[CRITIQUE] : In Fabric

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Peter Strickland

Acteurs : Marianne Jean-Baptiste, Sidse Babett Knudsen, Hayley Squires, Leo Bill, Gwendoline Christie, Fatma Mohamed,...
Distributeur : Tamasa Distribution
Budget : -
Genre : Thriller, Épouvante-Horreur. 
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h58min
Synopsis :
La boutique de prêt-à-porter Dentley & Soper's, son petit personnel versé dans les cérémonies occultes, ses commerciaux aux sourires carnassiers. Sa robe rouge, superbe, et aussi maudite qu'une maison bâtie sur un cimetière indien. De corps en corps, le morceau de tissu torture ses différent(e)s propriétaires avec un certain raffinement dans la cruauté.

Critique :
Critique cruelle et lugubre du consumérisme, incroyablement existentielle, obsédante et cryptique tout en aimant se perdre avec jouissance dans la physicalité de ses textures, #InFabric est un pur diamant onirique et aride qui ne peut seduire les amoureux du ciné de P. Strickland pic.twitter.com/2aacAfRwqB— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) November 20, 2019

Ayant joliment attiré l'attention sur sa personne en 2012 avec le très réussi Berberian Sound Studio, pur hommage aux giallis des 60's, force est d'admettre que c'est définitivement le troisième passage derrière la caméra de l'anglais perfectionniste Peter Strickland, qui a mit tout le monde d'accord : The Duke of Burgundy, pur trip naturaliste étrange, élégant et maîtrisé au fétichisme certain, citant directement le cinéma bis italien des 70's, mais également les cinémas de David Lynch (Mulholland Drive en tête), Brian De Palma et Jess Franco.

Toujours dans un hommage fétichiste et sans prétention à l'horreur européene vintage - avec une pincée de drame baroque à la Fassbinder et de thriller érotique -, In Fabric s'attache à conter l’histoire singulière et sanglante d’un grand magasin du sud de l’Angleterre, où habite une maudite robe rouge qui convient parfaitement aux femmes ayant le malheur de la porter.
Aussi séduisant que jamais dans son récit sur le pouvoir transformateur du vêtement raffiné, mais aussi dans sa condamnation effrontée du consumérisme qui pousse toujours les gens à acheter plus, le nouvel enchantement tant attendu de Strickland épouse la même cohésion incroyable de son précédent - et limite chef-d'oeuvre - film, pour pleinement marquer son auditoire et s'imposer comme une nouvelle référence absolue, perdue dans les ténèbres et la confusion la plus totale.

Plus expérimental que ses précédents essais, jouant sur le rapport impulsif et passionné que certaines personnes ont avec la mode pour la pervertir en une histoire de fantôme sur une robe maudite férocement sensuelle et tactile, In Fabric répond avec une ferveur incroyable à The Duke... dans son amour fou du giallo et sa patine surnaturelle, semblant à la fois condamné dans les 70's et pourtant délicieusement hors du temps.

Sous l'emprise totale d'un cinéaste définitivement plus malin que la moyenne, la bande est un gros ride sensitif terrifiant, une odyssée fétichiste et pleine de fureur ou l'angoisse sourde naît de scènes, en apparence, d'une banalité affligeante (la terreur émerge souvent du rire voire de l'incrédulité même de ce qui nous est montré). 
Croqué comme une terrible descente aux enfers où la caméra semble se délecter de la douleur, du malheur et du sang versé par son sujet, on s'attache au destin de la pauvre Sheila (Marianne Jean-Baptiste), la première vraie victime de la robe à l'écran, une mère divorcée d'une gentillesse rare, flanquée d'un fils adulte et ingrat, à la petite amie dominatrice (Gwendoline Christie, géniale).
Elle occupe un job méchamment ennuyeux de caissière dans une banque, essaie de faire son mieux pour (sur)vivre et tenter de goûter aux joies du bonheur.
Et c'est cette vulnérabilité émotive qui lui fera acheter in fine la robe maudite pour un rendez-vous qui ne mènera à rien, car la vraie héroïne du métrage est bel et bien la robe, et toutes ses victimes ne sont que les pions froids de sa soif de sang et de chair.
Obsédant comme un grand Lynch (on pense indiscutablement à son insaisissable Lost Highway, qui jouait également du trouble sensoriel dans une sorte de synesthésie envoûtante), épousant la supposée futilité/absurdité de son intrigue (une robe tueuse... sacré slasher Z ++ sur le papier) avec un respect sans bornes, incroyablement existentiel et cryptique, se nourrissant avec gourmandise des questions qu'ils posent constamment sans jamais y répondre, tout en aimant se perdre avec jouissance dans la physicalité de ses textures, In Fabric a tout du sphynx presque totalement impénétrable dont l'énigme reste entière.

Critique cruelle et lugubre du consumérisme (ou quand vouloir acheter notre chemin vers une vie plus belle est un désir si puissante qu'il peut tuer), menaçant continuellement de basculer dans une dimension parallèle, sans que l'on sache pour autant dans laquelle on se situe tout du long (une réalité exagérée/fantasmée où l'on est à la merci de choses sont aussi expressives que les vivants), le Strickland nouveau est un diamant noir onirique et aride (encore plus dans son humour), qui ne plaira pas à tous les publics, mais rendra fabuleusement fou les adorateurs de son cinéma. 


Jonathan Chevrier