Une Femme Mariée (1964) de Jean-Luc Godard

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Lorsque Jean-Luc Godard tourne ce film entre "Bande à part" (1964) et "Alphaville, une Etrange Aventure de Lemmy Caution" (1965) il est quasiment au sommet de son art, à l'apogée de sa filmographie. Et pourtant, ce film est sans doute un tournant dans sa carrière... "Une Femme Mariée : suite de fragments d'un film tourné en 1964" raconte à première vue une histoire aussi banale qu'éculée, à savoir une femme partagée entre son mari et son amant, jusqu'à cette grossesse qui la met dans une situation inconfortable puisqu'elle ne sait pas qui est le père... Cette jeune femme, nommée Charlotte, est incarnée par Macha Méril qui, après une apparition non créditée dans "Le Signe du Lion" (1959) de Eric Rohmer revient à la Nouvelle Vague après avoir joué dans le dyptique "La Vie Conjugale" (1963) de André Cayatte. Son époux est interprété par Philippe Leroy révélé par le chef d'oeuvre "Le Trou" (1960) de Jacques Becker et futur père de l'actrice Philippine Leroy-Beaulieu, son amant est joué par Bernard Noel surtout connu au théâtre et à la télévision mais vu entre autre dans "Le Feu Follet" (1963) de Louis Malle.

Précisons que Godard offre le poste d'assistant réalisateur à un certain Jean-Pierre Léaud révélation de "Les 400 Coups" (1959) de François Truffaut... Godard signe un film destructuré autant dans le fond que dans la forme où on a une sorte de succession de scènes avec une majorité de plans fixes qui tient plus du collage. Le tout est servi avec des dialogues très littéraires plus ou moins philosophiques qui finissent surtout pas nous perdre à la façon des discours politiques. La première chose qui frappe est la beauté de la photographie signée Raoul Coutard Directeur Photo attitré de la Nouvelle Vague et surtout de Godard, qui est magnifique mis en valeur avec des plans sublimes notamment sur le corps de Macha Méril qui ne sera jamais aussi délicieuse et charmante. Le film oscille entre le triangle amoureux (Charlotte hésitante, le bébé à venir) et surtout le message très féministe sous-jacent. En effet, la vraie vertue du film est d'être en avance sur son temps et d'entrouvrir la porte à l'émancipation et à la libération de la femme. Ainsi Godard montre son époque à cheval sur deux générations où Charlotte se plonge dans l'adultère en aimant sincèrement ses deux hommes, lit les magazines féminins avec intérêt dont un article sur la qualité des seins plutôt savoureux, avec un message prémonitoire qui prévient que la femme qui se libère semble par là même se placer en future victime d'une publicité qui est encore que de la "réclame"...

Cependant, Godard abuse aussi du "collage" de plans qui ne servent qu'une symbolique politico-sociale qui reste en marge de l'histoire et de sa narration. Cela crée un décalage et une sorte de patchwork qui nous détache du récit et retire trop d'émotion vis à vis de Charlotte. L'autre point faible reste les deux amants qui sont joués avec beaucoup trop de retenu, voir pas du tout investi mais il faut avouer que les dialogues si peu ancrés dans la réalité du quotidien n'aident pas forcément. Néanmoins Godard offre un film qui n'est pas dénué d'acuité sur la condition de la femme à l'époque et en devenir. En prime il y a une réelle poésie dans la façon dont Godard filme Macha Méril surtout et dans cette façon unique de mêler propos féministe sur fond d'éclosion publicitaire. Mais c'est surtout l'image de la femme mariée justement, associée à sa sexualité qui a créé un petit scandale lors de la sortie du film qui amène dans un premier temps à l'interdiction par la commission de contrôle des films... Ironie du sort, Macha Méril reste une jeune actrice bien prude qui cache son corps de façon bien peu crédible, tandis que sous couvert de liberté les hommes sont plutôt dans l'impératif... En conclusion Godard interpelle et bouscule aussi bien dans le fond que dans la forme, c'est sa grande qualité. Par contre on peut rester parfois en retrait, le martelage au niveau de la publicité aurait pu être plus subtil (à l'instar du propos féministe) et les dialogues sont trop élitistes pour s'immerger complètement dans l'histoire. A voir et à conseiller ne serait-ce que par curiosité.

Note :