Dramatica : la théorie expliquée (101)

Sommaire :
DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE

CHAPITRE 20

SECTION DEUX : L’ ART DE LA NARRATION

Fondations
Introduction à la narration

Toute histoire complète exhibe deux aspects principaux : une structure dramatique sous-jacente qui contient la signification inhérente de l’histoire et une seconde signification qui est portée par la manière dont cette structure se manifeste en mots et symboles (mots du scénario ou du roman, symboles en tant qu’illustrations pour faire passer des idées).

En pratique, ces deux aspects ne peuvent exister indépendamment de l’autre car une structure qui n’a pas été rendue tangible en quelque forme ne peut être communiquée et pareillement, aucun mode d’expression ne peut être sans quelque chose à communiquer.

Nous avons exploré jusqu’à présent LES ÉLÉMENTS DE STRUCTURE. Le but de cette investigation était de définir les éléments essentiels qui agissent au sein de la structure dramatique de toute histoire terminée (notons que Dramatica insiste sur la notion de complétude d’une histoire. En effet, une histoire terminée est une histoire réputée complète).

Ces éléments de la structure sous-jacente se répartissent en quatre catégories : le personnage, le thème, l’intrigue et le genre.

Nous allons investiguer maintenant l’art de la narration qui décrit le processus de conceptualisation et de communication d’une histoire. Cette opération passe par quatre étapes distinctes : Storyforming, Storyencoding, Storyweaving et Reception.

Nous reviendrons sur chacun d’eux un peu plus tard. Pour le moment, considérons-les tels quels

La structure et la narration sont donc deux choses différentes. Un auteur peut alors faire le choix de commencer par la structure ou la narration selon ses envies, son intérêt personnel ou son style.

Les quatre étapes de la communication

Il existe quatre étapes de communication avant que l’auteur ne puisse communiquer son histoire au lecteur.

La première étape est le Storyforming.

Je vous conseille de lire ou relire le chapitre 15 : Théorie approfondie du thème concernant ce concept du Storyform.

Dramatica insiste sur la notion d’appréciations dramatiques. En somme, ces appréciations sont des informations que communiquent l’histoire à son lecteur. Ces informations ne sont pas gratuites. Elles s’ajoutent à la compréhension de l’histoire par le lecteur. Elles sont donc importantes et leur distribution au cours de l’histoire doit préoccuper l’auteur.

Le Storyforming détermine donc la séquence et l’ordre des appréciations dramatiques.

La seconde étape est le Storyencoding.

Les appréciations du Storyform sont essentiellement des concepts (par exemple, l’auteur se dit qu’il aimerait que son lecteur éprouve pour ce personnage à ce moment précis de la pitié).
Ces concepts, il faut maintenant les illustrer en sujets, thèmes, questions… toute matière dramatique tangible qui viendrait remplir l’esprit du lecteur. En somme, ce sont des événements qui symbolisent les concepts dramatiques essentiels (dans mon exemple, la pitié) choisis par l’auteur et qui devraient avoir une signification pour le lecteur.

La troisième étape est le Storyweaving.

Toutes les illustrations indépendantes lors de leur élaboration sont tissées ensemble en un tout synthétique qui est en fait l’histoire elle-même telle qu’elle se présente au lecteur.

La quatrième étape est Reception

Reception désigne effectivement la réception par le lecteur de l’histoire. C’est-à-dire que le lecteur donne de la signification à ce qu’il observe. L’auteur espère que son lecteur décodera plus ou moins précisément son intention.

Complément sur les étapes de la communication

Amener une histoire à un lecteur, quel que soit le média utilisé, passe par quatre étapes distinctes. Lorsqu’un auteur développe son histoire ou cherche des moyens pour l’améliorer, c’est toujours une bonne idée d’évaluer comment l’histoire fonctionne à chacune de ces étapes prises individuellement.

Des problèmes peuvent exister au niveau d’une seule étape ou courir à travers plusieurs d’entre elles. Identifier où se situe le problème, c’est déjà la moitié du travail pour le résoudre.

Étape 1 : Storyforming

Avoir une idée, cela consiste à lui concevoir une structure et de mettre en place des forces dynamiques afin qu’elle se manifeste le plus clairement et le plus distinctement possible.

C’est lors de cette première étape qu’émane la signification initiale de l’histoire. Cette signification que l’auteur cherche à communiquer.

Étape 2 : Storyencoding

Les histoires se manifestent par le biais de personnages, de lieux et de toutes données dont la raison d’être est de symboliser la signification de l’histoire. C’est lors du Storyencoding que l’auteur choisit les symboles avec lesquels il va travailler.

Aucun symbole n’appartient au Storyform. C’est dans le Storyencoding que la liberté de l’auteur s’exerce sans limitation (par nature, une structure pose nécessairement certaines délimitations ou contraintes ou conventions).

Le Storyencoding est une affaire de choix sur la manière dont sera encodé (ou illustré) un Storyform. Il est donc important de vérifier à deux fois la qualité et la pertinence de cet encodage.

Étape 3 : Storyweaving

Le Storyweaving est ce moment où l’auteur ordonne son matériel dramatique et décide aussi de l’importance qu’il donnera à ses matériaux dramatiques (qu’il a inventé lors de l’étape précédente). Le Storyweaving est la forme ultime que l’auteur offre à la perception de son lecteur.

Délivrer une histoire à un lecteur, morceau par morceau, implique des décisions quant à présenter ce qui doit apparaître en premier, puis en second jusqu’au dernier morceau.

Les stratégies possibles sont nombreuses. On peut commencer par le tout début comme dans Star Wars ou bien par la fin comme dans Les vestiges du jour (James Ivory) de Ruth Prawer Jhabvala, d’après le roman de Kazuo Ishiguro.

Ou bien encore une combinaison apparemment chaotique comme dans Usual Suspects. Ce qui doit vous guider, c’est l’impact sur le lecteur, ce qu’il va penser, parce que les choix que vous ferez lors de cette étape influeront grandement l’expérience du lecteur, l’effet que votre histoire aura sur lui.

Étape 4 : Reception

Cette étape est celle du lecteur qui prend le relais, qui interprète les symboles qu’il reçoit et donne du sens à l’histoire. Le lecteur est un participant très actif dans sa relation à l’histoire. Comme tout un chacun, il a des idées préconçues qui affecteront tout ce qui sera posé devant lui par l’histoire.

Le lecteur reçoit un tout, c’est-à-dire un ensemble d’éléments disparates tissés entre eux (c’est le Storyweaving) et il espère pouvoir interpréter tous les symboles, c’est-à-dire des choses qu’il peut identifier et qui évoqueront par leur aspect d’autres choses cachées dans l’histoire (c’est le Storyforming, c’est-à-dire l’intention de l’auteur).
Pour que cela puisse s’accomplir, il est donc important qu’une attention particulière ait été portée aux trois étapes précédentes.

Il y a différentes manières de traiter chacune de ces étapes et tout un tas de raisons de faire ainsi. Tout dépend en fait de l’impact, de l’effet que l’auteur souhaite obtenir avec son projet.

Genre, intrigue, thème et personnage

Dans chacune de ces quatre étapes de la communication, on peut reconnaître quatre aspects de la narration : le genre, l’intrigue, le thème et le personnage. Il y a d’abord l’étape du Storyforming dans laquelle le genre, l’intrigue, le thème et le personnage sont désignés comme concepts dramatiques.
[Considérez ces notions de genre, intrigue, thème et personnage comme des contenants qui seront remplis d’un contenu. Au moment du Storyforming, ce contenu sera des concepts]

Ensuite vient le temps du Storyencoding. En effet, les concepts sont abstraits. Le genre, l’intrigue, le thème et le personnage sont alors symbolisés dans un langage intelligible (en d’autres termes, ils sont illustrés par quelque chose de concret).

La troisième étape, le Storyweaving, consistera alors à lier tous ces matériaux dramatiques, toutes ces représentations symboliques en un flux continu, sans rupture, afin que les symboles pour le genre, l’intrigue, le thème et le personnage puissent être présentés au lecteur.

La dernière étape, Reception, met le lecteur au travail pour déchiffrer les symboles et apprécier l’intention de l’auteur telle qu’il l’a posée ou représentée dans le genre, l’intrigue, le thème et le personnage.

Naturellement, avec autant d’étapes internes et d’appréciations, les problèmes de communication sont un grand risque. De plus, puisque le lecteur remonte à rebours les quatre étapes (il commence en effet par Reception puis remonte jusqu’à l’intention de l’auteur, c’est-à-dire le Storyforming), il est lui-même responsable de sa propre Reception.
En d’autres termes, le lecteur peut créer du sens qui sied aux symboles mais qui ne correspond pas du tout à l’intention de l’auteur.

La position de Dramatica

La narration a été étudiée depuis très longtemps. Depuis Aristote en fait. La théorie narrative Dramatica offre une vue de l’histoire qui n’a jamais été aussi claire : un modèle concret de structure et de forces dynamiques au cœur même de la communication, le Story Mind lui-même.

En utilisant la structure comme fondation de l’histoire, le processus de communication devient plus précis donnant à l’auteur un plus grand contrôle sur l’expérience de son lecteur.

L’auteur est le lecteur

Avec l’auteur d’un côté de la chaîne de communication et le lecteur de l’autre, il n’est pas inhabituel pour un auteur de se placer du côté du lecteur pour voir comment son histoire fonctionne.
[D’ailleurs, vous trouverez sur Scenar Mag toute une série d’articles (faites une recherche avec scénario modèle) qui explique que pour comprendre une histoire, il faut commencer par appréhender l’effet que celle-ci a sur le lecteur et de remonter à rebours le cheminement qui a permis cet effet. Ainsi, fort de cette connaissance nouvelle, il est possible de reproduire cet effet avec sa propre histoire].

Ainsi, l’auteur observe le résultat de son histoire (c’est-à-dire l’unité formée par la profonde intrication du Storyforming, du Storyencoding, du Storyweaving et de Reception).
Il peut juger de la valeur de l’impact sur le lecteur alors même qu’il est train de l’écrire (s’il est certain de son intention).

Cette façon de faire permet de s’assurer que toutes les étapes de la communication fonctionnent bien ensemble mais il peut y avoir néanmoins des pièges cachés.
Lorsqu’un auteur adopte la perspective de son lecteur, il compresse toutes les étapes. Ainsi, le genre, l’intrigue, le thème et le personnage ne font qu’un. L’inconvénient est que leurs éléments spécifiques deviennent nébuleux et plus embarrassants à définir.

L’unité offre l’avantage de faire apparaître assez intuitivement ce qui ne fonctionne pas mais rend bien plus difficile de déterminer où se situe le problème dans le processus de communication.

Pour éviter ce problème, Dramatica suggère de construire d’abord un Storyform qui énoncera les appréciations dramatiques nécessaires à façonner un argument complet qui vise l’intention de l’auteur.

Pour un rappel des termes, je vous renvoie à :

Concernant les appréciations dramatiques :

Chapitre 17 de la théorie : Appréciations de l’intrigue (sur le plan thématique)

  1. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (62)
  2. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (63)
  3. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (64)

Et concernant la notion d’argument thématique :

Chapitre 15 de la théorie : Théorie approfondie du thème

  1. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (58)
  2. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (59)
  3. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (60)

Puis en se référant à cette structure pendant que nous encodons le Storyform ou le symbolisons (ou illustrons ses concepts dramatiques), l’auteur peut ainsi s’assurer que des informations manquantes ou peut-être incohérentes ou contradictoires ne se sont pas glissées sous une narration un peu trop brillante.

Mettre l’emphase là où cela est nécessaire

Encodez (ou illustrez) crée simplement des événements et des situations qui illustrent les appréciations dramatiques du Storyform. Lors de cette étape de l’encodage, aucune illustration n’est plus importante qu’une autre.

L’emphase est fournie par la nature de l’illustration. Par exemple, un Story Goal de Obtaining peut être encodé comme la tentative de remporter un prix de 1000 € ou bien l’effort pour se faire élire président d’un pays.

Pour le type Obtaining, je vous renvoie à DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (44)

L’emphase peut être renforcée au cours du Storyweaving, la troisième étape du processus de communication, lorsque les appréciations illustrées sont actuellement écrites.
En effet, lors de l’écriture, on peut être amené à étendre certaines illustrations et à en minimiser d’autres qui n’auront ainsi qu’un intérêt de pure forme.

Ainsi, certaines parties de la structure du Storyform qui importent plus selon l’intérêt personnel de l’auteur s’élève à la surface du projet alors que d’autres moins intéressantes selon l’intention de l’auteur sont reléguées davantage dans l’ombre.
Elles seront néanmoins nécessaires à la mise en place de l’argument de l’histoire.

Il est bon de prendre du recul et d’admirer son œuvre, de la critiquer et de vérifier si toutes les parties fonctionnent bien ensemble.
Le point de vue du lecteur, cependant, n’est pas une bonne perspective pour construire son projet.

C’est pour cette raison que cette série d’articles a commencé par mettre en avant les éléments de structure. Dès le prochain article, nous étudierons le processus de communication lui-même comme il s’exprime dans l’art de la narration.