JEUX D’INFLUENCE (Critique Saison 1) Véritable série d’utilité publique…

JEUX D’INFLUENCE (Critique Saison 1) Véritable série d’utilité publique…JEUX D’INFLUENCE (Critique Saison 1) Véritable série d’utilité publique…SYNOPSIS: Un agriculteur touché par la maladie, un cadre d'une multinationale agro-chimique retrouvé mort, un député en lutte pour amender la loi sur l'utilisation des pesticides...

Prix de la Meilleure mini-série au Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2018 (et l'on comprend rapidement pourquoi), Jeux d'Influence nous plonge dans les méandres aussi nauséabonds qu'opaques des lobbies agrochimiques, dans un contexte politico-économique de plus en plus explosif, où les enjeux sociétaux et environnementaux n'ont jamais eu aussi forte résonance auprès du grand public que depuis que le colosse Monsanto essuie enfin de sérieux revers au fil de procès perdus très récemment contre les agriculteurs en colère. L'oscarisé Jean-Xavier de Lestrade (c'était en 2002 pour Un coupable idéal) a co-crée avec Antoine Lacomblez cette série qu'il réalise avec rigueur et application, et qui s'emploie à démontrer toute la complexité du système, ou comment nos gouvernants jugés si passifs par l'opinion publique sont quasi pieds et poings liés, eux-mêmes gouvernés par les éminences grises au service des puissants de ce jeu de massacre industriel.

Cela part de presque rien. Un malaise, un matin, après l'épandage de son champ. Un énième, celui de trop, et Michel Villeneuve ( Christophe Kourotchkine) s'effondre. Le couperet tombe, impitoyable : une leucémie. C'est l'étincelle qui met le feu aux poudres, et qui décide le député Delpierre ( Laurent Stocker ), ami de longue date de l'agriculteur très impliqué dans sa circonscription, de présenter un amendement contre les pesticides. En parallèle, le directeur de la communication de Saskia, firme fictive qui élabore et diffuse très largement les pesticides en question, fait une importante découverte, qui va jeter un pavé dans la mare et tout éclabousser alentours, ne laissant personne indemne. Dès lors, une poignée de protagonistes entrent dans une ronde des plus cruelles où les intérêts personnels, la cupidité et la soif de justice s'entremêlent : lobbyistes, consultants, assistants parlementaires, élus, agriculteurs, chercheurs... ainsi que leurs proches. La sphère intime se percute violemment au monde des relations publiques tandis que Lestrade élabore un véritable diorama de ce que représente aujourd'hui l'industrie agrochimique en France, l'héritage d'un demi-siècle d'agriculture intensive et de ses corollaires. Il tisse une toile aux confins de laquelle chaque protagoniste paye le prix fort de la course au profit, avec des conséquences au-delà de l'imaginable, et qui abiment tout sur leur passage. Sur un échiquier géant, les pions avancent à pas comptés, s'adonnant chacun à leur stratégie propre, dans un chassé-croisé de révélations et de manipulations aussi sordides que passionnantes : on n'a pas envie d'en perdre une miette.

Et pour cause : Jean-Xavier de Lestrade a compris depuis longtemps comment donner corps à ses personnages, avec un goût prononcé pour l'authenticité, le réalisme quasi naturaliste qui se dégage de son sujet et fait écho à sa première casquette de documentaliste. En véritable orfèvre, patient et impliqué, il laisse le temps à ses personnages d'exister à l'écran, de déployer leurs doutes, leurs tiraillements, de laisser s'exprimer leurs silences qui en disent tellement long, pour aboutir à une anti-caricature qui tient du miraculeux. Superbement dirigés, les comédiens sont collégialement d'une justesse désarmante, habitant des personnages tout en pleins et déliés, captivants jusqu'aux seconds couteaux, qu'ils nous apparaissent sympathiques ou écœurants, et au premier rang desquels on retrouve évidemment l'irréprochable Laurent Stocker et Alix Poisson, stupéfiante, ainsi que le féroce Jean-François Sivadier, le jeune loup Pierre Perrier et Marilou Aussilloux, poignante. Terriblement réaliste, froid et implacable comme le rehausse impeccablement le travail sur l'image de Isabelle Razavet, sans fioritures, Jeux d'influence évoque sans peine le cinéma de Ken Loach, dans sa manière de faire fusionner le réel avec une intrigue aux arcanes plus complexes, mais toujours ultra documentée, exempte de rebondissements factices et vantards, à l'esthétisme réaliste dont il émane une incontestable poésie, soulignée par la mélancolique musique de Raf Keunen.

Véritable série d'utilité publique, puisqu'elle donne à saisir l'imperceptible, ces rouages qui broient notre monde dans le confort feutré des bureaux design et des salons raffinés, à l'abri des regards, quand l'opinion publique se concentre sur la partie émergée de l'iceberg : la passivité notoire des pouvoirs publics. Jeux d'influence est le récit d'un bras de fer herculéen, aux ramifications tout aussi denses que pourries, qui lève le voile sur l'un des derniers secrets de notre ère.

Crédits: Arte