Trois Jours et une Vie (2019) de Nicolas Boukhrief

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Chose rare, ce film est une commande de l'auteur qui souhaite voir porté à l'écran son roman ! Déjà heureux lauréat d'un prix Goncourt suivi d'un César pour l'adaptation magnifique "Au Revoir Là-Haut" (2017) de et avec Albert Dupontel, l'auteur Pierre Lemaitre a donc fait appel au réalisateur des films "Le Convoyeur" (2003), "Gardiens de l'Ordre" (2009) et "Made in France" (2016), Nicolas Boukhrief pour signer le film adapté du roman "Trois Jours et une Vie" (2016), où comment en 1999 un village des Ardennes belges va être chambouler par la disparition d'un enfant. Alors que l'enquête piétine la suspicion parasite les relations... Un film dont le sujet ne peut laisser indifférent donc, entre thriller et drame où les protagonistes vont des policiers au simple citoyen en passant par les proches de la victime.

Boukhrief, réalisateur-scénariste réunit un casting solide avec pêle-mêle Sandrine Bonnaire vue dans "Une Saison en France" (2018) de Mahamat-Saleh Haroun, Philippe Torreton vu dans "Les Bonnes Intentions" (2018) de Gilles Legrand, Charles Berling et Pablo Pauly qui se retrouve après "Blanche comme Neige" (2019) de Anne Fontaine, Margot Brancilhon remarquée dans (2018) de Victor Saint-Macary et Dimitri Storoge qui était déjà dans "Made in France" de Boukhrief... Le cinéaste a beaucoup échangé avec le romancier pour évoquer les pistes à suivre, et notamment les inspirations. Les noms qui en sont sortis sont surtout les romans de Simenon, lui-même omniprésent au cinéma depuis "La Nuit du Carrefour" (1932) de Jean Renoir à "Monsieur Hire" (1989) de Patrice Leconte (pour ne citer que ceux produit de son vivant), mais aussi pour "l'énergie qui court à travers nombre de ses films, où les personnages sont essentiellement régis par leurs pulsions.", et enfin "Les 400 Coups" (1959) de François Truffaut pour "un film ressenti, au moins dans sa première partie, à travers les yeux d'un adolescent."... Le film débute comme un thriller psychologique où la tragédie intime d'une famille gangrène tout un village. Ce genre de drame qui touche toujours le point sensible et dont l'auteur place le rebondissement ultime lors d'une tempête historique fin 1999 (qui a réellement existé rappelons-le au plus jeune). Une tempête qui scinde ainsi le récit en deux parties, la première où se noue le drame, où nous faisons connaissance avec les protagonistes et ce village des Ardennes belges, puis une seconde où une ellipse de 15 ans nous plonge dans un village qui a continué à vivre comme si de rien n'était mais où un secret immoral s'est insinué mine de rien. Outre les personnages il faut noter l'importance non négligeable de la nature, de cette forêt "hantée" qui est la fois tombeau et victime, symbole du temps qui passe avec les aléas de la vie... La force de Pierre Lemaitre est d'avoir su raconter un thriller dramatique où il n'y a pas forcément de psychopathe monstrueux, et où il manipule l'idée de culpabilité et de conscience avec une ironie qui ne peut que laisser place à une sorte de malaise.

Pourtant, Nicolas Boukhrief a arasé cette dernière idée, la culpabilité n'est pas traitée franchement, le responsable étant plus embêté par sa liberté que par sa conscience qui elle semble pouvoir s'en accommoder. Ce dernier paramètre est d'ailleurs ce qui à la fois nous gène et nous impose une option certe immorale mais terriblement savoureuse. C'est parfois un peu tiré par les cheveux, mais on y croit pourtant car on ressent cette chance insolente qui arrive assurément parfois même si on aurait aimé une solution moins "idyllique" (maman !). En tous cas la photographie est sublime, à l'image idéale qui appuie cette atmosphère pesante qu'on imagine malheureusement sans mal devant une telle tragédie. En prime un casting impeccable avec des acteurs inspirées et déchirants. Pour son premier film de commande Boukhrief signe un excellent film, tourné comme un thriller psychologique mais qui demeure avant tout un drame social.