Metropolis (1927) de Fritz lang

Monument mythique et historique du Septième Art, ce film allemand est l'oeuvre du couple formé par et Thea Von Harbou ; le premier est déjà un des plus grands cinéastes de son temps, la seconde est sa conjointe (de 1922 à 1933) et a écrit le roman éponyme (1926) dont est adapté ce film d'anticipation dystopique, un genre qui est aujourd'hui répandu. Muet et en Noir et Blanc, Lang avoue d'autres influences, comme la ville de New-York qu'il avait visité en 1924, le film de science-fiction soviétique "Aelita" (1924) de Yakov Protazonov et les photomontages signés de Paul Citroën intitulés justement "Metropolis" (1923). Le film connut une production dantesque qui finit par une première version originale de 153mn, (aujourd'hui perdue), la version finale en salle de 116mn, puis la version restaurées en 2010 de 148mn qui est celle qui nous favorisons (25mn retrouvées avec des séquences altérées mais qui permettent un montage d'origine)... En 2026, la ville de Metropolis est scindée en deux, la ville haute où vivent les nantis et les familles dirigeantes, puis la ville basse où les ouvriers et travailleurs doivent faire fonctionner les machineries. Alors qu'on savant fou crée un robot à l'image de son défunt amour, la révolte gronde...

Metropolis (1927) de Fritz lang

Lang et Thea Von Harbou ont déjà collaboré ensemble de nombreuses fois et ce, bien avant d'être ensemble, de "La Statue qui Marche" (1920) au "Le testament du Docteur Mabuse" (1933) en passant par "Les Nibelungen" (1924) et (1931) souvent d'après des romans de Von Harbou. Pour le casting, le couple fait appel à des acteurs fidèles comme Rudolf Klein-Rogge (1er époux de Thea Von Harbou !) et Theodor Loosla tous deux déjà dans "Le testament du Docteur Mabuse" (1933) et "Les Nibelungen" (1924), Erwin Biswanger jouait également dans ce dernier, Fritz Rasp jouait dans "La Femme sur la Lune" (1928), Alfred Abel jouait dans "Docteur Mabuse le Joueur" (1922), dans les premiers rôles seule Brigitte Helm est alors inconnue, celle qui deviendra une star avec le succès du film et fera une courte carrière et retrouvera entre autres son partenaire Alfred Abel dans "L'Argent" (1928) de Marcel L'Herbier... Tourné sur presque une année en 1925-1926, le tournage connut des difficultés nombreuses et diverses, allant de la mégalomanie de Fritz Lang et l'explosion du budget aux premiers désaccords au sein même du couple alors que Thea Von Harbou sympathisait de plus en plus avec les idées nazies. Cette dernière poussa à orienter le scénario vers une collaboration de classe (fasciste) plutôt que vers une "lutte des classes" (marxiste)... Néanmoins, le film devient par définition une superproduction avec un budget grimpa à plus de 5 millions de deutshmarks (valeur 1926) soit une somme qui serait aujourd'hui à plus de 18 millions d'euros ! Lang multiplia les prises, il n'hésita pas par exemple à inonder la ville avec 500 enfants figurants durant des prises qui durèrent 14 jours, le bûcher a failli être un drame quand la rôbe de Brigitte Helm prit feu (!)... etc... Précisons que le film se dota de plus de 25000 figurants dont 11000 femmes et 500 enfants. Un tournage tel que c'est durant celui-ci que Fritz Lang perdit un oeil, ce qui fera de lui, plus tard, le 4ème borgne de Hollywood avec , Raoul Walsh et Andre De Toth... Le film impressionne de par les techniques utilisées et crées pour l'occasion. Ainsi le superviseur des effets spéciaux Eugen Schüfftan crée l'effet Schüfftan qui consiste en gros à un miroir semi-réfléchissant incliné qui permet de donner l'illusion d'un décor continu (effets qui sera très utilisés ensuite notamment dans les films fantastiques), le sculteur Walter Schulze-Mittendorff crée le robot en moulant sur le corps de Brigitte Helm une substance dit "bois plastique", et enfin l'importance de la musique, évidemment essentielle dans un film muet, composée par Gottfried Huppertz qui s'est inspiré autant de Wagner et Strauss que de la Marseillaise ! Une musique omniprésente qui était joué en direct sur le tournage au piano. Des choix qui montrent et démontrent l'ambition et l'audace de Fritz Lang pour ce film unique qui sera la premier à être classé sur le Registre de la mémoire du Monde de l'UNESCO...

Metropolis (1927) de Fritz lang

L'histoire mêle le monde binaire riche/pauvre au mythe du savant fou, ce dernier étant en quelque sorte le grain de sable qui va mettre le feu au poudre. Touchant à l'universalité, les thèmes abordés parlent à tous d'autant plus que le film s'annonce comme visionnaire peu de temps avant le Krach de 1929 et la montée du nazisme. Un film de 02h25 tout de même mais qu'on ne voit pas passé, le récit est prenant, toujours en mouvement et jamais attentiste malgré son chapitrage en 3 segments : Auftakt (commencement) de 66mn qui met en place les protagonistes et les intrigues, Zwischenspiel (interlude) de 28mn où les drames se déclenchent réellement, puis Furioso de 52mn qui voit arriver la révolte et le chaos. La première partie est plus dans le drame classique, avant que la tension monte d'un cran dans l'interlude jusqu'à l'explosion de colère et de haine qui va aller crescendo. Si aujourd'hui on peut comprendre H.G. Wells qui disait du film : "un ramassis d'à peu près tous les clichés, sottises et platitudes possibles", il n'en demeure pas moins que techniquement le film est bluffant (tournage en 1925-1926 !), et que, ajouté au scénario le film va devenir culte et un exemple copié depuis par bien des films de "Frankenstein" (1931) de James Whale à "Dark City" (1998) de Alex Proyas en passant par "Blade Runner" (1982) de Ridley Scott et "Batman" (1989) de Tim Burton... On mettra surtout un bémol sur la savant fou, qui crée un robot à l'image de son grand amour, et qui veut à la fois créé le chaos sans qu'on y voit un lien tangible entre les deux délires. Si Lang est comme hanté par le film, ses acteurs n'en sont pas moins habités dans des performances hallucinées. Mais il faut avouer, que sans l'impressionnante mise en scène de Fritz Lang, l'histoire reste un peu trop binaire même si il évite tout manichéïsme. Plus que de dénoncer les différences de classes, il dénonce la bêtise des moutons, à savoir que les effets de groupes menés souvent par des leaders auto-proclamés sont souvent annonciateurs de chaos et de carnage. Le film sera un terrible échec financier mais entrera vite à la postérité. Un film à voir et à conseiller !

Note :

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