Écrire des histoires

Par William Potillion @scenarmag

Les auteurs écrivent pour autant de raisons qu’il y a d’histoires et d’auteurs, souligne Martha Alderson. Les histoires que nous racontons viennent de l’extérieur de nous-mêmes. C’est comme si la muse, à la recherche d’un passage, se raccordait à notre imagination.
Certains disent que l’impulsion d’écrire vient de l’intérieur (un mélange d’intuitions, d’expériences et d’imagination), et que les auteurs écrivent ce qu’ils connaissent, ce qui fait partie de leur propre expérience, qu’ils extériorisent et transforment en l’extériorisant.

Selon Martha Alderson, le moment d’un rêve ou d’un brin d’inspiration qui vous pousse à vous asseoir et à écrire vous offre l’histoire exacte nécessaire pour activer non seulement votre propre transformation personnelle mais aussi celle du lecteur.

Écrire est en effet un acte de communication et cet acte cherche à transformer mutuellement les deux interlocuteurs impliqués dans l’acte, quels qu’ils soient, un auteur et son lectorat par exemple.

L’universalité des histoires

Les histoires ont un fond commun. Ce qui les rend universelles.
Ainsi, pour Martha Alderson, cela rend moins enclin l’auteur à donner à son ego la pleine paternité d’une histoire (dans le sens de fiction et non de vécu). C’est peut-être une interprétation personnelle de l’imaginaire collectif selon Martha Alderson.

Cette sorte de partenariat entre l’individu et le reste du monde (essentiellement autrui) vous aide à faire ce qui doit être fait pour le bien de l’histoire et vous prépare à travailler de concert en vous-même et à l’extérieur de vous-même.

Quelle que soit leur forme, toutes les histoires suivent le même schéma fondamental que la nature. La vie naît, s’étend de l’avenir au passé en passant fugitivement par le présent, puis se contracte et se ferme (en comparant avec l’être humain, nous aurions une naissance, une enfance, une adolescence, un âge adulte, une maturité, une sénescence (le tout début de la sagesse pour certains) puis l’aboutissement de toute vie), pour ensuite recommencer (ce dont cherche d’ailleurs à se libérer les sages de l’Inde que sont les Sâdhus, par exemple).
Il est cependant plus facile de faire du nouveau avec les histoires qu’avec les êtres humains.

De la même manière, l’énergie de toutes les histoires fluctue en cours de route. Cette énergie, dans la pensée de Martha Alderson, n’est pas à confondre avec la force, l’élan qui pousse un récit vers l’avant. Cette énergie à laquelle pense Alderson est analogue à l’évolution car quelque chose qui stagne est condamné.

Il me semble qu’il faut comprendre cette proposition d’Alderson comme certes une succession d’événements entre un début et une fin mais des événements dont l’intensité varie. C’est dans ce flux et ce reflux de tension (dramatique) que le lecteur s’imprègne de l’histoire, qu’il perçoit cette histoire non seulement en prenant conscience de la portée de l’événement sur l’histoire mais aussi sur lui en l’accompagnant aussi de réflexion après coup (c’est le principe de l’aperception).

La tension dramatique

Le rythme des fluctuations de la tension (au sens d’intensité dramatique) est étroitement lié au genre des histoires racontées. Une comédie ou un thriller possèdent des rythmes différents.

Alors que la profondeur de l’intensité dramatique est difficilement mesurable parce que subjective (l’effet recherché dépend du vécu du lecteur, de ses expériences personnelles), le rythme peut être qualifié de rapide ou de lent.

Certaines histoires se déroulent rapidement telle Fighter de David O. Russel où l’action et le suspense invitent à savoir ce qu’il va bien pouvoir se passer ensuite (une anticipation souvent trompée par un effet de surprise).

D’autres histoires telles Leçons de conduite de Anne Tyler (adaptée par John Erman) serpentent autour de l’étude du développement émotionnel d’un personnage, ce qui implique un rythme plus indolent. Cela ne signifie en rien qu’il n’y a pas une intention de l’auteur (un effort de sa volonté), seulement pour qu’une telle entreprise soit intelligible, il lui est nécessaire de ne pas précipiter les choses.

Un récit aux profondes racines

L’histoire universelle est l’histoire de la vie dit Martha Alderson. Depuis bien avant que le temps n’en garde des traces, elle transforme de simples mots en chefs-d’œuvre. Dès les premiers jours de l’humanité, ceux qui racontaient des histoires étaient invités à s’asseoir près du feu et on leur offrait les plus grandes portions de nourriture.

Leurs histoires, transmises oralement et mémorisées, touchèrent une corde primordiale. Cette première forme de l’histoire universelle est toujours d’actualité. Inconsciemment, le lecteur la recherche.

On la retrouve dans le schéma régulier et prévisible du chant chanté par la baleine à bosse. Exploitez cette histoire universelle et orientez votre histoire pour vous connecter avec vos lecteurs à un profond niveau. Telle est l’invite à laquelle nous convie Martha Alderson.

Trois phases constituent cette histoire universelle :

  1. Confort et Séparation
  2. Résistance et Lutte
  3. Transformation et Retour

Au commencement, Confort et Séparation

Que ce soit dans un roman ou dans la vie, les débuts constituent le fondement sur lequel repose tout le reste. Les débuts, bien que fragiles, incarnent un désir et un espoir. Le commencement des histoires suit des éléments clairement définissables d’exposition et de fondement.

Dans le premier acte, les trois grandes lignes dramatiques de l’histoire sont présentées. Ces trois éléments sont l’action dramatique, le développement émotionnel des personnages et la signification thématique : le qui, le quoi et le pourquoi.

Cette solution relativement élégante laisse cependant l’aspect pratique comme en suspens. Pour approfondir cette proposition, vous pourriez vous intéresser à la théorie narrative Dramatica. L’action dramatique pourrait être vue comme la description des événements du récit que le lecteur observe et qui sont vécus par l’ensemble des personnages.

Le développement émotionnel des personnages concerne l’arc dramatique qui présente au lecteur le point de vue subjectif puisque chaque personnage vit les événements objectifs de manière très personnelle.

Quant à la signification thématique, il est facile de comprendre le qui. Le quoi pourrait être un peu plus délicat. Si le qui est le personnage principal par exemple, le quoi serait alors son objectif, sa raison d’être dans cette histoire.

Mais pour un thème, cette définition demande à être développée. Si le thème est la famille par exemple, le personnage principal pourrait être à la recherche de sa fille disparue. Nous avons le qui, un père et sa fille, nous avons le quoi, un père recherche sa fille et le pourquoi, parce qu’elle a disparu. La question pourquoi exige une réponse parce que…

Mais pourquoi est insuffisant pour le thème. Il manque une autre question qui donnera plus de clarté à l’histoire : Comment. Comment cette fille a-t-elle disparue ? Comment est-il seulement possible qu’elle ait pu disparaître ? Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ?…

Au début de Sa Majesté des Mouches, l’auteur William Golding met en intrigue le développement émotionnel des personnages. Nous apprenons que le personnage principal (et protagoniste) est Ralph, un garçon enjoué, curieux et gentil.

Golding nous donne un aperçu des autres écoliers britanniques échoués avec Ralph sur l’île, en montrant un peu de la composition émotionnelle et psychologique des principaux personnages.

L’action dramatique est lancée avec un dilemme central : un groupe de jeunes garçons a été abandonné sur une île tropicale sans surveillance adulte et attend d’être secouru.

Parallèlement au développement dramatique de l’histoire, Golding présente au lecteur une mise en intrigue (c’est-à-dire l’ordonnancement particulier des événements) thématique qui traite de la manière dont une société imparfaite peut être attribuée à des défauts de la nature humaine. Notez au passage la responsabilité que prend un auteur dans le message qu’il tente de communiquer (avec ses propres arguments en fin de compte).
Mais peut-être que là, William Golding se soit inspiré de Jean-Jacques Rousseau à sujet de ses essais sur le contrat social et les possibles origines des inégalités entre les hommes.

William Golding précise lui-même ce thème avec le commentaire suivant : … les gens ne sont jamais tout à fait ce que vous pensez qu’ils soient.

Le contexte

Deux autres questions devraient obtenir une réponse dans cet acte Un : Quand et Où. Ainsi le contexte devient la description d’un espace et d’un temps singulier.

Un sens clair du temps et du contexte de l’histoire… ferre le lecteur dans celle-ci, ajoute Martha Alderson. Les détails sur la période et le lieu envoient le lecteur encore plus loin.

Le quand ne concerne pas l’organisation des événements dans l’histoire (analepse et prolepse essentiellement, ainsi le prologue de Days Gone By, le prologue du pilote de The Walking Dead, nous montre un aperçu d’un événement futur).

Il s’agit de situer le contexte de l’histoire. Le quand rejoint le .

Voilà où nous en sommes au début de l’histoire. Les personnages ont été rassemblés, leurs objectifs ont été définis et le thème de l’histoire a été anticipé. Le lieu de l’histoire a été établi, ainsi que le cadre temporel, à la fois immédiat – la nuit ou le jour – et large – la saison, l’année ou l’époque.

Les débuts sont des temps de rêves grandioses d’évasion, de succès, de changement et de possibilités. Cela est vrai non seulement pour le protagoniste de votre histoire, mais aussi pour vous, précise Martha Alderson.

Un acte Un

Les auteurs restent souvent trop longtemps dans la phase d’introduction du récit. Cela est compréhensible. On a tendance à s’enflammer un peu trop au début. Vous apprenez à connaître vos personnages. Vous vous retrouvez à raconter toutes sortes de détails importants sur eux et sur l’histoire. Au moins, vous pensez qu’ils sont importants.

Il n’y a rien de mal à cela dans le premier jet de votre projet. Dans les versions suivantes, vous devrez réduire cette introduction à une longueur raisonnable et réduire ces détails à l’essentiel de ce que le lecteur doit savoir pour poursuivre l’histoire.

Si, dans la deuxième, troisième ou quatrième version, vous vous trouvez encore à tâtonner sur des détails, vous avez un problème.

En s’attardant trop au début, on risque de s’aliéner son lecteur. Le lectorat se fatigue vite des présentations et veut que quelque chose de grand se produise. Le lecteur est impatient d’arriver à la bonne partie, au cœur même de l’histoire. En clair, personne ne s’intéresse à vos personnages tant qu’ils n’ont pas fait quelque chose d’intéressant, affirme Martha Alderson.

D’un autre côté, une introduction insuffisamment développée ne prépare pas le lecteur à suivre comme il faut l’histoire en devenir.

Martha Alderson conseille d’introduire un personnage à la fois, en commençant par le protagoniste. Donnez au lecteur la possibilité de s’imprégner du style de l’histoire, de se familiariser avec le cadre spatio-temporel et de se concentrer sur le personnage principal.

Les lecteurs peuvent facilement se sentir dépassés lorsque vous présentez trop de personnages à la fois, ce qui les oblige à retenir beaucoup d’informations spécifiques au départ.

  • Établir le moment et le lieu de l’histoire.
  • Mettre en place l’action dramatique et le conflit sous-jacent qui se déroulera tout au long de l’histoire.
  • Présenter les principaux personnages, en donnant au lecteur une idée de leur identité, de leur façonnage émotionnel et du poids qu’ils ont dans l’histoire.
  • Faire allusion au thème.
  • Présenter l’objectif à court terme du personnage principal (son désir) et donner un indice, au moins, de son objectif à long terme (son besoin).

Chacun de ces éléments, que vous présentez dans le premier acte de l’histoire, établit un contrat entre vous et vos lecteurs, dit Alderson. Il leur fait une promesse sur ce qu’ils doivent attendre de votre histoire et les avertit du même coup des limites de votre récit – il s’agit de certaines choses et pas d’autres.

Le passé du personnage

Ne racontez pas le passé d’un personnage avant que les lecteurs n’aient eu la chance de le connaître. Toute la douleur et la souffrance, le traitement injuste, le drame familial et les autres choses horribles qui sont arrivées au protagoniste dans le passé – si vous racontez cela dans l’acte Un avant que les lecteurs n’aient eu la chance de s’intéresser au personnage, vous les éloignerez.

Car le passé crée de la distance. L’intimité avec un être permet de s’ouvrir à lui. Votre lecteur peut éprouver de la sympathie pour le passé de votre protagoniste mais il est plus probable qu’il cherchera des excuses pour arrêter de lire si vous le plongez trop tôt dans un vécu étranger qu’il n’est pas prêt à recevoir.

Dans le premier acte, vous invitez le lecteur à développer une relation avec votre personnage principal. Tout comme lorsque vous rencontrez quelqu’un pour la première fois, commencez par montrer le meilleur du personnage. Montrez ses points forts.

Faites des allusions néanmoins à ses faiblesses et à ses défauts, mais gardez-les plutôt en arrière-plan, plus comme des signes que comme d’indélébiles empreintes qu’elles sont en réalité. Cela donne au lecteur le temps d’apprendre à connaître et à aimer le personnage principal.

Plus le lecteur se sent à l’aise avec le personnage, plus il est susceptible d’endurer les défauts, les peurs et les préjugés du protagoniste (s’il est aussi personnage principal) et de lui pardonner quand il révèle le côté sombre de sa personnalité.

Martha Alderson ne conseille pas de se lancer dans une biographie très détaillée de ses personnages. Mais alors que dire ?

La curiosité du lecteur

La curiosité attire le lecteur dans le monde de l’histoire. Si vous donnez tout d’emblée, vous pouvez perdre le bénéfice de cette curiosité naturelle.

Plus vous attendez pour mettre au jour les images du passé d’un personnage, l’explication de ce qui, dans son passé, a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui, plus l’impact de la révélation est important. Le moment où le protagoniste a suivi des chemins de traverse qui l’ont mené de Charybde en Scylla se produit souvent des années avant le début de l’histoire. Mais il n’y a aucune raison de toujours partir de ce point. Un action est bien plus frappante lorsqu’elle débute in media res.

Les auteurs essaient toutes sortes de dispositifs pour mettre en valeur ce moment. Le flashback (ou analepse) est l’un des plus courants, tout comme le résumé (qui peut devenir très maladroit très rapidement) et le fait d’intégrer les détails du passé du personnage dans les dialogues.

Résistez à l’envie de tout cumuler sur vos personnages au début. Ce que vous laissez de côté est aussi important que ce qui reste caché, avertit Martha Alderson.

Lorsqu’un personnage apparaît dans une scène au début de l’histoire, donnez au lecteur juste assez d’informations sur ce personnage pour donner du sens à cette scène particulière. Retenez toute information qui n’est pas essentielle.

Ne provoquez pas inutilement vos lecteurs en les forçant à imaginer les détails manquants, mais ne les surchargez pas non plus d’informations. Invitez-les plutôt à poursuivre leur lecture, pour savoir ce qu’il se passe ensuite. Progressivement, ils comprendront les personnages et les raisons pour lesquelles ils agissent comme ils le font. Mais ne vous précipitez pas pour en arriver là, conseille Alderton.

Les analepses, surtout au début d’une histoire, créent une désorientation temporelle. C’est une technique utile si elle est bien faite, mais elle est mieux placée au milieu de l’histoire.

L’analepse au début de l’histoire

Si après réflexion et parfait consentement de votre part, il s’avère nécessaire de débuter par une analepse, voici ce que conseille Martha Alderson.

La meilleure façon d’aborder ce problème est de faire appel

  • aux nuances du monde (dans ce cas-là, historique, tel que l’a vécu le personnage),
  • du temps de ce passé (jusqu’à quand remonte-t-il ?)
  • et des dialogues.

Vous pouvez injecter des informations sur le passé par le choix des mots (si c’est un scénario, il est destiné à être un objet film donc d’autres créateurs et corps de métier appliqueront une notation (au sens linguistique) différente), un état d’esprit singulier du personnage en ces temps-là, les actions et les réactions d’alors.
Le pire moyen est d’utiliser une sorte de décharge d’informations généralisées, qui est à la fois ennuyeuse et accablante.

Les étapes de la séparation

On ne peut s’empêcher de mentionner Joseph Campbell dont une des étapes initiales du Voyage du Héros est précisément une séparation.

Au début de l’histoire, commencez par accrocher le lecteur avec un conflit actuel. Le protagoniste est confronté à un dilemme immédiat, vit une perte ou une peur, et est contraint d’agir (du moins de prendre une décision qui sera souvent un refus dans un premier temps, jusqu’à ce qu’un autre événement (que Syd Field nomme l’incident clef) autorise le protagoniste à prendre en charge son problème).

Le protagoniste s’engage dans une aventure qui le transformera. Non pas pour gagner quelque chose de nouveau mais pour retrouver ce qui a été perdu, ce que le lecteur découvrira plus tard.

Car plutôt que de montrer le passé du personnage dans une scène au début de l’histoire, montrez ce que le personnage est incapable de faire maintenant en raison de croyances erronées qu’il s’est forgé à la suite de ses expériences (un trauma, peut-être).
Le second acte devient alors un voyage (un parcours initiatique ou non, une trajectoire) pour réapprendre ou retrouver une compétence ou un savoir perdu, oublié ou volé qui est nécessaire pour que le personnage puisse relever son plus grand défi au point culminant (le climax, son ultime confrontation avec son antagonisme, quel qu’il soit).

Cette reconnexion à ce qui a été perdu dans l’histoire personnelle du personnage se retrouve toujours dans le récit.

Vous avez peut-être écrit des pages et des pages sur l’histoire personnelle de votre personnage principal et vous êtes impatient d’en partager les détails avec le lecteur. Vous vous forcez alors à écrire les scènes d’action dramatiques vécues par le protagoniste au début du récit (alors que le temps de la narration est d’abord celui du présent).
Lorsque vous vous retrouvez, après chaque scène, à vouloir partager des informations passées sur le personnage, n’oubliez pas que certaines des histoires les plus mémorables traitent de la vie passée du personnage au début de l’histoire en moins d’un paragraphe, parfois en une simple phrase, notamment Les raisins de la colère, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ou Gatsby Le Magnifique (ces exemples donnés par Martha Alderson concernent les romans et non les adaptations qui en ont été faites).

Demandez-vous si le passé n’est pas l’histoire que vous souhaitez raconter. Dans ce cas, racontez au présent. Sinon, déterminez où et comment le vécu du personnage qui influence autant son présent pourrait être intégré dans le récit et organisé selon l’histoire.

N’oubliez pas que le fait de retarder le dévoilement du passé d’un personnage permet au lecteur de participer activement à l’histoire en anticipant les blancs manquants (en grande partie, non par son imagination, mais par ses propres expériences).
Retenez les expériences passées du personnage, au moins jusqu’à ce que vous ayez écrit le premier jet en entier et que vous soyez en mesure d’évaluer l’histoire que vous souhaitez raconter.

Le passage dans l’acte Deux

Martha Alderson a constaté un phénomène qui peut paraître étrange. Mais dans cette aventure qu’est l’écriture d’une œuvre de fiction, il apparaît un moment où l’auteur plonge plus profondément dans les entrailles de son entreprise.

Pour Alderson, c’est le signe que l’acte Deux de l’œuvre vient de commencer. Vous êtes passé dans le monde de l’histoire elle-même et êtes entré dans la nouvelle étape exotique qui consiste à devenir pleinement un auteur.

De la même manière dans la fiction, il arrive que quelque chose fasse que l’ancien monde du protagoniste se contracte et ne lui corresponde plus. La fin du premier acte représente une rupture de l’ancien ordre mondial, le personnage s’engageant dans un voyage vers un nouveau monde exotique (dans le sens qu’il ne le connaît pas).

La fin du début de Sa Majesté des Mouches survient lorsque le protagoniste, Ralph, est incapable de convaincre l’antagoniste, Jack, de renoncer à son objectif de tuer un cochon et de s’engager à construire un abri et à alimenter le feu pour les secours. Dans cet exemple, l’acte Deux commence par une fracture.

Au milieu, Résistance et Lutte

L’acte Deux s’ouvre sur un monde nouveau qui laisse autant entrevoir de dangers que de promesses de bonnes choses.

Plus le nouveau monde, l’environnement, l’état d’esprit et les exigences du milieu sont inhabituels, plus les expériences, les explorations, l’endurance et la survie ou subsistance sont exotiques. Dans le nouveau monde exotique, les anciennes règles et croyances ne s’appliquent plus.

Ralph de Sa Majesté des Mouches est plongé dans le monde d’une île déserte, sans aucune surveillance adulte. Pourtant, tout au long du premier acte de l’histoire, c’est le même garçon qu’il a toujours été : il fait des sauts périlleux, inspire confiance aux autres garçons…

Au début, Ralph, comme toujours, est aimé et respecté. Lorsque l’histoire passe du premier acte au second, le monde déjà étranger devient sombre et menaçant. Ralph se rend vite compte qu’une fois de plus, ce soir-là, il a dû ajuster ses valeurs.

Le nouveau monde est fait d’oppositions : amour et angoisse, lumière et ombre, ego et unité (ou l’individu et le groupe), bien et mal. Des antagonismes, à la fois externes et internes, émergent de tous les côtés au milieu de l’histoire.
Ces obstacles peuvent être humains ou non. D’autres défis trouvent leur origine dans le personnage lui-même, dans les peurs et les jugements des autres et dans les règles de la société résume Martha Alderson.

Le point médian

Dans l’histoire universelle (une expression qu’Alderson emploie pour dire structure), le point médian (qui représente approximativement le milieu de l’histoire) est un nœud dramatique majeur.

Voyons le point médian de Sa Majesté des Mouches.

  1. Ralph perd espoir. Il pense : Je devrais renoncer à être chef…
  2. Pour lui, le point médian correspond à un grand moment de doute. Le personnage principal est moralement (le plus souvent) mais aussi parfois physiquement (et aussi moralement et physiquement) au plus bas. Ce moment de profonde incertitude est aussi nommé le All is Lost parce qu’en effet, tout semble perdu pour le héros ou l’héroïne.
  3. Au lieu de cela, il force les garçons de l’île à s’engager de nouveau dans son plan qui consiste à garder le feu allumé comme une balise de sauvetage.
  4. Les garçons en viennent à croire que l’île est habitée par une bête. Ralph insiste pour qu’ils cherchent le seul endroit où la bête fantôme pourrait se cacher : Si la bête n’est pas là, nous irons voir en haut de la montagne ; et nous allumerons le feu.

C’est que Ralph a puisé en lui des forces qu’il ne soupçonnait pas. Il ne les a pas inventées car il n’avait seulement pas conscience qu’elles existaient. Mais la crise qu’il vient de connaître l’a forcé à reconnaître ce dont il est vraiment capable, caché depuis trop longtemps.
Certes, certains pourraient voir dans cette façon de faire une action rédemptrice. On peut toujours en discuter dans le forum.

La crise : une souffrance ?

Souvent, avant que le véritable chemin n’apparaisse, l’échec, la déchéance ou la frustration, la peur, le vide et l’aliénation provoquent la souffrance et la perte. Le seul moyen de recréer est la mort. D’abord, il faut détruire l’ancien monde.

Nul doute que Martha Alderson suit une lecture fidèle des écrits de Joseph Campbell et de son monomythe (encore un terme qu’Alderson transpose en histoire universelle).

Après la crise, la protagoniste se relève et se dirige progressivement vers le point culminant, le climax. L’auteur, cependant, garde son libre arbitre, nuance Martha Alderson.

En titubant de la douleur et de la mort métaphoriques, on franchit un seuil. Votre décision quant à la voie à suivre se réduit à deux choix :
1. Résister à ce qui est et devenir une victime (pour ne pas dire un martyr)
2. Prendre le meilleur de ce qui est et devenir un vainqueur.
Dépouillé de tout lors de la crise, vous voyez clairement que l’histoire de votre protagoniste reflète la vôtre.
Comment faut-il interpréter cette réflexion de Martha Alderson ? Nous pouvons aussi en discuter dans le forum mais je pense que Prendre le meilleur de ce qui est signifie se détacher du monde extérieur et se concentrer sur soi-même, ce lieu intime où se trouve notre véritable être.

Les tensions et les conflits ne cessent d’augmenter jusqu’au point de rupture. Dans Sa Majesté des Mouches, les grands et les petits se transforment en bandes.

L’action dramatique présente la crise comme une frénésie rituelle dans laquelle les garçons poignardent Simon à mort et lapident Porcinet.

L’acte Trois : Transformation et Retour

Après la crise, l’énergie de l’histoire se dissipe brièvement, puis s’amplifie de nouveau. Les éléments apparemment disparates (Paul Ricœur les nomme hétérogènes) de l’histoire commencent à former une image plus grande, celle d’un tout.

Ainsi, ce qui apparaît autonome pris séparément et peut-être par un lien de causalité devient autre chose, une histoire unique, qui règle néanmoins les éléments dont elle est composée et qui se fondent dans un tout.

Ralph voit clairement que ce que les garçons ont fait. Poignarder Simon est un meurtre. J’ai peur, crie-t-il. De nous. Je veux rentrer à la maison. Oh mon Dieu, je veux rentrer à la maison.

Le passage dans l’acte Trois se produit lorsque le protagoniste prend les dernières mesures nécessaires à la réalisation de son objectif à long terme (c’est-à-dire sa transformation personnelle, la réalisation de son arc dramatique).

Les histoires et nos vies exigent des actions. Chaque mouvement vers l’avant signifie que la transformation a commencé. Dans la mort comme dans la renaissance, le schéma se répète. Chaque moment est lié à un autre moment. Ici, Martha Alderson fait intervenir à la fois sa lecture de Joseph Campbell et la notion de causalité.

Ralph, sachant que l’espoir d’être secourus des garçons dépend du maintien du feu sur l’île en permanence, décide qu’il doit se rendre au camp de Jack pour voir ce qu’il en est du feu et des lunettes de Porcinet qui sont utilisées pour faire le feu et que l’autre groupe sous la direction de Jack a volées.

La crise, le meurtre de Simon, le pousse à l’action, sa seule façon d’avancer dans la situation.

Le climax

Chaque histoire atteint un point culminant, une acmé. Vous et votre personnage reprenez contact avec votre destin ultime (si vous voyez les choses de cette manière).

La promesse de transformation est réalisée, concrétisée. Bien conscient de sa propre sauvagerie, Ralph fait face à son ennemi, Jack, et affronte de front la bestialité qui est en chacun de nous.

Incapable de rappeler aux autres les valeurs des lois, et ne voulant pas renoncer à la justesse (ou à la justice) de celles-ci et au salut (sous la forme d’un secours), Ralph se sépare des autres garçons, maintenant devenus complètement sauvages, et s’enfuit.

La résolution

La résolution d’une histoire est la somme des actions du personnage. Elle donne au lecteur une idée de ce à quoi ressemble le monde de l’histoire maintenant que le protagoniste a été transformé.

Dans cette somme des actions, nous pourrions y voir l’expression de notre liberté.

Merci d’avoir lu jusqu’au bout. C’est un long texte. Vous pouvez intervenir dans les commentaires ou dans le forum. Si vous souhaitez participer davantage, vous pourriez songer à faire un don de temps en temps. La connaissance se donne mais ne se partage pas. Scenar Mag a un coût cependant. Ne restez pas indifférents. Participez. Merci de votre soutien.