Les misérables

Les misérablesLes temps changent... si peu
Montfermeil hier, la ville des Thénardier et celle où écrivit le roman éponyme Victor Hugo ; Montfermeil aujourd’hui, les misérables vivent toujours sur place. Ladj Ly ovationné à Cannes et titulaire du Grand Prix du Jury signe ici un premier film magistral, symptôme du mal des banlieues comme l’a été par le passé « La haine » de Kassovitz. Ladj Ly s’est formé en filmant en mode « cop watching » ; d’où le choix de placer au centre de son dispositif narratif une bavure policière. Originaire de la banlieue contrairement à Kassovitz, il ne place pas néanmoins au centre du récit les jeunes de la cité mais trois flics ; deux baignant dans ce bouillon de culture depuis déjà 10 ans donc fondus dans l’environnement et un troisième apportant un regard neuf. La force du film tient beaucoup à sa mise en scène, Ladj Ly aurait pu pencher vers le docu-fiction ou le film social type Ken Loach ; mais que nenni, c’est un film de cinéma, polar social noir hyper tendu, glaçant scotchant littéralement le spectateur au siège de bout en bout. La caméra suit ces flics, mais aussi deux gamins au cœur des enjeux, et à travers leurs yeux se déplient toute la cartographie de la répartition du pouvoir dans la cité. Et l’on s’aperçoit que tout n’est qu’une savante alchimie construite autour de compromis dont même la police est complice afin que la cité n’explose pas. D’où une tension de tous les instants et un climat oppressant ; même les rares respirations teintées d’humour laisse toujours un goût amer. Cette puissance narrative sculptée autour d’échanges verbaux chocs se clôt par une séquence finale suffocante ; bien heureusement patinée d’espoir. Ladj Ly parvient à éviter tout manichéisme et à rester juste avec aucun coupable ni innocent. Même si la citation finale de Victor Hugo ; « Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs » ; affiche une indulgence bien légitime seulement envers les enfants révoltés. Des maladresses malgré tout, nous pourrions en relever mais ce long métrage est un tel uppercut ne pouvant nous laisser indifférent que l’on finit très vite par les oublier ; happés que nous sommes par ces deux jours en immersion complète. Filez vite voir ce très bon film français qui représentera la France aux Oscars.

Sorti en 2019
Ma note: 19/20