Princesse Mononoke

Princesse Mononoke
« Le château de Cagliostro » marque le début de la carrière de Miyazaki dans le long-métrage d'animation. C'est un film qui est assez drôle et qui joue habilement sur le côté gentleman cambrioleur, mais par la suite, il réalise deux œuvres fabuleuses, qui sont bien plus sombres. « Nausicaa de la vallée du vent » présente un monde post-apocalyptique où les survivants, en plus de la cupidité des hommes, sont menacés par l'avancé d'une forêt toxique; et « Le Château dans le ciel » dépeint un monde scindé en deux, où les militaires ne sont préoccupés qu'à débusquer une antique cité afin de s'emparer de sa puissance. Il enchaîne ensuite sur trois films que je juge personnellement bien plus léger, il s'agit de « Mon Voisin Totoro », « Kiki la petite sorcière » et de « Porco Rosso ». Mais cela ne veut pas dire qu'ils sont mieux adaptés pour les plus jeunes que les autres, c'est juste le ton qui est plus léger, pas le fond. Et avec « Princesse Mononoke » renoue avec la première période de Hayao Miyazaki, la poésie est toujours là, mais la noirceur du monde s'étale sous nos yeux écarquillés, une chose qui n'a hélas que trop peu changé
« Au XVe siècle, durant l'ère Muromachi, la forêt japonaise, jadis protégée par des animaux géants, se dépeuple à cause de l'homme. Un sanglier transformé en démon dévastateur en sort et attaque le village d'Ashitaka, futur chef du clan Emishi. Touché par le sanglier qu'il a tué, celui-ci est forcé de partir à la recherche du dieu Cerf pour lever la malédiction qui lui gangrène le bras. »
De tous les films de Hayao Miyazaki que j'ai découvert à ce jour, « Princesse Mononoke » était celui qui m'intriguait le plus, à cause notamment de ses affiches promotionnelles. C'est celle où l'on voit Mononoke, le regard noir et la bouche couverte de sang, avec en fond sa « mère » louve ! Et pour un film de Miyazaki, ce n'est pas très courant. On sent avant même de le commencer, toute la bestialité que le film possède et que le sujet est bien plus complexe que ce que le titre laisse présager. Parce que si le film à plus de vingt ans d'âge, c'est un film qui dans le fond est très actuel, où nous sommes bien incapables collectivement de concilier notre vie avec celle de la planète.

Princesse Mononoke
Ce film couve dans la tête du maestro depuis la fin des années 70, mais dans une forme bien différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agissait au départ d'une histoire rappelant celle de la Belle et la bête. Hélas elle fut jugée trop sombre pour un jeune public à l'époque et Hayao Miyazaki laissa cette histoire de côté. « Mononoke Hime » comme il était titré à l'époque, ressort du chapeau début des années 90' à l'occasion de la réédition du recueil de croquis préparatoires de ce projet, afin de sonder le public, avec comme finalité d'en faire un film si possible. Et lorsque Miyazaki reprend son ancien travail, il ne peut se résoudre à le sortir ainsi, car depuis Disney à sortie « La Belle et la Bête » mais surtout il y a eu « Mon Voisin Totoro » qui a repris le design du principal personnage pour en faire Totoro et le Chat-Bus qui est pour le premier devenu la figure emblématique du studio, la redite serait alors évidente pour le public.

Princesse Mononoke
C'est ainsi qu'il passe du conte, à une œuvre mêlant allègrement la fable, le fantastique et le jidai-geki, bercé de surcroît par des croyances shintoïstes ! En parlant de « shinto », on trouve deux principes qui ressortent; d'abord le fait de parler de « Tatari » et de « Tsumi » pour désigner la malédiction dont sont victime Nago et Okkotonushi, ou encore « la faute » comme celle que commet Ashitaka au début ; puis on parle aussi des « Kami » ! Les « Kami » sont ce que l'on peut appeler des « divinités ». Ici elles prennent la forme d'animaux géant, ou d'hybride, comme la louve, le phacochère ou le dieu de la forêt, cerf à tête humaine. Elles sont les protectrices de la forêt.
Et c'est ce qui permet à l'intrigue d'avancer constamment. Ashitaka est le futur chef de son village, un endroit reculé, loin du pouvoir central de l'empereur. Hélas un jour il neutralise Nago qui est atteint d'un « Tatari », à cause notamment d'une balle qui la rendu ivre de rage. Mais tuer Nago à une contrepartie, Ashitaka a commis une faute « Tsumi » et il est condamné à brève échéance à mourir, car il a hérité de la malédiction de Nago. Pour éviter cela, il part découvrir le pays à la recherche de réponses. C'est le point de départ de l'intrigue ! On découvre le premier de nos deux personnages principaux, son univers et celui dans lequel il va évoluer. Ashitaka trouve un pays en guerre, mais surtout une nature complètement ravagée. On découvre ainsi deux mondes distinct, celui des « Kami » et « Yokai », et celui de Dame Eboshi a la tête d'une communauté qui exploite sans vergogne les ressources naturelles.

Princesse Mononoke
Le récit de Miyazaki est profondément écologiste, peut-être bien plus qu'à l'accoutumé ! Avec « Ashitaka » nous sommes au cœur du film, au milieu, entre nature et monde des hommes, en essayant de concilier les deux mondes. Sauf qu'il est à l'agonie ce monde et que la nature réagit comme une bête blessée, elle attaque quand elle est au pied du mur. Alors que les êtres humains continuent de réagir en « humains », en exploitant encore plus les ressources naturelles. Cette incompréhension, intervient dans une époque de forte évolution sociale, politiques et technologiques, ou cette communauté menée par Dame Eboshi se doit d'exploiter son environnement pour survivre, mais aussi pour survivre aux différents seigneurs locaux ! Un état de fait qui n'est pas sans rappelé le monde dans lequel nous vivons réellement, ou nos dirigeants ne voient pas que la mondialisation est néfaste pour la planète ! Et que ce n'est pas en multipliant les grandes messes annuelles que cela changera quoi que ce soit. En attendant, ce sont toujours les plus faibles qui en payent le prix, comme ici dans « Mononoke-Hime », la nature et la communauté de Dame Eboshi.
Quant à la réalisation de Hayao Miyazaki, c'est du travail d'orfèvre ! La direction artistique de Kazuo Oga est sublime, rappelant aussi bien le jidai-geki dans tout ce que l'on peut voir ayant attrait avec la société japonaise, que les œuvres poétiques précédentes de Miyazaki, en créant une forêt enchanteresse ou les créatures les plus étonnantes se croisent et évoluent au gré de l'intrigue. Le chara-design est aussi très bien pensé, que cela soit les dieux-animaux (Nago, Moro, Okkotonushi …) ou les personnages, comme Ashitaka ou Mononoke, avec des habits qui marquent leurs personnalités. Tout est maîtrisé, le rythme du récit, le découpage des séquences et leurs animations qui s’intègrent avec naturel à ce récit dense. Des scènes parfois chocs, profondément intense, voir tragique comme à la fin du film, qui se trouvent sublimées par la partition de Joe Hisaishi. On peut aussi apprécier quelques effets d'infographie réussies, notamment lorsque Nago et Okkotonushi sont victimes du « Tatari », avec ces milliers de vers noirs grouillants sur leurs peaux.

Princesse Mononoke

" Par Marko Manev "