La Folie des Grandeurs (1971) de Gérard Oury

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après les succès phénoménaux de "Le Corniaud" (1964), "La Grande Vadrouille" (1966) et même (1969), Gérard Oury est devenu le maitre incontesté et incontestable de la comédie à la française. Ce statut va lui permettre d'adapter une pièce de théâtre dont il a l'idée depuis de nombreuses années. En effet, il souhaite adapter la pièce "Ruy Blas"(1838) de Victor Hugo depuis qu'il a lui-même incarné Don Salluste "un peu triste, hiératique, très digne" selon le cinéaste lui-même, au théâtre sous la direction de Raymond Rouleau en 1960 à la Comédie Française. Mais à l'époque l'ambiance est délétère car certains comédiens n'apprécient pas l'arrivée d'un acteur issu de l'extérieur du "Français" surtout venu du cinéma (bien que Oury fut un sociétaire une première fois en 1939). L'ambiance est telle que Oury en viendra même aux mains avec l'acteur Robert Hirsch qui quitte avec fracas la pièce ! Depuis Oury a dans l'idée d'y ajouter un peu de fantaisie en adaptant librement la célèbre pièce pour en faire "un sujet de comédie formidable, avec des chausses-trapes, des portes qui s'ouvraient et se refermaient, donnant un arsenal comique digne de Feydeau."... Après ses précédents succès, Oury obtient un budget conséquent de 18 millions de francs et surtout il rêve de réunir une 3ème fois son duo mythique Louis De Funès-Bourvil, le rendez-vous ayant déjà été manqué avec "Le Cerveau". Malheureusement le second rendez-vous sera une nouvelle déception après la mort de en 1970. C'est sur suggestion de Simone Signoret que Oury remplace finalement Bourvil par Yves Montand. Le réalisateur-scénariste co-signe le scénario avec sa fille Danièle Thompson et son fidèle Marcel Jullian qui étaient déjà tous deux sur les derniers films de Oury...

Fin du 17ème siècle en Espagne, l'ignoble Don Salluste ministre des finances du Roi est déchu de ses privilèges à l'instigation de la Reine. Il décide alors de conspirer pour retrouver son rang en manipulant son valet Blaze qui est justement amoureux de la Reine... Dans le rôle de Don Salluste on retrouve en toute logique la star comique de son époque, Louis De Funès qui retrouve donc Gérard Oury après "Le Corniaud" et "La Grande Vadrouille", laissant Bourvil seul sur "Le Cerveau" suite à un soucis d'agenda. Ainsi, le valet Blaze revient à Yves Montand alors peu habitué à la comédie pure et qui, ironie du sort, venait justement de jouer avec Bourvil dans le chef d'oeuvre "Le Cercle Rouge" (1970) de Jean-Pierre Melville. La reine est interprétée par Karin Schubert vue peu avant dans le spaghetti "Companeros" (1970) de Sergio Corbucci où dans le drame "L'Attentat" (1972) de Yves Boisset, une actrice allemande qui aura un destin bien moins glamour par la suite. La demoiselle d'honneur de la reine est dévolue à l'inénarrable Alice Sapritch qui retrouve Montand après "Premier Mai" (1958) de Luis Saslavsky et qui retrouve De Funès juste après "Sur un Arbre Perché" (1971) de Serge Korber. Le roi est incarné par l'argentin Alberto de Mendoza vu en France notamment dans "L'Arme à Gauche" (1966) de Claude Sautet, mais aussi dans le spaghetti comme dans "Le Dernier des Salauds" (1969) de Ferdinando Baldi et le giallo "Le Venin de la Peur" (1971) de Lucio Fulci. Dans des rôles plus secondaires on citera des gueules bien connues avec Venantino Venantini remarqué dans "Les Tontons Flingueurs" (1963) de Georges Lautner et déjà dans "Le Corniaud", Gabriele Tinti qui retrouve De Funès croisé dans "Le Gendarme de Saint-Tropez" (1964) de Jean Girault et vu dans "Le Passager de la Pluie" (1969) de René Clément, et enfin notre franchouillard Paul Préboist qui retrouve également De Funès après plusieurs films dont "La Grande Vadrouille" et "Sur un Arbre Perché". La musique de film est composée par le chanteur Michel Polnareff qui pastiche la musique spaghetti d'un certain Ennio Morricone... Dès les premières minutes la farce satirique de Oury impose un ton assez proche du théâtre malgré les grands espaces espagnols qui ne sont d'ailleurs pas sans rappeler les décors de western spaghetti. On s'aperçoit surtout que le casting est peu inspiré. Montand n'est pas Bourvil loin s'en faut, et s'il fait de son mieux il cabotine trop au point que De Funès fait presque trop sage ! On ne peut s'empêcher de regarder le film en, imaginant Bourvil à la place de Montand ! Le couple royal n'est pas en reste, Monsieur est sous-exploité et Madame a tout de la beauté superficielle. Les seconds rôles sont bons (les nobles) mais ils restent finalement peu traités et finalement très secondaires, effectivement. Mais par contre le scénario est bien ficelé et bien écrit, oscillant efficacement entre répliques cultes et séquences plus "imagées".

Le film offre donc quelques instants cultes restés dans les mémoires. Des répliques marquantes comme par exemple :

"C'est normal ! Les pauvres c'est fait pour être pauvres et les riches très riches." "Mais qu'est-ce que je vais devenir ? Je suis ministre, je ne sais rien faire !" "C'est l'orr... il est l'orr... l'orr de se réveiller... Monseignor... Il est huit or... gouzi gouzi gouzi" "J'ai un petit plan pour tous nous évader : nous rentrons à Madrid, nous conspirons. Le roi répudie la reine, la vieille épouse le perroquet, César devient roi, je l'épouse et me voilà reine !!!"

Mais le film offre aussi quelques passages savoureux de la séduction "mouillée" dans le jardin du château à la toilette de Don Salluste en passant par le désormais mythique et culte effeuillage de la demoiselle d'honneur alias Alice Sapritch dont un mouvement de bassin pour lequel l'actrice a dû être doublée par sa coach, Sophia Palladium venue exprès du Crazy Horse car l'actrice n'arrivait pas à trouver "la bonne expression du fessier, à la fois bravache, aguichante et décidée" ! Gérard Oury réalise une comédie enjouée, avec en fond une dénonciation des privilèges encore et toujours d'actualité depuis le 17ème jusqu'à aujourd'hui en passant par 1838, 1971 ou 2020. Le rythme est juste bien posé, sans tenté de multitude de gags mais plutôt savamment distillé de façon régulière. Oury frappe une nouvelle fois très fort en réunissant avec ce film plus de 5 millions d'entrée France. On regrettera particulièrement le casting avec une pensée émue pour un Bourvil qui manquait déjà énormément.

Note :

Pour info bonus, Note de mon fils de 11 ans :