Le western est un genre à part entière qui fonctionne plutôt bien outre-Atlantique. Est-il vraiment déplacé pour un européen d’en étudier les mécanismes narratifs ? Pour une étude, cela est tout à fait justifié. Pour l’écriture d’un scénario, c’est un risque à prendre.
Il y a d’autres genres non spécifiques aux États-Unis qui sont aussi un défi à relever : le drame judiciaire, la fresque historique, les thrillers politiques pour n’en nommer que quelques uns. Pourtant, ces genres ne sont pas désuets et le lecteur en est encore demandeur.
Voyons dans cet article comment l’âme courageuse mise en exergue par le western peut-elle nous aider à écrire notre propre projet de scénario en nous inspirant.
Comme à l’habitude depuis notre série d’articles sur le scénario modèle, c’est le dénouement et l’effet qu’il aura sur le lecteur/spectateur que nous examinerons d’abord.
L’effet cognitif du dénouement
Impitoyable est l’histoire de William Munny, un tueur qui a renoncé à son passé pour l’amour de sa femme maintenant décédée. Munny est alors incité à reprendre du service pour venger une prostituée défigurée au couteau par un de ses clients dont elle s’était moquée.
Les dernières images d’Impitoyable nous montrent la silhouette de Munny allant se recueillir au crépuscule sur la tombe de sa femme tandis qu’un texte déroulant nous précise :
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Quelques années plus tard, Madame Ansonia Feathers fit le pénible voyage jusqu’à Hodgeman County pour se recueillir sur la tombe de sa seule fille.
William Munny et les enfants n’y étaient plus depuis déjà longtemps… Certains disaient que des rumeurs prétendait qu’il prospérait dans la vente d’aliments secs à San Francisco.
Et il n’y avait rien sur la pierre tombale qui aurait pu expliquer à Madame Feathers pourquoi sa seule fille avait épousé un voleur et meurtrier de réputation si sinistre, un homme d’une disposition notoirement mauvaise et immodérée.
Le scénario se termine en posant une question. Comment une femme bonne a pu épouser William Munny ? Madame Feathers ne le comprendra jamais. Mais le lecteur sent qu’il le sait. Parce qu’il a vu Munny faire de terribles choses, c’est un fait certain, mais il l’a vu aussi faire que des choses mauvaises cessent de se produire. L’antihéros est un homme mauvais capable de faire le bien.
De nombreux héros (de western ou d’autres genres) ne sont pas des héros mais des antihéros. L’antihéros a un monstre au fond de lui et entre les mains, il tient les mêmes instruments de mort (symbolique ou non) que les méchants de l’histoire.
La seule chose qui absout son comportement est que l’antihéros tue des gens qui sont pires que lui. Cela interpelle quelque chose d’assez profond en nous : la croyance en la seconde chance ou rédemption.
Il ne tient qu’à nous d’importer ce sentiment qu’on pourrait croire à tort spécifique à la culture hollywoodienne.
La possibilité du salut permet de ressusciter la croyance malmenée en la justice ou en d’autres choses usées et violentées par les faits, par l’évolution de nos sociétés, par un progrès destructeur qui n’a plus rien de social. Et pourtant, du fait d’un seul être, le mal peut engendrer le bien.
L’auteur de fictions est le plus à même de faire la preuve que l’homme lui-même est capable de restaurer ce à quoi le monde a renoncé.
Le monde de l’histoire
Le monde de l’histoire est classiquement présenté dans le prologue :
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C’était une jeune avenante et pleine de promesses. Cela brisa le cœur de sa mère de la voir épouser William Munny, un tueur et voleur de sinistre réputation, un homme d’une disposition notoirement mauvaise et immodérée.
Lorsqu’elle mourut, ce ne fut pas des mains de cet homme comme sa mère s’y attendait mais de la variole. C’était en 1878.
Le scénario commence son voyage vers la rédemption en nous présentant un univers profondément désenchanté. D’abord, on nous relate l’histoire d’une jeune femme qui épousa une brute notoire et mourut de la variole.
Notez que le dénouement renvoie au prologue. C’est le signe habituel de la tragédie. Et habituellement, le protagoniste n’intervient pas dans le prologue (ici, c’est de la jeune femme dont il est question).
Puis le prologue continue en nous donnant les détails d’un monde cruel, d’un monde de mort où le sexe est un acte animal et où les gens dépècent d’autres gens sans respect pour la vie humaine.
Little Bill, le shérif, arrive sur les lieux du crime et promet que justice sera faite. Le propriétaire du bordel se plaint que sa propriété a été endommagée. Little Bill y consent et statue que la justice sera faite en échangeant un bien par un autre.
Little Bill estime alors qu’une femme vaut 7 chevaux. Les autres filles réagissent avec horreur à la décision de Little Bill qui se justifie en défendant les coupables. Car pour Little Bill, l’homme avec le couteau et son ami sont plus vertueux que la prostituée qu’ils ont défigurée.
Ce prologue décrit la règle qui régit ce monde. Il nous révèle que la loi fondamentale de Impitoyable est une profonde et sinistre injustice. Le discours de Little Bill se veut noble avec un ton moral mais au lieu de renforcer la justice, il excuse un crime horrible, libère les coupables et blâme les victimes.
Notez aussi que cette injustice primordiale du monde a touché aussi la femme de Munny dont la mort est totalement injuste.
Comment adapter un tel univers dans votre propre projet de scénario ?
Pour mener son lecteur vers le sentiment de rédemption, il faut introduire un monde dans lequel la croyance en ce que nous voulons sauver est morte depuis longtemps. Dès le départ, nous plaçons le lecteur dans un état d’esprit particulier de désenchantement où il lui est fait la description des conséquences lugubres d’un monde où cette croyance a disparu.
Le scénario se chargera ensuite de faire la preuve que cette croyance est encore possible : par le salut d’un seul homme, c’est toute l’humanité qui pourra être sauvée. Notez qu’il ne s’agit pas d’un sacrifice. La rédemption passe par une prise de conscience porteuse d’un espoir.
Les personnages
La première scène (ou séquence d’ouverture) est classiquement celle où le protagoniste apparaît pour la première fois. C’est une scène très importante parce qu’elle porte en elle la première impression que nous allons avoir de lui.
Cette scène nous explique que William Munny est resté fidèle à la mémoire de sa femme. A la mort de celle-ci, il n’a pas repris son errance passée mais est resté auprès de ses enfants et de ses porcs. On le voit ici faisant de son mieux pour séparer les porcs malades de ceux en bonne santé.
Mais analysons ce que nous dit cet autre moment de cette séquence :
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Bien que Munny dit à Schofield Kid (lorsqu’ils parleront à l’intérieur de la maison) qu’il n’est plus comme Schofield Kid le décrit, la méfiance lors de l’apparition du kid révèle chez Munny que son ancienne nature n’a pas vraiment disparue.
L’honnêteté n’est pas un état d’esprit naturel chez Munny. C’est quelque chose qu’il doit travailler et il est déterminé à le faire mais dès qu’un incident inhabituel survient, la vieille nature reprend le dessus.
On devine (et il n’y a rien de prévisible en cela) que Munny devra malheureusement oublier la promesse faite à sa femme et reprendre du service comme assassin s’il veut vraiment survivre (ne serait-ce que pour ses enfants) dans cet environnement violent et sans loi.
Revenons un instant sur cet incident inhabituel que l’on connaît en général comme incident déclencheur. C’est avant tout un élément étranger. Étranger dans le sens où il va venir bouleverser le quotidien du personnage principal, mettre fin à un ordre dans lequel le cours des événements allait se couler de manière flagrante.
L’événement déclencheur fait véritablement irruption dans la vie trop bien réglée du personnage principal. Cela peut expliquer que habituellement, celui-ci refuse cet appel à l’aventure et William Munny ne dérogera pas à la règle lorsqu’il laissera repartir Schofield Kid, bredouille de son intention.
Si la venue de Schofield Kid peut être considérée comme l’incident déclencheur (comme l’est souvent toute rencontre), on peut cependant faire remonter cet incident à la motivation de Schofield Kid qui a besoin de s’associer pour toucher la récompense promise par les filles.
L’incident déclencheur se détaillerait alors en une prostituée mutilée par l’un de ses michetons, d’un shérif qui minimise l’incident et de filles qui réclament une justice expéditive mais satisfaisante à leurs yeux.
Par ailleurs, si la rencontre est le fait de la Providence (et le hasard n’est pas déplacé dans un incident déclencheur), il est alors un peu inutile de chercher des explications.
Notons aussi une différence que je pense importante entre le héros et l’antihéros. Après quelques hésitations, le héros s’engage dans son aventure. Il va alors découvrir un monde qu’il ne connaît pas. Il va devoir en apprendre le fonctionnement s’il veut aller jusqu’au bout de son aventure.
Un antihéros devra lui aussi prendre en charge son problème pour que l’histoire entre dans son second acte. Mais le monde qu’il pénètre ne lui est pas inconnu. L’antihéros renoue avec une vie qu’il pensait derrière lui.
En fait, ce qui est nouveau pour l’antihéros, c’est son monde ordinaire, son quotidien. Tel William Munny qui vit sa vie de fermier depuis bien moins longtemps que sa vie de bandit (une information que l’on peut interpréter des difficultés qu’il rencontre à séparer les porcs).
[Même si l’interprétation que l’on se fait en son âme d’un événement est erronée, il faut, malgré le risque, tenter de donner du sens à tous les événements illustrés dans le scénario]
Créer l’antihéros
Il faudrait développer davantage ce que c’est que l’antihéros, néanmoins, pour sa création, on peut déjà retenir que le concept de l’antihéros se fonde sur une comparaison. Le premier élément de la comparaison sera introduit avant le personnage principal comme dans Impitoyable où Little Bill nous est présenté dans le prologue.
Qu’est-ce qu’un antihéros ? C’est un personnage qui assume des atours de mauvais personnage (homme ou femme) et qui fait le bien. Pour asseoir l’idée d’antihéros dans l’esprit du lecteur, il est judicieux alors qu’il puisse le comparer avec un personnage qui fait déjà apparemment le bien mais dont les intentions cachées (ou sa conception du monde) est mauvaise.
Tout comme Little Bill qui est censé représenter la justice mais dont les décisions sont iniques. Et pourtant, Little Bill fait le bien en tant que représentant de la justice lorsqu’il interdit les armes dans la ville et humilie devant toute la ville (et devant les filles aussi) English Bob, un tueur.
Donc, l’antihéros est en conflit avec la règle du monde (tout comme le serait naturellement un héros). Nous avons un monde de l’histoire foncièrement mauvais mais qui ne l’admet pas et un personnage principal mauvais (conforme en cela à la règle du monde) qui se débat avec les conséquences de sa conduite (le conflit).
L’autre élément dramatique qui met en évidence les caractéristiques de l’antihéros est le monde de l’histoire lui-même. Nous avons vu que Impitoyable s’inscrivait dans un monde déchu et un tel jugement s’explique par les faits eux-mêmes.
L’exemple le plus frappant (et qui unit tous les personnages sans exception) est la détresse qu’engendre la violence qu’elle soit simplement menaçante ou bien lorsqu’elle se libère de l’imagination de l’individu.
Un fait est certain : l’âme de William Munny est depuis longtemps compromise (son échec apparent en tant que fermier en est la preuve). Contrairement au héros, l’antihéros ne cherche pas à changer la règle du monde qui fait des hommes et des femmes des êtres foncièrement désabusés.
Et William Munny accepte tout simplement cette règle.
Lorsque Munny, Ned et Schofield Kid se mettent en route pour venger la mutilation d’une jeune prostituée (et toucher une récompense au passage), leur mission est déjà pervertie et malgré le code moral qui peut expliquer leur conduite, rien ne peut la justifier (ni la mission, ni le comportement).
D’ailleurs, il y a un moment important qui ajoute à la signification. Lorsque les femmes du bordel assemblent leurs économies pour venger la jeune prostituée, l’une d’entre elles révèle qu’elle a deux fois plus d’économie à la grande surprise des autres.
Nous sommes toujours dans la logique du monde. Les filles, victimes insoupçonnées, agissent conformément à la règle du monde jusqu’à ne pas partager leurs propres infortunes qu’elles n’admettent pas.
Cette solidarité, nouvelle pour elles, pourrait être le signe d’une rébellion. Ce n’est pourtant pas ainsi qu’il faut le voir. La décision que prennent les filles de louer les services de tueurs pour venger l’une d’entre elles n’est pas plus justifiable, ni morale que la décision de notre trio d’accepter cette mission.
Et pourtant, cette action consiste à chercher le bien dans le marasme ambiant, à croire encore qu’une chose bien est possible.
Nous pouvons tenter de reproduire un tel motif pour un scénario de notre cru. On commence par introduire un héros qui n’en est pas un (dans Impitoyable, c’est Little Bill). Puis, on présente une communauté (les filles du bordel) dont les intentions sont identiques à celles du personnage principal qui est le principal antihéros (ainsi, les filles vont résister à Little Bill).
C’est ainsi qu’il faut présenter une histoire avec un antihéros. Il ne peut pas y en avoir qu’un. L’antihéros est au cœur d’une communauté d’antihéros mineurs mais pourtant indispensables parce qu’ils aspirent tous à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes.
Et l’antihéros au centre de l’histoire viendra aider la communauté. Par cette aide qu’il apporte volontairement, l’antihéros commencera son voyage vers sa rédemption. À la fin de celui-ci, le monde ne sera pas meilleur au sens idyllique. Il sera simplement un peu moins mauvais (pour les filles du bordel notamment).
Et William Munny ne reprendra pas sa vie de fermier qu’il laisse aussi derrière lui puisque de toutes manières, elle ne lui convenait pas. Elle n’était qu’un moment transitoire en attente de la rédemption du personnage et d’un nouvel horizon.
L’intrigue
L’histoire de Impitoyable commence avec un acte injuste clair et distinct : l’agression terrible contre Delilah. C’est le motif classique des westerns : la chasse aux fugitifs qui se termine par un duel. Ensuite, on nous fait la démonstration de la futilité de l’héroïsme (puisque Munny est un antihéros).
D’abord, Munny est malade lorsqu’il arrive à Big Whiskey. Ensuite, Little Bill tabasse sauvagement Munny. Il aurait pu le tuer mais ne reconnaissant pas William Munny, il lui laisse la vie sauve (après tout, cet homme est peut-être innocent).
À ce stade de l’histoire, le monde est gouverné par Little Bill comme un véritable dictateur.
Soigné par Delilah, Munny délire de la fièvre, rêve des cieux et finit par admettre qu’il ne veut plus tuer. Toute cette séquence (de l’arrivée en ville jusqu’à son rétablissement) nous montre un aspect très positif du personnage de William Munny. Mais ce n’est pas pour créer de l’empathie.
Bien au contraire, cela nous fait la démonstration que le bon comportement de Munny ne rend pas le monde meilleur. Et le lecteur souhaite que William Munny oublie un peu ses bonnes manières et commence à agir un petit peu plus comme un mauvais garçon.
Ainsi, le scénario fait l’étonnante démonstration qu’il n’y a pas d’autre alternative à l’héroïsme que de faire appel à un antihéros.
Little Bill
Pour que le lecteur nourrisse le désir d’en voir davantage du véritable William Munny soigneusement refoulé par l’amour que celui-ci portait à sa femme, il lui faut un élément de comparaison. En effet, ce sentiment n’est pas intuitif.
L’instrument utilisé sera Little Bill. Lorsque English Bob arrive à Big Whiskey pour accomplir les meurtres des deux cow-boys, Little Bill l’en empêchera le frappant sauvagement. Cela révèle en lui une inquiétante tendance sadique difficilement compatible avec l’autre aspect de la personnalité de ce personnage qui nous est présenté comme un citoyen qui ne vit pas au crochet de la communauté et qui construit sa propre maison avec un porche sous lequel il pourra s’asseoir le soir et admirer le coucher du soleil.
L’astuce narrative consiste à assumer qu’il y a deux prédateurs dans l’histoire. L’un des prédateurs se montrera particulièrement cruel envers l’autre et en comparant les cruautés respectives, on s’aperçoit que l’un d’entre eux est vraiment dangereux.
Le lecteur en vient à espérer que le moindre des deux maux viendra le soulager de la terrible menace que représente le plus terrible de ces prédateurs. Ce sentiment sera renforcé lors de la crise majeure que connaîtra Munny (et qui sera incitatif du retour du vrai William Munny) lorsque Little Bill torturera et achèvera Ned, le vieux partenaire de Munny, en prétextant faire acte de justice et d’ordre.
La crise majeure est un moment particulier du scénario. Elle aboutit généralement à une décision qui précipite le climax (c’est-à-dire la résolution [qui n’est pas le dénouement]).
Que nous apprend cette crise majeure ? Que tant que Munny reste fidèle au souvenir de sa femme, des innocents continueront de mourir. Pour l’antihéros, il n’existe qu’une seule façon d’arranger les choses (et pour lui et pour le monde) : Pour faire le bien, il lui faut user une fois de plus de la violence.
La violence de ce scénario
Impitoyable est un film très violent. Deux passages à tabac particulièrement sauvages, deux escarmouches mineures et une terrible fusillade au moment du climax, cela constitue une poignée de scènes singulièrement violentes et viscérales et si imprégnées de cruautés que nous ne pouvons y rester indifférents.
Pourtant le scénario se sert de la violence comme argument contre la violence.
Les morts des deux cow-boys sont elles aussi des exercices particulièrement dénonciateurs. Ce serait adopté un comportement psychopathique que d’y prendre plaisir. Ici, il s’agit de préoccupations éthiques et non de faire l’apologie de la violence.
Lorsque Munny tue de sang-froid Little Bill, celui-ci gît sur le sol, blessé et sans défense. Lorsque Munny s’éloigne de la ville, il menacera même les habitants (il joue sur la peur qui accompagne son image à défaut de légende qu’il ne veut pas).
Néanmoins, ses actions qui relèvent davantage de la logique de l’animalité rendent le monde un peu moins mauvais. Alors devons-nous admirer William Munny ? Devons-nous accepter qu’il ait été choisi par une quelconque entité surhumaine pour rendre la justice ?
Ce que nous dit peut-être ce scénario, c’est que la violence n’est pas le moyen de vaincre la violence comme nous le démontre Little Bill dont les raclées particulièrement violentes qu’il infligea à English Bob, à Munny et à Ned n’ont fait qu’apporter encore plus de violences à Big Whiskey.
La tonalité
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Difficile de parler du ton de Impitoyable. Indéniablement, il y a un accent de vérité dans ce discours. Ainsi, peut-être que le sentiment de rédemption ressenti par le lecteur à la fin de cette histoire doit être lui-même interrogé. N’est-il pas accompagné de honte ?
Le discours sincère de Impitoyable est lui-même impitoyable.
Le chemin de la rédemption
Mener son lecteur vers le sentiment de rédemption peut probablement se faire de différentes manières. Le scénario de Impitoyable en propose une.
Il commence par démolir les vieux clichés, c’est-à-dire les conventions du genre (ici, du western). Par exemple, lorsque Little Bill lit la prose de Beauchamp à propos de English Bob et qu’il s’accroche au mot duck (au lieu de Duke of the death tel que l’a écrit Beauchamp).
Little Bill emploie sciemment duck au lieu de Duke pour rabaisser English Bob. C’est toute la légende de English Bob qui est mise à mal que Beauchamp a non seulement retranscrit avec un romantisme nécessaire pour ses propres lecteurs mais aussi parce que English Bob a quelque peu exagéré les faits véritables.
C’est alors que Little Bill donne sa propre version de l’histoire prenant bien soin de se réserver le beau rôle (du moins en omettant les détails qui assombriraient sa participation ce dont English Bob est parfaitement conscient et quelque peu désabusé).
Si Little Bill avait usé de franchise pour rétablir la vérité, s’il osait assumer ses propres peurs et failles, cela l’aurait immédiatement désigné comme celui qui incarne la règle du monde (c’est-à-dire un antagoniste) et non apparemment en lutte contre celle-ci (usurpant la position de héros).
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Cette scène est un bon exemple comme moyen d’introduire le concept de la rédemption dans l’esprit du lecteur. Munny commence par s’apitoyer sur ses propres peurs. Il s’était persuadé de sa mort prochaine. Ainsi, les pensées de William Munny sont à l’unisson de celles de tous les personnages de cette histoire : il admet que sa propre survie est au cœur de ses pensées.
Mais au lieu que cela le mette en colère ou désespéré ou bien encore cruel, cet égoïsme lui permet de voir quelque chose de plus grand que lui-même. Cette sensation inexplicable de la mort lui a permis de renouer avec la nature, c’est-à-dire avec le monde véritable.
Cette révélation d’une utopie possible qui autorise à trouver le bien dans le mal est ensuite renforcée lorsque Delilah offre une passe gratuite à Munny et que celui-ci décline mettant mal à l’aise Delilah.
Ce mal-être de Delilah rétablit le monde de l’histoire qui dépeint un monde dans lequel l’animalité prévaut et dont les êtres ne voient que la surface des choses.
Mais Munny rectifie aussitôt en lui révélant que ce qu’il voit en elle est sa beauté intime tout comme il voit dorénavant la beauté de la nature (ces arbres qu’il remarquera maintenant).
Munny apparaît alors presque comme un héros classique. Mais il nous est très vite rappelé qui est vraiment Munny. Pour éviter de blesser Delilah, Munny mentira.
Lorsqu’il mentionne sa femme, Delilah pense qu’elle est toujours en vie et Munny ne la détrompera pas. De nouveau, Munny se conforme à la règle du monde fondée sur le mensonge (comme les légendes colportées par Beauchamp).
Mais contrairement à Little Bill, il ne se sert pas du mensonge dans son intérêt. Il redéfinit cette règle pour assainir un rapport social, pour apporter de la douceur à la fois dans le cœur de Delilah et dans le souvenir de sa femme.
Rappelons-nous aussi que Munny a menti lors de la toute première rencontre avec Scofield Kid pour protéger ses enfants d’une éventuelle menace.
Ce que nous pouvons interpréter de cette scène et dont nous pourrions nous servir pour notre propre projet de scénario, c’est de montrer au lecteur que nous avons un personnage dont la peur personnelle de la mort lui ouvre les yeux sur une autre réalité possible parallèlement accompagnée de la volonté de changer la règle du monde mauvaise en quelque chose d’inattendu et de bon.