[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #39. Romeo + Juliet

Par Fuckcinephiles

Photo by 20th Century Fox/Getty Images - © 2013 Getty Images


Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !  


#39. Romeo + Juliette de Baz Luhrmann (1996)

Avant d'être le Jack courageux qui, paquebot légendaire coulant, s'est sacrifié pour que sa belle Rose puisse survivre, ou même le comédien aussi talentueux qu'adulé qu'il est aujourd'hui, mâle alpha d'une jungle Hollywoodienne ou tout lui est permis, Leonardo Di Caprio fut tout simplement le Roméo d'une Juliette, dans ce qui fut une adaptation au moins autant ambitieuse et séduisante qu'elle fut méchamment et injustement conspuée : Romeo + Juliet.

Une oeuvre qui implique, presque obligatoirement, le fait de garder ses idées préconçues aux vestiaires, avant de pleinement à jeter sans réserve dans sa vision, tant Baz Luhrmann s'échine à vouloir autant contenter les puristes et esthètes de l'art Shakespearien, qu'attirer les regards d'une génération MTV ne s'étant sans doute jamais réellement intéressé, hors carcan scolaire, à la légende de la littérature britannique.
Le tout avec une grandiloquence et une extravagance qui imposera au fer rouge les bases de ce que deviendra son si unique et séduisant cinéma, et de ce qui peut aisément être considéré comme la plus personnelle des adaptations d'une oeuvre de Shakespeare, avec le merveilleux Ran d'Akira Kurosawa.

Photo by 20th Century Fox/Getty Images - © 2013 Getty Images

Pour le cinéaste, l'interprétation d'une oeuvre aussi cultissime et familière dans la psyché collective, n'est pas tant une reconceptualisation totale qu'une recontextualisation moderne d'une pièce vieille de plus que quatre cent ans.

Tout naturellement et sans que cela ne vienne gêner son auditoire (au contraire, cela donne même une bouffée d'air frais totalement improbable), le verbe usé par les personnages reste la même que celle contée par Shakespeare, un respect honorable - au dialogue près - même si elle est ici parlée avec un accent résolument américain qui colle parfaitement au cadre choisit la ville mythique de Verona Beach en Floride, superbe décor surréaliste où les bords de mer et les paysages urbains surchargés de buildings s'enlacent dans un mélange de délabrement critique et louche, et d'opulence extravagante.
Une cité du vice et des déséquilibres sociaux, qui aurait très bien pu s'appeler Los Angeles ou Rio, ou les Montague et les Capulet se livrent une rivalité ancestrale fermée, entre la guerre de gangs - les jeunes - et l'opposition plus subtiles et boursouflé de richesse à la Dallas - les adultes.
Plus moderne que véritablement contemporain, tant sa facture stylisée épouse fougueusement le statut d'une mise en abyme précise et minutieuse d'une époque en particulier (sa résonance avec l’iconographie du XXe siècle est flagrante à tous les niveaux, notamment avec son introduction et sa conclusion, décrivant sans forcer le trait, l'importance de la télévision), la péloche est avant tout et surtout un incroyable festin visuel, nourrit par une mise en scène purement frénétique et cinégénique, légitimement sa relecture par la force indécente de ses images, entre le drame baroque et le clip surdécoupé, le thriller tendu et urbain et le western spaghetti, la romance kitsch et touchante et l'actionner bourrin - mais clairement en plus foutraque - à la John Woo (fou mais vrai).

Photo by 20th Century Fox/Getty Images - © 2013 Getty Images

Tout n'est évidemment pas parfait sous le soleil écrasant - voire même épuisant - de Venice (le cabotinage volontairement extrême de certains comédiens en tête, qui ne lui rend absolument pas service,...), mais il y a quelque chose de profondément attachant dans la familiarité foisonnante de son contexte (entre les chemises hawaïennes des Montague, le côté Latino/Scarface des Capulet, une bande originale actuelle - pour l'époque - et une iconographie catholique aussi présente que les nombreux panneaux publicitaires aux slogans évocateurs), pour rendre intimement unique et sincère cet énième regard sur la tragédie intemporelle des amants maudits, incarnée avec suffisamment de candeur par le joli couple Leonardo Di Caprio/Claire Danes (ils étaient déjà, à l'époque, deux des meilleurs comédiens de leurs génération).

Une oeuvre à part, sans véritable point de comparaison - pas même les autres films de son cinéaste -, qui avait imposé Baz Lurhmann, quoi qu'en diront certains, comme l'un des plus prestigieux stylistes et conteurs du cinéma de ses trois dernières décennies, et prouvé si besoin était, que la justesse de la plume de William Shakespeare était et est toujours, intemporelle.


Jonathan Chevrier