Little Joe (2019) de Jessica Hausner

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Co-production germano-britannique mais premier film en langue anglaise pour la réalisatrice-scénariste autrichienne Jessica Hausner à qui on doit les films "Lovely Rita" (2003), "Hôtel" (2005), la co-production germano-française "Lourdes" (2011) et "Amour Fou" (2014). L'idée de départ interpelle un chouïa, la cinéaste explique : "Le secret que chacun porte en soi (...) C'est toujours un secret difficilement comptéhensible pour les autres, mais aussi pour l'individu lui-même. Ce mystère qui est en nous va émerger soudainement, et tout ce qui nous a paru familier jusque-là va sembler tout à coup énigmatique.". La cinéaste co-signe le scénario avec Géraldine Bajard réalisatrice-scénariste française qui fût script sur "Lourdes" et "Amour Fou" sus-cités... Dans un labo, la phytogénéticienne Alice a développé une fleur à la beauté remarquable et dont les effets thérapeutiques apportent tout simplement le bonheur. Une réussite telle qu'elle offre une fleur à son fils mais bientôt Alice découvre qu'il y a des effets secondaires...

Le casting est lui composé en grande majorité d'acteurs britanniques ou anglophones. La phytogénéticienne est incarnée par Emily Beecham remarquée dans la série TV "Into the Badlands" (2014-...) et aperçue dans (2016) des frères Coen. Son fils est joué par le jeune Kit Connor vue dans "Ready Player One" (2018) de Steven Spielberg et (2019) de Dexter Fletcher. Ils sont entourés de grands acteurs avec Ben Whishaw cu récemment dans "Le Retour de Mary Poppins" (2018) de Rob Marshall, Kerry Fox vue entre autres dans "Intimité" (1999) de Patrice Chéreau et "Bright Star" (2010) de Jane Campion, et David Wilmot acteur fétiche du réalisateur John Michael McDonagh dans "L'Irlandais" (2011), (2014) et "War on Everyone" (2017). Notons le jeune acteur français Phénix Brossard qui était dans "La Lisière" (2011) premier film en tant que réalisatrice de Géraldine Bajard et vu ensuite dans (2016) de Roshdy Zem... La première chose qui frappe est l'esthétique du film, à la fois plutôt classique pour le genre et d'une atmosphère anxiogène singulière. Les couleurs chatoyantes contrastent avec le blanc immaculé et aseptisé de l'univers laborantin qui donne l'impression d'un conte de fée moderne mais aussi un conte funeste et mystérieux. Visuellement c'est assez hypnotisant, mais malheureusement on en dira pas autant de la musique, aussi inattendue que bizzaroïde. La musique est signée du compositeur japonais Teiji Ito, connu notamment pour sa collaboration dans les années 40 avec la cinéaste expérimentale Maya Deren ; résultat, une musique très japonisante avec entre autres des aboiements de chiens intempestifs et jamais on ne comprend le lien entre la musique et le récit.

Le décalage est effectif et surprenant mais assurément pas cohérent ni judicieux pour ne pas dire envahissante et insupportable. C'est bien dommage car il faut réussir à faire abstraction de la musique pour tenter d'apprécier l'histoire. Car l'idée de base est bonne et permet bien des interrogations sociales et éthiques. Ainsi, une plante stérile créée pour notre bonheur semble avoir réussit à muter par instinct de survie, à savoir si elle offre bel et bien le bonheur elle nous imposerait sa pérennité. La force du film réside sur ce point, en effet jamais on nous sert la solution sur un plateau et donc le film repose sur l'ambiguité de la problématique : est-ce que Little Joe est en mutation pour sa survie ou est-ce que Alice et Bella traversent un moment difficile de leur vie ?! Mais Jessica Hausner aurait pu être encore plus floue, être encore plus vicieuse pour accentuer cette sensation de doute. En toile de fond il y a aussi les questions que posent la manipulation génétique, avec sa dose de paranoïa. Sur le fond donc la réalisatrice signe un film plein d'acuité et d'intelligence, à la fois dérangeant et interrogatif. Sur la forme on mettra surtout un bémol sur la musique. La montée en puissance du tensiomètre aurait pu être un chouïa moins timorée mais le film reste assez prenant pour qu'on s'y attarde. Précisons que l'actrice Emily Beecham a reçu le Prix d'interprétation au Festival de Cannes 2019.