La vulnérabilité : les blessures

La plupart d’entre nous apportons notre aide aux personnes qui semblent blessée ou qui ont un quelconque besoin d’aide. C’est une réaction humaine tout à fait caractéristique.

Et puis lorsqu’on est sincère avec quelqu’un, dévoilant nos bons côtés comme ce qu’il y a de plus critiquable chez nous, en un mot comme en cent, si nous faisons preuve d’une honnêteté sans réserve envers autrui, il est très probable que cet autrui nous fera don d’une confiance précieuse.

En fiction, c’est comme dans la vie

Un personnage au cœur souffrant, au sillage blessé, un être imparfait possède une force qui nous attire à lui. Nous développons envers ce personnage une sympathie capable de drainer davantage d’empathie qu’un personnage sympathique.

Nous acceptons un comportement désagréable, voire carrément diabolique, chez un personnage tant qu’il nous attire non pas par sa gentillesse, même si celle-ci est exceptionnelle, mais précisément parce que son être est engagé dans un combat significatif.

La vulnérabilité chez un personnage peut se présenter de différentes manières, chacune apportant une puissance particulière à l’histoire.

Ainsi, une vulnérabilité peut être handicapante si l’histoire l’exige. Un personnage physiquement blessé ou atteint par une terrible maladie ou encore placé dans une situation où son corps est fragilisé, et aussitôt, un pouvoir ineffable et étrange s’empare du lecteur.

Ce type de vulnérabilité liée à l’aspect matériel de notre condition humaine augmente les enjeux de l’histoire. La tension dramatique s’intensifie et ainsi de notre intérêt envers le personnage qui se trouve dans une situation aussi abominable, insupportable. Le monstre est la situation difficile du personnage.

Mais il ne faut pas forcer un personnage sur lequel on cherche l’empathie du lecteur dans des situations où il est contraint.
Les effets nécessaires, c’est-à-dire la situation actuelle du personnage, seront les conséquences des œuvres passées de ce personnage.

*Lorsque vous élaborerez ce être de fiction, ce seront les effets sur lesquels vous travaillerez d’abord. Vous commencez par la fin et remontez logiquement vers les causes qui ont mené à cette situation qu’il vous faut expliquer à votre lecteur.

En expliquant les causes, vous engagerez davantage votre lecteur. Il ne sera pas crédible de poser soudainement une vulnérabilité chez votre personnage parce que cela sied bien à l’action. Ce n’est pas l’action qui gouverne votre histoire.

Bien sûr que votre personnage peut se retrouver à errer dans les ténèbres. Mais s’il est vulnérable, ce ne sera certainement pas par cette errance.

Une sourde menace

L’antagoniste possède une qualité essentielle : il sait comment atteindre physiquement, émotionnellement, spirituellement ou psychologiquement le héros de votre histoire.
L’auteur le sait aussi. Il concevra donc une menace qu’il posera comme un germe au début de l’histoire, une sorte de a priori même si ce n’est pas explicite immédiatement pour le lecteur.

Quelle que soit la blessure, qu’elle soit physique ou un trauma, elle illustre la faiblesse du personnage. Et cette vulnérabilité est précisément le moyen d’exprimer ce qui est en jeu non seulement dans l’histoire (le problème de l’histoire qu’il faut résoudre) mais aussi dans chaque scène ou du moins dans la plupart d’entre elles qui mettront en avant d’emblée une situation conflictuelle.

Et comme ce conflit se fonde sur la vulnérabilité connue du personnage (ou peut-être intuitivement ressentie par le comportement ou l’attitude du personnage), le lecteur sera fasciné par la scène parce qu’il observera non seulement la faiblesse à l’œuvre du personnage  mais il la reconnaîtra aussi (qu’il l’est vécue lui-même ou qu’il s’en fasse une idée).

Camus parlait de l’indifférence de l’univers à notre égard. C’est dire notre insignifiance. La nature humaine néanmoins ne cesse de nous rappeler notre besoin de l’autre.

Quelle que soit la faiblesse dont chacun de nous porte le poids, elle attire ou repousse et dans ce dernier cas, la culpabilité s’installe ou la crainte.
En fait, que ce soit notre réponse au besoin de l’autre ou bien sa réponse face à un risque réel que nous encourrons, le potentiel dramatique de cette situation est assez puissant.

Les fantômes du passé

S’interroger sur la faiblesse de son personnage principal consiste à aller chercher dans son passé des traces qui ont obliqué sa vie dans une direction qu’il ne méritait probablement pas de prendre et qui l’a mené à un présent insatisfaisant.

On n’est pas obligé de l’admettre mais en fiction, la causalité est importante. Chaque effet est nécessaire parce qu’il a une cause. Que cette cause soit dans ce que nous faisons ou ce que nous subissons, on en paie le prix dans le présent.
Quitte à ce que notre vie ne soit qu’un gros mensonge tant que cela nous donne l’impression d’avoir notre place dans le monde.

Entre le début et la fin d’une histoire, les personnages peuvent changer soit en découvrant pour eux-mêmes une nouvelle personnalité censée les rendre meilleurs, soit en étant renforcés dans leurs convictions qui étaient quelque peu ébranlées au commencement. Le changement le plus attendu par le lecteur est celui du personnage principal.

Il est en effet convenu que le personnage principal doit suivre une courbe, un arc dramatique, explicitant les différentes étapes de ce changement. Ses tribulations au cours de l’intrigue décrive la transformation progressive.

Avant d’illustrer le cheminement moral, spirituel, psychologique de son héros, l’auteur devrait d’abord se demander pourquoi son héros ressent ce besoin de changer. Qu’est-ce qui a bien pu lui arriver pour qu’il embrasse ce mensonge qui constitue son actualité ?

Qu’est-ce qui le hante ? Si la faille fait écho à une blessure passée, à un trauma par exemple, cette histoire passée ou bien un personnage surgissant du passé comme un douloureux rappel (comme une incarnation du mal), votre personnage qui souffre, qui se ment à lui-même, se retrouvera forcé (et c’est ainsi que naît le drame) de confronter cette souffrance passée (dont le mensonge actuel lui permet de ne pas revivre les effets désastreux) et de tenter de se dépasser, de retrouver cet être perdu qu’il aurait dû être.

La honte

La honte est probablement l’une des émotions les plus intéressantes à travailler en fiction. Comme dans la vie réelle, elle traduit la peur du rejet si nous faisons quelque chose ou bien si quelque chose a été révélé à notre sujet qui fait que les autres s’éloigneront de nous par répugnance, par mépris, par désillusion, par colère ou par haine.

La rupture d’avec l’autre nous renvoie à notre insignifiance. Sans l’autre, sans ce dialogue avec l’autre, l’esprit s’atrophie.

Le lien social comme l’appartenance à une communauté, l’importance de la famille ou toute autre forme d’appartenance fait partie des valeurs les plus estimées.
Ainsi, dans l’élaboration d’un personnage, cette intersubjectivité est de première importance.

L’arc dramatique d’un personnage pourrait être pour lui d’acquérir un sentiment d’estime de soi qui serait plus fort que la honte qu’il ressent au quotidien. Un sentiment qui lui permettrait de se tenir face aux autres sans être paralysé par l’habituel sentiment d’indignité.

L’exemple de Precious
Un scénario de Geoffrey S. Fletcher, d’après le roman Push de Sapphire

Precious est une jeune fille noire de 16 ans obèse et analphabète. Sa mère la maltraite physiquement et mentalement et son père abuse d’elle sexuellement.
Pour fuir cette réalité inadmissible, Precious s’invente un monde dans lequel elle est aimée.

Cette jeune fille a été privée de sa vie. Ce ne sera que lorsque des étrangers la prendront au sérieux, rempliront sa dignité et son estime de soi d’une attention singulière, qu’ils la verront comme la personne qu’elle peut être et non celle qu’elle apparaît être, que Precious réalisera vraiment ce qu’elle veut.

Et ce qu’elle veut, c’est connaître une vie de famille où chacun aime et est aimé en retour. Pour y parvenir, Precious doit d’abord prendre conscience qu’elle n’a commis aucun péché pour mériter son sort actuel.
C’est de cette révélation qu’elle pourra être un être ouvert aux autres et bon envers autrui.

SHONDA RHIMES : LA QUESTION DU CONCEPT

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