Jumbo, quand étrangeté rime avec beauté

Par Kevin Halgand @CineCinephile

Synopsis : " Jeanne, une jeune femme timide, travaille comme gardienne de nuit dans un parc d'attraction. Elle vit une relation fusionnelle avec sa mère, l'extravertie Margarette. Alors qu'aucun homme n'arrive à trouver sa place au sein du duo que tout oppose, Jeanne développe d'étranges sentiments envers Jumbo, l'attraction phare du parc. "

Les lumières de la salle de cinéma s'allument... tu allumes ton ordinateur, tu cliques sur ton navigateur préféré et écris : Champs Elysée Film Festival. Il te reste à t'identifier, puis s'ouvre à toi, du 09 au 16 juin 2020, une grille de programmes regroupant courts et longs métrages indépendants en provenance de France et des États-Unis.
Bon cinéma de chez toi !

Après huit années de bons et loyaux services sur la célèbre avenue qui donne son nom à celui que porte le festival, le Champs Elysée Film Festival s'adapte et profite d'une édition exclusivement en ligne pour s'ouvrir aux cinéphiles et cinéphages francophones du monde. En ligne, gratuit, une programmation ouverte à toutes et à tous. Quelle superbe idée afin d'inculquer aux toute autre ampleur, à un festival jusqu'ici avant tout connu des puristes pouvant se permettre le déplacement dans la capitale, ainsi que des parisiens. Un réel et beau succès vers lequel le festival semble se diriger si effervescence connue autour de sa soirée d'ouverture prospère. Quelques soucis de connexions, des lecteurs vidéo qui peinent à dévoiler une image... quelques soucis techniques aussi rapidement réglés que fondamentalement prévisibles dans le cadre d'une grande première. Plusieurs milliers de connexion simultanées pour 500 places seulement. Limiter le nombre de spectateur. Une idée galvanisante et excitante pour celles et ceux qui, comme nous, ont envie de retrouver ce frisson de festival. Allons-nous être chanceux ? Allons nous pouvoir rentrer dans la salle ? Derrière les déboires techniques, une excellente idée de programmation qui permet de faire ressentir des sensations de festival, mais derrière son écran d'ordinateur.

Après une première mondiale au Festival de Sundance et une sélection à la Berlinale, Jumbo écrit et réalisé par Zoé Wittock, a été dévoilé en primeur nationale et numérique lors de la soirée d'ouverture du Champs Elysée Film Festival dixième édition. Aucune rentrée d'argent potentielle pour les producteurs et le distributeur du film, mais l'occasion de le montrer quelques chanceux et chanceuses avant qu'il ne prenne l'affiche dans les salles de cinéma françaises le 1er juillet prochain. L'occasion de créer un engouement, de développer un bouche à oreille qui pousserait curieux et curieuses à se déplacer afin de le découvrir en salles. Un film de curieux et curieuses, destiné à des curieux et curieuses. Une oeuvre qui va se servir de l'étrangeté de son histoire, ainsi que de celles qui la raconte, afin d'en sortir ce qu'il y a de plus beau et de plus pure. De Steven Spielberg à John Carpenter en passant par Jonathan Glazer et Xavier Dolan. Si les repères et possibles inspirations sont nombreuses, Zoé Wittock réussit à rendre son Jumbo singulier grâce à un scénario et une mise en scène qui vont oser le jusqu'au-boutisme, là où d'autres auraient pu juger, qu'il aurait été bon de poser certaines limites. Se dépasser, oser et assumer l'étrangeté de son personnage principal afin de développer des problématiques universelles et questionner de manière, plus ou moins implicite, le spectateur.

Drame romantique inspiré d'un fait réel, Jumbo est un film qui puise sa beauté et sa singularité dans son étrangeté assumée. Un personnage principal qui ne sait ce qu'est l'amour passionnel, au-delà de l'amour maternel. Une mère extravertie, mais rongé par un amour inconditionnel pour sa fille. Une fille qu'elle veut heureuse, qu'elle veut voir heureuse, mais de la manière dont elle l'entend. Une mère qui se voile la face, enfermée derrière des œillères qu'elle s'est elle-même façonnée afin de vivre la vie qu'elle a décidée de vivre. Autant pour elle, que pour sa fille, dépendante de cette dernière. Des personnages singuliers, aux caractères opposés, mais qui vont devoir s'ouvrir l'une à l'autre afin de retrouver cet amour qu'elles éprouvent l'une pour l'autre. Simple prétexte sur un plan scénaristique, afin de délivrer un message universel sur l'acceptation de soi, autant que sur le regard porté par les autres vis-à-vis de choix émotionnels et d'envies qui ne suivent pas un chemin dit classique, l'attraction va devenir l'élément qui va permettre à Jumbo de tendre vers le cinéma de genre. Devenir une oeuvre forte et recherchée sur le plan artistique.

Joliment influencé par les productions Amblin des années 80/90, Zoé Wittock puise en ces dernières (et notamment les films d'un certain Steven Spielberg), une insouciance émotionnelle (pas forcément lié à la thématique de l'enfance, mais plus à celles de l'émancipation et la recherche de soi-même) abordée par le prisme du regard, ainsi que d'un découpage sobre qui rejette toutes formes. Vivre le moment présent, laisser son personnage évolué dans le cadre au préalable composé de manière à ce que l'emphase soit faite sur l'élément charnière du film : Jeanne. La cinéaste insiste sur le regard, sur le sourire de son actrice. Zoé Wittock fait de Noémie Merlant une muse chargée de transmettre l'émotion par son regard et un jeu tout en intériorisation (ponctué par quelques réactions excessives cohérentes vis-à-vis de la caractérisation du personnage). Un beau personnage, authentique et que le spectateur voit se développer avec émotion grâce à une belle incarnation de l'actrice. Là où, quelques réserves subsistent sur le personnage incarné par Emmanuelle Bercot. Très (trop) démonstrative, lorgnant à quelques moments dans l'excès même si l'on comprend aisément les intentions de la cinéastes et pourquoi il est nécessaire qu'elle agisse de la sorte.

Une belle surprise. Poétique, onirique, porté par une histoire dont la cinéaste (ici scénariste et réalisatrice) fait surgir toute la beauté par un regard bienveillant et sincère que fait transparaître sa mise en scène. Superbement épaulé par son directeur de la photographie Thomas Buellens, Zoé Wittock puise en son personnage de métal, une alchimie de couleurs qui va venir orner chaque plan. Si toujours bien composé et très justement éclairé, quelques magnifiques plans vous resteront en mémoire, illustrant autant la maîtrise technique de l'oeuvre que l'émotion qui peut émaner du jeu de son actrice principale, ainsi que des choix de mise en scène.

À retrouver dans les salles de cinéma en France dès le 1er juillet 2020
" Jumbo emprunte au cinéma de genre une audace artistique qui permet à sa cinéaste d'aborder des thèmes universels tels que l'amour, le regard et la perception des autres vis-à-vis de choix et d'envies. "

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