Dramatica : les lignes dramatiques

Par William Potillion @scenarmag

Melanie Anne Phillips distingue entre conte (ou légende ou encore fable) et le récit que l’on désigne communément par le mot d’histoire.
Un conte et une histoire possèdent chacun une structure spécifique. On pourrait dire du conte que l’on raconte effectivement un conte. Mais une histoire, ce serait plutôt qu’on la tisse.

Un fil que l’on déroule

Un conte, une fable, c’est comme un fil que l’on déroule. C’est une progression linéaire. C’est une série d’événements et d’ expériences émotionnelles qui mènent d’un point A à un point B.

On en retire du sens en cours de route (surtout une morale, une ligne de conduite, un modèle) et il n’y a aucune impression de vide, de rupture dans le récit. Le conte est probablement la structure la plus simple pour conter.

Et si l’on se soucie peu de la structure, on peut toujours assembler quelques lignes dramatiques, chacune avec sa propre signification et son propre impact émotionnel.
Beaucoup d’œuvres classiques sont ainsi organisées. Les films expérimentaux fonctionnent aussi de cette manière.

Néanmoins, si l’on veut faire valoir son projet d’abord, son travail ensuite, il vous faut créer une ligne qui décrit un parcours et un seul d’un point de départ à un point d’arrivée.

Une histoire, par contre, est plus complexe. C’est une structure qui se constitue en plusieurs lignes dramatiques et qui sont tissées. C’est comme si vous aviez plusieurs couches dramatiques, plusieurs plans dramatiques mais que vous ne les laissiez pas dans l’éther, séparées d’un espace vide si minime soit-il.

Ces lignes dramatiques sont véritablement tissées entre elles. Elles s’entremêlent pour former un tout. Et ce tout est l’histoire.

Chacune des lignes dramatiques peut être considérée comme un conte. Elle ne présente pas de trou narratif c’est-à-dire que sa continuité est logique (pour Dramatica, une telle continuité est l’assurance que son histoire sera considérée complète, entière).

Une ligne dramatique possède sa propre séquence d’événements (elle se suffit à elle-même bien qu’elle puisse trouver des référents dans des événements historiques ou encore des mythes) car chaque ligne dramatique est un tout en soi.

Pourtant plusieurs lignes dramatiques nous donneront l’illusion de se fondre entre elles. Nous ne distinguerons pas vraiment les différentes lignes dramatiques.
La structure d’une histoire, c’est une série d’événements donnée en pâture à l’attention du lecteur et qui sont conçus (cela ne le ferait pas s’ils étaient aléatoires, posés là parce que cela arrange davantage l’auteur au détriment des exigences de l’histoire) et qui sont conçus donc pour non seulement apporter du sens en tant que progression singulière (comme peut l’être par exemple l’arc dramatique du personnage principal) mais aussi comme partie intégrante d’un plus grand dessein.

Lignes dramatiques : Throughlines pour Dramatica

Dramatica nomme chacune des lignes dramatiques qui participeront à un tout : Throughlines. Les Throughlines (ou lignes dramatiques) sont des éléments narratifs qui ont leur propre début, leur propre milieu et leur propre dénouement.

Plus haut, j’ai donné l’exemple de l’arc dramatique du personnage principal. On peut sommairement considéré que ce personnage essentiel à l’histoire sera différent entre le début et la fin de son aventure.

Ce serait cependant lui rendre un hommage incomplet. Bien mieux serait de voir comment ce personnage évolue émotionnellement, de décrire les étapes (qui sont comme un parcours personnel avec des jalons le long du chemin) de sa transfiguration en quelque sorte par la possibilité ou la chance qu’il lui est donnée de se révéler à lui-même en comprenant, en assumant, en découvrant sur lui-même des sentiments qu’il n’osait affronter jusque là (du moins au début de l’histoire).

Et cette anagnorisis (ou illumination soudaine) se concrétise progressivement, à des moments particuliers de l’histoire qui sont aussi des articulations de celle-ci puisque l’action sera fortement liée aux prises de conscience de son personnage principal (qui est habituellement aussi le protagoniste qui fait avancer l’histoire dans une direction bien précise).

Laissez-nous illustrer la pensée de Mélanie Anne Phillips en prenant exemple du Bardo Thödol du bouddhisme tibétain (littéralement La libération par l’écoute dans les états intermédiaires traduit en français Livre tibétain des morts).

Ce guide décrit les états intermédiaires de conscience entre la mort et la renaissance. Il s’agit des transformations de la conscience entre la mort et la renaissance.
Joseph Campbell parle aussi d’une mort symbolique pour le héros. Chez Campbell, ce serait même une nouvelle naissance plutôt qu’une renaissance. Pour les auteurs de fiction, l’état de conscience du personnage principal au début de l’histoire doit impérativement changer.

Cela se fera en différentes étapes (car comme dans la vie réelle, il est très difficile de sortir brutalement d’une dépression par exemple) pour connaître enfin sa véritable nature, ce qu’il est vraiment et qu’il a trop caché jusqu’au moment où l’histoire débute.

Une évolution plutôt qu’un arc

Pour Mélanie Anne Phillips, l’évolution d’un personnage est avant tout un parcours émotionnel. Le trajet émotionnel que chaque personnage empruntera est un chemin particulier qui est personnel au personnage et qui décrit la progression de ses sentiments au début de l’histoire, à chaque moment-clé de celle-ci et en fin de compte au dénouement, sorte de jugement final pour les personnages.

La théorie narrative Dramatica distingue entre un profond changement de personnalité ou  de la nature du personnage ou bien un renforcement de ses convictions.

Le personnage passera donc par une série d’émotions qui seront reconnues du lecteur parce que l’émotion est immédiate.
On sera peut-être fasciné par les actions du personnage mais sympathie et empathie ne s’installeront que sur le plan émotionnel.

La ligne dramatique (et c’est en cela que l’on peut considérer que ce voyage solitaire possède la structure du conte car il s’agit d’une ligne, quelque chose de linéaire par nature) sera fidèle à ce qu’elle est vraiment (c’est-à-dire quelque chose de profondément humain et personnel) et sera soumise simultanément aux effets des influences extérieures au personnage.

Donc, une histoire est différente du conte en cela que l’histoire convoquera non pas une mais plusieurs lignes dramatiques. La complexité ne sera pas à craindre car il est toujours possible de l’analyser en éléments dramatiques beaucoup plus simples.

En reprenant cette notion de lignes dramatiques, nous pouvons facilement créer la structure d’une histoire et s’assurer ainsi qu’il ne subsiste aucune inconsistance dans l’élaboration de celle-ci.

La structure d’une histoire doit être complexe

Ne s’occuper que de la progression séquentielle des choses, c’est vouloir écrire un conte. Une histoire exige bien plus que cela. Le conte est essentiellement édifiant. Si l’on veut que son histoire soit exemplaire, elle sera un débat d’idées.
Elle offrira à son lecteur un argument, c’est-à-dire différents points de vue qui s’opposeront, qui se défieront, qui tenteront de s’imposer.

Cette confrontation crée une dialectique. Ce qu’il en ressort sera le message de l’auteur. Une histoire réputée finie pour Dramatica possède une structure multiple ou en couches apparemment parallèles.

En identifiant les lignes dramatiques qui constitueront son histoire, l’auteur s’assure qu’aucune ligne dramatique ne prendra le dessus sur les autres laissant le lecteur avec des questions sans réponse. Selon Dramatica, une histoire réputée finie est une histoire qui est en phase avec le monde réel et qui n’est pas commune (stéréotypée) ou mélodramatique (c’est-à-dire sans lien avec la réalité organisée dans laquelle nous baignons tous et que l’auteur doit sans cesse rappeler).

Et des thèmes

Les thèmes abordés peuvent être nombreux dans une histoire en couches dramatiques. Il est plus intéressant de comparer deux qualités humaines pour voir celle qui sera la meilleure dans les situations décrites par l’histoire. Un thème est une telle comparaison.

Un personnage par exemple peut s’interroger s’il doit dire un mensonge à l’être aimé pour le préserver et ressentir ensuite une culpabilité (un fardeau toujours difficile à porter) ou s’il doit dire la vérité au risque de le blesser et de le perdre.
Ce conflit intime est un thème en soi qui participera au message de l’auteur mais ce message sera bien plus élaboré que la mise en avant d’un seul thème.

En travaillant sur plusieurs lignes dramatiques, vous pointerez sur différents thèmes qui éclaireront chacun à sa façon votre suprême message.

Reprenons un exemple donné par Mélanie Anne Phillips. Un auteur pourrait vouloir traiter de la cupidité. La cupidité en elle-même n’est pas très dramatique si l’on ne montre que les choses sous ce seul aspect.

Par contre, si vous opposez la cupidité à ce que Dramatica nomme un Counterpoint ou que Robert McKee considère comme des Story Values, c’est-à-dire ce qui pourrait contredire la cupidité (par exemple la générosité), l’auteur peut tenter de prouver quel est l’état d’esprit (vertu ou vice) qu’il faut posséder en démontrant comment chacun de ces états s’en sort tout au long de l’histoire.

Le message pourrait être que la générosité est bonne mais une autre histoire pourrait faire l’éclatante démonstration qu’en certaines circonstances, la cupidité est bien meilleure.

Une double exploration dramatique

L’exploration de la cupidité occupera une ligne dramatique spécifique. L’exploration de la générosité ne se fera pas entremêlée dans cette ligne dramatique réservée à la cupidité. La générosité possédera sa propre ligne.

Chacun des sujets connaîtra sa propre progression sans être comparé les uns aux autres (parce que cette comparaison est autoritaire et relève davantage du sermon ou de la propagande).
En suivant leur chemin parallèlement, chaque ligne s’équilibre et le message (ou du moins la preuve de son message) se construira dans la durée de l’histoire.

Vous autorisez ainsi votre lecteur à venir à sa propre conclusion. Vous l’impliquerez dans votre message car il s’emparera de ce message si vous lui offrez en connaissance de cause. Et ces causes, ce sont les lignes dramatiques.

Même les intrigues secondaires possèdent une ligne dramatique dédiée. Elle a un début, un milieu, une fin et un personnage qui lui est central. Et cela, bien que sa finalité soit d’éclairer au mieux l’intrigue principale.

Ce qui compte est que l’état mental des personnages corresponde à ce qu’il se passe à l’intérieur d’eux et qu’il n’agisse pas soudain contrairement à leur humeur ou attitude du moment. Ce qui serait une inconsistance dans le langage de Dramatica.

Je vous renvoie à cet autre article DRAMATICA THROUGHLINES pour compléter cet article.

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