[CRITIQUE] : Scandale

[CRITIQUE] : Scandale

Réalisateur : Jay Roach

Acteurs : Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie, John Lithgow, Kate McKinnon, Mark Duplass, Allison Janney, Malcolm McDowell,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Biopic, Drame
Nationalité : Américain
Durée : 1h54min

Synopsis :

Inspiré de faits réels, Scandale nous plonge dans les coulisses d’une chaîne de télévision aussi puissante que controversée. Des premières étincelles à l’explosion médiatique, découvrez comment des femmes journalistes ont réussi à briser la loi du silence pour dénoncer l’inacceptable.


Critique :

Un homme est tombé mais le patriarcat lui, reste. #Scandale est un cri de guerre. Laissant la subtilité au placard, Roach décide d’y aller franco. Peut-être trop énergique, trop fun parfois, le film ne laissera pas de marbre.
Tant mieux, il n’est pas fait pour ça (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/nmn6dFKFdv
— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) December 30, 2019

Si vous pensiez que Harvey Weinstein était le seul et unique pervers à un poste de pouvoir, vous avez tort. Si vous pensiez que c’est le premier à tomber après que ses victimes ont uni leur voix, vous avez encore une fois tort. En 2016, l’immense chaîne de télévision américaine Fox News est ébranlée par des accusations de harcèlement sexuel dans le cadre du travail, par Gretchen Carlson tout d’abord, puis par de nombreuses femmes de la chaîne, dont la célèbre Megyn Kelly, dirigé vers le gé(r)ant de Fox News, Roger Ailes. Un Scandale que met en scène Jay Roach, même si nous préférons son titre original, Bombshell, qui exprime la surprise, la stupéfaction. Car c’est de choc dont il est question, plus que de “scandale”, où pour la première fois, un homme aux pleins pouvoirs tombait face à des femmes qui prenaient la parole, pour raconter leur expérience. Un choc, car un système jamais encore questionner (en tout cas, pas à cette échelle) tombait raide, où les femmes sont perçues comme un corps, objectifier, un système qui leur donnait une parcelle de pouvoir, à un prix exorbitant. Un choc, car on exprimait enfin à voix haute des comportements malsains et dangereux pour les femmes au travail. Et croyez-le ou non, mais il existe encore de nombreux Weinstein ou Ailes.


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Une minie-série, The Loudest Voice, a déjà raconté cette histoire cette année, avec Russel Crowe et Naomi Watts, jouant respectivement Ailes et Gretchen Carlson. Si la série était centré sur lui, Scandale lui est centré sur les femmes. Un trio de journalistes et présentatrices, toutes différentes. Gretchen Carlson, qui est la première à porter plainte, campée par Nicole Kidman, Megyn Kelly, présentatrice super-star de la Fox (Charlize Theron) et un personnage fictif, Kayla (Margot Robbie). Il est toujours difficile de trouver la bonne approche, quand on se penche sur un fait réel, avec des personnes célèbres et identifiables. Comment les montrer ? Mettre une prothèse aux acteurs pour les faire ressembler trait pour trait, ou faire fi de l’apparence ? Ici, Jay Roach décide d’y aller à fond dans la ressemblance. Charlize Theron se retrouve donc avec une prothèse de nez. Ne vous fiez pas aux affiches officielles françaises, qui ne rendent aucunement justice au superbe boulot de l’équipe maquillage. Les ressemblances sont bluffantes, et le spectateur finit facilement à ne plus voir les actrices, mais les personnages qu’elles incarnent. Elles sont donc prêtes à affronter l’intouchable Roger Ailes, dans un film frontal, fait pour réveiller les consciences les plus endormies.


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Le parti pris de mise en scène du cinéaste est : du rythme. Dès le début, Scandale veut nous montrer les rouages de la télévision, et c’est Megyn Kelly qui s’en charge. Brisant le quatrième mur, Charlize Theron fait une mise en abîme : elle joue une présentatrice TV, qui devient présentatrice du film en lui-même. Un montage énergique, quelques blagues qui fusent, un jargon de télévision expliqué à nous, pauvres spectateurs découvrant un nouveau monde, avec ses propres codes et enjeux, comment ne pas penser au style de Adam McKay ? Il est vrai que le scénariste de The Big Short, le casse du siècle, Charles Randolph est de la partie ici. Le spectateur découvre l’envers du décor, les petits secrets d’un monde impitoyable, entre ombre et lumière. Mais contrairement au réalisateur de Vice, Jay Roach a l’intelligence d’entrer dans le vif du sujet assez vite, laissant de côté le sarcasme (qui ne vient que par petite touche), il n’est pas question de rire ici. C’est pourquoi le choix de mettre les femmes en avant est primordiale : nous voyons ce qui se passe de leur point de vue. Et ce qui se passe est tout sauf hilarant. Le film fait l’effet d’un étau, d’un bulldozer, se lançant à fond dans une bataille de pouvoir. Il est dommage d’ailleurs que Scandale soit aussi énergique, perdant un peu d’efficacité par moment, car le côté fun prend le dessus.


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C’est le problème de briser le quatrième mur, vu surtout comme une blague. Le réalisateur a quand même l’idée de ne pas le briser pendant une partie du film, pendant des scènes dures, où les femmes ne peuvent même pas venir vers nous les spectateurs pour venir les aider. Une bonne idée, mettant en scène cette impression que chaque femme peut vivre dans les situations de harcèlement : qu’elles sont seules au monde. La peur les empêche de parler et tout est si bien ficelé que Ailes est capable de donner un peu de pouvoir à certaines d’entre elles pour les avoir de son côté. Comment témoigner sur une personne qui nous a donné une opportunité en or ? Paradoxalement, c’est grâce à ces femmes de pouvoir que les langues se délient. Personne ne croit Gretchen Carlson, mise sur le banc de touche. Personne n’est prête à la croire, parce qu’elle n’a plus de pouvoir justement. Elle n’a plus rien à perdre et la société bannie ces femmes. Elles paraissent trop “hystérique” de vouloir une justice, elles en veulent trop, cela cache forcément quelque chose. Elles ne veulent que la gloire et l’argent finalement. Parce que c’est facile, il paraît, de porter plainte. Alors que les femmes comme Megyn Kelly ou Kayla, dans le film, ont beaucoup à perdre. Une réputation, un emploi, une opportunité, nous avons plus tendance à les croire. Pourquoi elles se mettraient elles-mêmes une balle dans le pied ? Comme on le voit dans le film, et comme on l’a vu dans la réalité, pour faire tomber un système aussi huilé et aussi dangereux, il faut deux choses : le nombre et la célébrité.


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On peut reprocher à Scandale son manque de recul. Parce que les personnages nous parlent directement, parce que le film se termine tout de suite après la chute de Roger Ailes, comme si tout était plié, tout rentrait dans l’ordre. On le sait, tout ceci est beaucoup plus compliqué. Cependant, le film a la grande qualité de ne pas faire du patron de Fox News, un monstre. Un être surnaturel, un bug dans la matrice. Non, il est juste un homme, habité par son travail, un homme aimé de sa femme, un homme qui peut avoir de bons côtés, mais un homme qui a profité le plus possible ce que lui permettait son statut, son pouvoir. Un homme symptomatique d’un mal profond, que nous pouvons retrouver partout. Pour le besoin de la fiction, le film ajoute des personnages, qui font le lien entre Megyn Kelly, Gretchen Carlson et Fox News. On a donc presque une armée de journalistes, dont Margot Robbie, une jeune journaliste ambitieuse, et Kate McKinnon. Si le talent de la première n’est plus un secret pour personne, la deuxième, plus habituée à un registre comique, s’en sort extrêmement bien. Son personnage nous montre la dure réalité d’être une femme, lesbienne, dans un monde aussi politique et aussi masculin. Le film a aussi l’intelligence de ne pas faire passer les femmes pour des blanches colombes. Si Megyn Kelly en voir de toutes les couleurs à cause de Donald Trump, le film ne laisse pas sous silence ses idées polémiques (notamment sur la couleur de peau du père Noël), tout comme Kayla, élevée par des parents conservateurs et riches.


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Est-ce comme cela que l’on met fin au patriarcat et aux inégalités ? Rien n’est moins sûr. Roger Ailes part de Fox News avec un chèque, une somme astronomique. Les autres journalistes et cadres, qui ont profité du système ne sont pas inquiétés. Et Fox News restera tel quel, même sans Ailes, comme le montre symboliquement le personnage de Kate McKinnon, qui rangera discrètement son cadre photo, la montrant avec une amie. Un homme est tombé, mais le patriarcat lui, reste. Scandale est donc un cri de guerre. Laissant la subtilité au placard, Jay Roach décide d’y aller franco. Peut-être parfois trop énergique, trop “fun”, le film ne laissera pas de marbre. Tant mieux, il n’est pas fait pour cela.


Laura Enjolvy


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