Joseph campbell & la vie

Il y a un motif parmi les contes folkloriques dénommé la chose interdite (The One Forbidden Thing). Cette chose peut être un fruit défendu ou bien comme dans la Barbe Bleue, un cabinet où il serait interdit d’entrer.

Ce motif est intéressant parce qu’il est une invitation à la transgression. Dans l’Ancien Testament, selon Joseph Cambpell, Dieu savait parfaitement que Adam allait manger du fruit interdit. Pourtant, selon Campbell, en mangeant la pomme, Adam devenait le promoteur de sa propre vie. Vivre et la vie commencèrent véritablement avec cet acte.

Les choses se compliquèrent cependant lorsque Adam ne prit pas la responsabilité de son acte. Comme si la nature humaine cherchait constamment un bouc émissaire pour ses propres actes, quelqu’un ou quelque chose à blâmer.

Prendre ses responsabilités dans le monde

Si l’on se réfère à la genèse, lorsque Dieu demanda à Adam s’il avait mangé le fruit de l’arbre qu’il lui avait pourtant interdit, Adam répondit que la femme que Dieu lui avait donné comme compagnon lui avait donné ce fruit défendu et il en mangeât.

Et lorsque Dieu demanda à Ève si c’était ce qu’il s’était passé, Ève lui répondit que le serpent l’avait trompée et c’est pour cela qu’elle goûta au fruit défendu.

On ne peut nier l’ancienneté de l’Ancien Testament et déjà, cet acte d’attribuer à une autre personne ou à un groupe sa propre responsabilité est présent, dès le commencement, pourrait-on dire.

Le serpent devient alors celui par qui le scandale arrive. Un scandale dans le sens où l’esprit en est perturbé.

Joseph Campbell nous rappelle cette légende Bassari. Un jour le serpent dit : Nous aussi devrions manger de ce fruit. Pourquoi devrions-nous avoir faim ? Antilope s’exclama : Mais nous ne savons rien de ce fruit. Mais l’Homme et sa Femme en prirent cependant et en mangèrent.

Unumbotte (le Dieu créateur des Bassaris) descendit du ciel et demanda : « Qui a mangé le fruit ? Ils répondirent : « nous en avons mangé. Et Unumbotte leur demanda : « qui vous a dit que vous pouviez en manger ? Ils répondirent en chœur : le Serpent nous l’a dit ».

Entre la Genèse et cette légende Bassari, c’est la même histoire. Il apparaît aussi que le serpent est à l’origine de la chute. Néanmoins, selon le point de vue de Joseph Campbell, c’est donner un bien mauvais rôle au serpent. Car le serpent dans ces deux histoires est le symbole de la vie qui se débarrasse du passé et continue à vivre.

Une force de vie

La puissance de la vie, car le serpent perd sa peau en muant, tout comme la lune apparaît de l’obscurité.
Joseph Campbell confirme que dans la plupart des cultures, le serpent possède une valeur positive. Même le cobra royal, si dangereux, est un animal sacré en Inde.

Dans le bouddhisme aussi parce que le serpent représente la puissance de la vie dans le domaine du temps pour rejeter la mort, et le Bouddha représente la puissance de la vie dans le domaine de l’éternité pour être éternellement vivant.

Joseph Campbell évoque cette prêtresse birmane qui devait apporter la pluie à son peuple en invoquant un cobra royal depuis sa tanière et l’embrasser trois fois sur la tête.

Le cobra est ce qui donne la vie, celui qui donne la pluie, qui est de la vie. Il est une figure divine positive et non négative.

Certes, d’un point de vue chrétien, c’est l’inverse car le serpent est vu comme un tentateur, un séducteur. Pour Joseph Campbell, cette pensée équivaut à un refus d’affirmer la vie. Sous cette perspective, la vie est mauvaise. Toute impulsion naturelle est un péché, sauf si vous avez été baptisé ou circoncis, dans cette tradition dont nous avons hérité. Pour l’amour du ciel ! (propos de Campbell).

Ce qui est bien plus grave est que la femme, en dommage collatéral, s’est retrouvée être la tentatrice dans certaines mythologies puisque c’est par elle que nous connaissons la chute. Si nous vivons dans un monde de polarités, c’est-à-dire de choses qui sont opposées l’une à l’autre mais cependant connectées (le noir et le blanc, l’obscurité et la lumière, le fini et l’infini, le bien et le mal, la vie et la mort, le vrai et le faux, le haut et le bas, l’amour et la haine, les pros et les antis, la divergence et la convergence…) et si nous connaissons la souffrance, c’est par la femme que cela advient.

C’est un raisonnement totalement absurde. Le philosophe Hegel voyait dans la totalité non pas une contradiction entre deux valeurs mais une unité (le bien et le mal, le vrai et le faux comme une seule notion).
Ce n’est pas le bien ou le mal, le vrai ou le faux, le chaud ou le froid mais le bien ET le mal, le vrai ET le faux, le chaud ET le froid. C’est ainsi que le monde est fait.

Et nier la vie, nier le monde parce qu’il contient de la souffrance, c’est porter un jugement éthique qui a pour résultat le péché.

Un constat, non une croyance

Il ne peut être vrai que la vie soit un problème et que la mort en serait le repos. Aussi terrible que le monde puisse être car il est terrible, il ne se contente pas de le paraître, on ne peut le vouloir mauvais.

Et l’on n’est pas passif face au monde, face au mal qu’il possède en lui. On lutte pour un monde meilleur. La lutte est indispensable au reste puisque bien que la bonté, la justice, l’amour sont des concepts qui n’évoluent pas, il y aura toujours quelqu’un pour dire que votre acte de bonté, votre acte de justice, votre acte d’amour est mauvais.

On peut blesser quelqu’un dans un acte d’amour. Mais ce n’est pas cela qui importe. La chose qui compte, c’est de rejeter la brutalité, la stupidité, la vulgarité ou la médiocrité, l’ignorance et l’insensibilité. Ce n’est pas de refuser le monde, de le juger négativement parce qu’il possède en son sein de tels attributs.

Joseph Campbell ajoute que ceux qui se permettent de juger le monde sont bien présomptueux. Qui sont-ils pour s’arroger un tel droit ?

UNE SCÈNE D’INTERROGATION

Scène