Regain (1937) de Marcel Pagnol

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Marcel Pagnol, lui-même auteur renommé, avait une affinité naturelle avec le romancier Jean Giono, à savoir leur amour pour la Provence. Pas surprenant donc qu'après avoir déjà réalisé "Joffroi" (1933) l'auteur-cinéaste Pagnol adapte à nouveau un roman avec "Regain" (1930) de Jean Giono toujours ; "Regain" qui est l'herbe qui repousse après la fauche et qui sert habituellement au fourrage... Le livre de Giono a pour thème centrale la désertification des villages, et notamment dans l'arrière-pays provençal, on comprend alors tout l'intérêt de Pagnol pour l'oeuvre de son confrère... Ainsi, le village de Aubignane ne compte plus que 3 habitants et bientôt plus que Panturle. Un jour un rémouleur nommé Gédémus qui est accompagné de Arsule arrive au village. Par le hasard ou le destin, le couple se sépare et Arsule se met en ménage avec Panturle ce qui donne l'espoir de faire revivre le village...

Pour l'anecdote, Aubignane est un village imaginaire et n'a donc rien à voir avec Aubignan à côté de Carpentras, il serait en fait inspiré de Redortiers (à environ 30kms à l'est de Carpentras) qui aurait perdu son dernier habitant dans les années 40... Pour ce film Pagnol réunit quelques acteurs fétiches, d'abord Fernandel qui tourne là le 3ème des 5 films avec le cinéaste que sont "Angèle" (1934), "Le Schpountz" (1937), "La Fille du Puisatier" (1940) et "Topaze" (1951). Bien entendu sa muse Orane Demazis (sa compagne entre 1925 et 1938) qui sera pratiquement de tous ses films à l'instar de l'inénarrable Edouard Delmont. L'unique villageois de Aubignane est incarné par Gabriel Gabrio vu dans "Les Croix de Bois" (1932) de Raymond Bernard et "Les Visiteurs du Soir" (1953) de Marcel Carné. La Mamèche est incarnée par Marguerite Moreno aujourd'hui oubliée mais elle a été "La Muse des Symbolistes" dans les années 1890-1900 avant d'être La Thénardier dans "Les Misérables" (1933) de Raymond Bernard ; amusant d'ailleurs quand on sait que Orane Demazis jouait aussi dans ce dernier et que Gabriel Gabrio est Jean Valjean dans la version "Les Misérables" (1925) de Henri Fescourt. Et enfin, le brigadier est joué par Robert Le Vigan un des seconds rôles les plus connus de son temps vu dans "La Bandera" (1935) de Julien Duvivier et "Les Bas-Fonds" (1936) de Jean Renoir tous deux avec Jean Gabin ; pour l'anecdote, Le Vigan sera retiré du générique en 1945 après avoir été condamné pour collaboration, en sus de sa dégradation nationale et de ses 10 ans de travaux forcés (il en fera 3)... S'il s'agit à la base d'un roman de Giono, tous les ingrédients sont là pour faire de ce film un film de Pagnol. On décélera sans doute un côté moins gouailleur, au pittoresque différent ce qui fera dire à Giono qu'il n'a pas apprécié cette adaptation par Pagnol.

Toujours entre comédie et drame on plonge dans la Provence profonde avec ses personnages attachants et ses paysages champêtres. Le film est scindé en deux, la première est pessimiste et tragique (vieillesse, solitude, désertification, violence aux femmes...) où on voit un Fernandel incarné un homme mesquin comme rarement il en aura joué. La seconde partie est empreint d'optimisme, qui prône des valeurs aujourd'hui oubliées (travail, solidarité, amour, pardon,...), avec des séquences touchantes qui tirerton sans doute la larme à l'oeil. Mais le récit se dote également d'une pincée d'onirisme qui rappelle que certaines croyances sont bien enracinées. Giono + Pagnol offre une oeuvre pleine de justesse et d'humanité. Les acteurs sont remarquables, d'un Fernandel antipathique à l'émotion de Orane Demazis en passant par l'émouvant Edouard Delmont. Un film de 2h15 qui passe doucement, où même la méchanceté a une saveur d'espérance. Un grand film, trop méconnue et qui reste pourtant un des meilleurs Pagnol aux côtés de ses propres adaptations personnelles comme la "trilogie marseillaise" ou "La Femme du Boulanger" (1938). A voir, à revoir et à conseiller.