge un personnage (le héros ou l’héroïne, de préférence) dans le danger d’une manière qui intrigue vos lecteurs.

D’ordinaire, vous le faites en faisant craindre que quelque chose se produise ou non. Par exemple, dans Les dents de la mer, une histoire qui concerne la menace d’un requin dans une zone balnéaire, le requin est introduit tôt.

L’allusion au désastre à venir est fascinante. On ne peut s’en défaire.
Parmi les autres stratagèmes qui se sont révélés très efficaces à un moment ou à un autre, on peut citer le cas du héros qui se réveille pour trouver une fille assassinée partageant son lit. Et l’histoire qui s’ouvre sur un sinistre personnage qui pose subrepticement une bombe sous le canapé sur lequel d’autres personnages prennent place quelques instants plus tard serait un infaillible dispositif dramatique.

Swain va même encore plus loin. Dans sa forme la plus simple, l’accroche repose en fait sur un personnage engagé dans une action motivée, qu’elle soit ou non apparemment liée à l’histoire générale (Dramatica nomme cette histoire générale l’Overall Story Throughline).

Ce qui compte, c’est que cette scène ou séquence présente le personnage comme ayant une direction (ce qui justifie sa présence ou l’existence même de la scène), étant impliqué dans une action au but relativement sans conséquence, ce qui donne une scène qui met le personnage en position de danger ; son existence ordonnée est perturbée.

Une question de direction

On pourrait peut-être objecter ici à la lecture de Swain qu’il confond en un élément dramatique l’accroche et l’incident déclencheur. Ce qui compte pour Swain est que l’auteur expose un personnage qui a une direction. Voyons la définition de Direction selon la théorie narrative Dramatica (toujours fort utile lorsque certaines difficultés surgissent).

Considérée comme un élément de caractérisation d’un personnage (et en particulier du personnage principal), Direction est la réponse du personnage principal à ses problèmes apparents. On peut dire immédiats. Nous sommes dans l’immédiat, le personnage doit apporter une réponse ici et maintenant.

Un personnage principal ne peut jamais être sûr que ce qu’il croit être la source de son problème est vraiment la source de son problème. Quoi qu’il en soit, sur la base de ses problèmes apparents, il déterminera une solution ou une orientation potentielle qui, espère-t-il, fonctionnera comme une solution. L’unité dramatique qui décrit ce qu’un personnage principal considère comme la voie vers une solution est la direction du personnage principal.

Maintenant, si l’on reprend la pensée de Swain, le problème apparent serait donc de placer le personnage en position de danger. Le problème immédiat est la perturbation de l’ordonnancement trop bien réglé du quotidien du personnage.

Il faut aussi s’interroger sur le comment de cette perturbation. Comment une telle perturbation peut-elle être possible ? Non seulement le personnage est dérangé mais le lecteur voudra aussi obtenir des réponses. C’est comme une promesse que l’auteur devra tenir.

Donc, lorsque Swain dit que le personnage est impliqué dans une action au but relativement sans conséquence, j’ai cru bon d’ajouter qu’il s’agissait de l’Overall Story Throughline de Dramatica parce que ce trouble n’appartient pas de fait à la ligne dramatique de l’histoire mais à celle de son personnage principal et toutes deux sont différentes bien qu’elles participent à la constitution du tout qu’est l’histoire.

Ce qui différencie cette direction est qu’elle n’initie pas l’intrigue contrairement à l’incident déclencheur même si elle est causée par un changement dans le mode d’être actuel du personnage le forçant à faire quelques ajustements.

Le danger au cœur du récit

Pour Dwight V. Swain, chaque récit est l’histoire de quelqu’un qui fait face au danger et qui doit gérer sa situation.

D’une manière ou d’une autre, un changement quel qu’il soit constitue un danger. Que ce soit un rendez-vous amoureux auquel l’autre ne se rend pas ou l’héroïne qui découvre que le poste qu’elle briguait a été donné à la fille du patron et que celle-ci n’y connaît manifestement rien.

Le fait est que le changement exige que nous nous adaptions, que nous nous adaptions à un nouvel ensemble de règles, à une circonstance différente. Mais il se peut que nous ne puissions pas réussir cet ajustement, même si la modification demandée semble mineure.

Par conséquent, elle constitue une menace et présente un danger potentiel. Plus le statu quo est important pour un personnage, plus l’émotion qu’il suscitera sera grande. Plus l’on tient à ce que l’on possède et plus la crainte de le perdre est mordante.

Et même quand un événement paraît anodin, la causalité ajoutera son grain de sel. Un événement trivial en entraîne un autre un peu plus dérangeant qui lui-même excitera quelque chose plus gênant encore jusqu’à ce que le personnage au centre de ces événements ressente un véritable trauma, une expérience pour le moins désagréable et qui fera davantage réagir le lecteur.

Mais c’est la façon dont vous devez apprendre à penser si vous voulez être auteur. En effet, il semble à Dwight V. Swain que l’une des qualités les plus vitales pour un auteur est la capacité à voir les potentialités d’un désastre imminent dans tout ce qu’il se passe.

Comprenez ce que signifie danger. Ce n’est pas forcément la mise en danger de la vie d’autrui ou de sa propre existence. Danger, dans la pensée de Swain, signifie que l’ordre des choses est bouleversé. Tout comme le fait un incident déclencheur.

Seulement, ce qui est recherché ici, c’est l’émotion suscitée par ce bouleversement. L’effet recherché ne participe pas à la mise en intrigue, plutôt à la définition du personnage, aux circonstances dans lesquelles il se trouve.

Une réaction naturelle

Les faits, les détails, s’accumulent et d’eux-mêmes suscitent une réaction de la part des lecteurs. Pourquoi ? Parce que nous, le lecteur, sommes conditionnés à réagir à certaines choses d’une certaine manière, c’est-à-dire avec certaines émotions. Le fait même de la mort ou du sexe ou d’un danger potentiel ou d’une humiliation évoque un sentiment.
Le comportement d’un personnage dans une situation impliquant un chien, un bébé ou un couple âgé caractérise le personnage et crée une émotion. Il en va de même pour la représentation de frustrations, comme lorsque quelqu’un a du mal à réparer un robinet, à élever des poissons tropicaux ou à s’occuper d’un enfant rebelle de sept ans… parce que les lecteurs ont eux-mêmes été frustrés. (En prime, elle apporte également des touches humaines et renforce ainsi l’identification et l’empathie).

Et Dwight V. Swain insiste que ce qui compte est que vos personnages majeurs exposent d’une manière ou d’une autre un but et une direction, en somme, une intention.

Le personnage n’a pas nécessairement besoin de savoir qu’il a un but. Il suffit peut-être qu’il se comporte comme s’il cherchait à atteindre un objectif : le garçon qui casse « accidentellement » un plat parce qu’il ne veut pas faire la vaisselle, ou qui tentent maladroitement d’attirer inconsciemment l’attention d’une fille ; l’homme qui échoue constamment lorsqu’il est contraint de faire un travail qu’il estime trop dur pour lui ; la femme qui, convaincue qu’elle n’est pas attirante, s’habille de manière à souligner ses défauts.

Nous pouvons tous penser à une douzaine de cas réels sans même essayer. Le problème est que, lorsque l’action se heurte aux mots, nous jugeons un homme par ce qu’il fait et non par ce qu’il dit – et le même principe s’applique dans la fiction. On met en actes le langage et on en tire des conclusions. Et en fiction, ces conclusions sont orientées selon un certain effet voulu par l’auteur.

Cependant, un personnage principal, un héros, s’avérera généralement plus satisfaisant et plus facile à travailler s’il essaie consciemment de faire quelque chose, d’accomplir quelque chose – c’est-à-dire s’il essaie de changer un aspect de la situation à laquelle il est confronté et rencontre des difficultés dans le processus.

Les problèmes s’amoncellent

L’une des raisons en est que l’émotion est plus forte – c’est-à-dire que l’intérêt est généré lorsque l’effort orienté vers un but est frustré que lorsque la routine (elle-même action) se déroule simplement en ligne droite, sans complications.
Pour essayer d’accomplir quelque chose, de changer quelque chose, le personnage doit nécessairement être sous l’emprise d’une émotion. Il a juste envie – il a juste envie de faire quelque chose, ou de ne pas le faire.

Tout ce qui ne lui donne pas envie de faire ou de ne pas faire ce qu’il fait, ne vaut pas la peine d’être mis dans votre histoire.
Comment créer une émotion dans un personnage ? La meilleure façon est de commencer par ressentir l’émotion vous-même, conseille Dwight V. Swain. Pour ce faire, recherchez dans votre propre vécu les moments où vous avez ressenti une forte émotion.

Ces moments ne doivent pas nécessairement être liés à votre personnage ou à votre histoire. Il suffit que vous les ayez ressenti.
Pouvez-vous vous souvenir d’un moment où vous étiez tellement en colère contre quelqu’un que vous souhaitiez le tuer ? Vous l’avez vraiment souhaité, à un point tel que vos poings tremblaient et que vos mâchoires vous faisaient mal ?

Revivez ce moment émotionnellement dans votre mémoire. C’est le souvenir de l’émotion et non des circonstances qu’il faut rappeler. Remémorez les détails (et non la situation) qui ont créé cet état émotionnel.

Ensuite, attribuez certains de ces mêmes sentiments à votre personnage, en les sélectionnant et en les organisant pour qu’ils aient un impact, en les traduisant en mots pour que vos lecteurs les ressentent comme vous l’avez fait. Pour Swain, tout but que l’on se fixe, s’enracine dans une émotion. L’émotion devient le souffle de vie d’un personnage fictif.

Impliquer le lecteur

En ce qui concerne le problème de la caractérisation, nous devons accorder une grande attention à la réaction des lecteurs, souligne Dwight V. Swain. Alors, comment créer des personnages qui plairont aux lecteurs ?
Pour commencer, le personnage qui nous intéresse est en quelque sorte comme nous. Il n’est pas nécessairement physiquement comme nous, mais comme en termes d’attitudes, de normes et de croyances, des choses qui nous intéressent et que nous estimons importantes.

On se sent plus à l’aise avec ceux qui partagent nos convictions et nos croyances. Ainsi, même si vous tolérez la vie dans une société qui vous met aux côtés de ceux qui ont des opinions opposées, vous n’apprécierez probablement pas de lire des histoires mettant en scène des héros ou des héroïnes qui reflètent de tels modes de vie et dont le comportement est diamétralement opposé à vos normes.

De plus, les valeurs changent selon les époques et les cultures. Bien sûr, une héroïne ou un héros n’ont pas besoin de partager toutes les croyances et toutes les attitudes de l’auteur. Une femme fatale qui est aussi un tueur international ne se rencontre pas si souvent.

Mais chacun a, en outre, quelques aspects d’un point de vue commun avec le lecteur ; un sentiment auquel le lecteur peut s’identifier, comme lorsque le héros se préoccupe profondément du bien-être de sa mère ou que l’héroïne aspire à un foyer et à des enfants.

Mais une fiction qui se contente de dépeindre les gens qui nous ressemblent ne suffit pas pour un personnage – surtout un personnage principal. Un tel personnage ne doit pas seulement être comme nous, il doit être comme nous et plus encore, de la même manière que Superman est comme nous, et plus encore, remarque Dwight V. Swain.

Plus précisément, le personnage doit dépasser les limites de la réalité en ce sens qu’il relève des défis qui nous dépassent. À cette fin, il doit avoir une qualité que, secrètement, nous souhaitons tous avoir, mais que souvent nous n’avons pas, souligne Swain.
Cette composante est le courage, le genre de courage qui permet à un héros de défier le sort que la vie lui a réservé dans son récit. Cela ne s’appelle peut-être pas nommément le courage mais quelques onces de courage sont implicitement convoquées dans le fait que le personnage réagit comme il le fait face à un désastre certain.

Un édifiant courage

Un tel courage élève le personnage au-dessus de la masse (même si vous ne le dites pas nécessairement à vos lecteurs) et lui donne la force de se battre, de gagner ou de perdre. Là où la plupart d’entre nous reculeraient, abandonneraient, s’avoueraient vaincus, il refuse d’accepter la défaite.

Face au coffre-fort qui ne peut pas être ouvert, il l’ouvre. On lui refuse des réponses à de sombres non-dits, il braque les projecteurs sur ces douloureuses questions. Le cataclysme est une chose qu’il rencontre de front, ainsi que tous les problèmes de moindre importance qui découlent du changement sur lequel votre histoire est construite.

Une histoire est un mouvement et ce mouvement se manifeste dans le changement. Comme toute conversation où les interlocuteurs cherchent à changer l’autre par la simple profération de leurs discours respectifs.

Nous aspirons tous à un tel courage, dit Swain. Il nous lie à une histoire avec une admiration pour ce personnage plus grand que nature qui le possède. Consciemment ou non, nous nous réjouissons à l’idée d’être comme lui, de sorte que l’histoire dans laquelle il apparaît nous procure cette agréable libération des émotions qui nous soumettent (comme la frustration par exemple) et que les psychologues appellent catharsis.

Ce modèle est au cœur du phénomène de l’identification du lecteur – un terme souvent mal compris qui signifie seulement que le comportement d’un personnage dans la situation dans laquelle il est jeté est tel qu’il excite et fascine les lecteurs et leur donne un sentiment de satisfaction quant à la résolution de l’histoire, précise Swain.

De plus, un aspect souvent négligé de cette représentation est que les lecteurs ne s’identifient pas à un seul personnage dans une histoire. À différents moments et pour différentes situations, le comportement des autres personnages de l’histoire peut être mis en avant, car ils font preuve d’un comportement intriguant et de sang-froid, de sorte que le lecteur s’identifie à chacun d’eux à tour de rôle.

Concevoir un personnage suffisamment redoutable pour relever de tels défis peut vous obliger à examiner l’histoire passée du personnage, ses antécédents, ajoute Dwight V. Swain.

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