Aaron sorkin : la recherche autour de l’idée

Par William Potillion @scenarmag

Il y a deux types de recherches. D’abord, comme il est bon de savoir de quoi l’on parle, une légère expertise dans ce dont parle l’histoire s’avérera très vite nécessaire.

Le second type de recherches concerne l’idée que vous avez eue. Celle-ci est encore de la matière brute et ne laisse pas transparaître les gemmes qu’elle pourrait contenir. Comme le dit Aaron Sorkin, vous ne savez pas encore ce que vous cherchez à raconter.

Rencontrez les gens qui sont proches de votre sujet

Supposons que votre idée est d’écrire sur le milieu scolaire. Vous avez lu beaucoup de choses à ce sujet. Vous pourriez même avoir vu des films ou des séries dont c’était aussi le thème. Ne vous découragez pas si un thème a déjà maintes fois été traité, chaque auteur est capable d’innover. Mais il lui faut innover.

Ce que vous venez de faire, c’est le premier type de recherche. Nommons-le recherche documentaire. Mais il vous manque toujours quelque chose. Quelque chose qui vous permettra d’innover.

Et vous le trouverez en rencontrant des personnes qui sont au contact ou ont été au contact de ce milieu. Ce n’est pas évident d’aller au-devant des gens. La confiance doit s’installer. Pour briser la glace, commencez par dire ce que vous voulez faire. Vous êtes un écrivain qui souhaite écrire sur le milieu scolaire et qu’il y a des choses que vous avez lues et qui vous ont interpellées et que vous aimeriez pouvoir en savoir plus.

Vous constaterez que la plupart des gens sont assez enclins à se dévoiler face à un écrivain même s’il s’agit du premier livre. Pour certains d’entre eux, ce sera même enfin quelqu’un qui écoute. Rappelez-vous lors de ces rencontres que vous ne savez pas encore ce que vous cherchez.
Vous souhaitez écrire une fiction donc des situations dramatiques, c’est-à-dire du conflit. N’étalez pas les connaissances que vous avez acquises lors de la recherche documentaire (parce que justement, vous n’écrivez pas un documentaire).

Au contraire, laissez votre interlocuteur donner des détails de ses expériences. Immanquablement, il en ressortira quelque chose qui vous inspirera (c’est-à-dire auquel vous pourrez consacrer un peu de réflexion pour écrire).

L’importance des détails

Aaron Sorkin prend l’exemple de A la maison blanche. Lors d’un entretien avec une personne, il apprit qu’un secrétaire avait été oublié lors d’un déplacement du président. Un simple détail, certes, mais que Sorkin a retenu et qui a donné lieu à un épisode entier.

Bien sûr, vos notes vont rapidement couvrir de nombreuses pages et la plupart d’entre elles ne figureront pas dans votre histoire. Gardez-les cependant précieusement. Elles vous serviront pour d’autres projets.

Lors du tout premier contact, n’entrez pas immédiatement dans le vif du sujet. Faites connaissance avec votre interlocuteur. Ce n’est pas lors de cette toute première approche que vous obtiendrez les détails que vous recherchez. Et rappelez-vous que vous ne savez pas ce que vous recherchez.

Prenez le temps d’installer la confiance. Et si vous parvenez à établir une relation, vous pourrez communiquer ensuite par mail ou par téléphone.

Comment obtenir le détail ? A un moment, vous sentirez que vous pouvez être direct. Aaron Sorkin demande simplement : dites-moi quelque chose que je ne sais pas.

Parmi toutes les notes, trouver celles qui pourront être utilisées dans l’histoire ne sont pas celles qui décrivent une situation mais plutôt celles qui mettent dans une situation problématique le personnage.

Ce n’est pas le fait qu’il faut rechercher mais plutôt comment un ou plusieurs personnages se retrouvent jetés dans une situation conflictuelle. Considérons une série d’événements :

  1. Une rencontre. Quelque chose nous dit que ces deux-là vont connaître une histoire d’amour mais la distance ou les circonstances ne cessent de les éloigner l’un de l’autre.
  2. Ayant réussi à vaincre les obstacles qui les empêchaient de se rapprocher, nos deux tourtereaux mènent une vie de couple plutôt heureuse.
  3. Un enfant arrive. Mais sa présence est mal vécue par l’un des deux et une séparation s’ensuit.

Nous avons trois événements que nous pouvons documenter par des péripéties. Dépeindre ces événements n’est pas en soi dramatique. Ce qui importe, ce seront les réactions des personnages, leurs comportements, leurs réponses à ces événements.
Le détail qu’il faut alors trouver, c’est celui qui va permettre d’inventer une scène qui explique les décisions prises et non pas tant les conséquences qui en découlent.

La vérité du détail

La valeur d’un détail, ce qu’il fait qu’il sera retenu comme appartenant au tout de l’histoire, est la vérité qu’il contient. Cette vérité est presque comme une intuition. Il est difficile de l’expliquer. Elle consiste à choisir ce qu’il va être montré.

Lorsqu’on écrit une scène, une infinité d’options s’ouvre pour l’auteur. Voici ce que dit Victor Hugo :
Quand on sait voir, on retrouve l’esprit d’un siècle et la physionomie d’un roi jusque dans un marteau de porte.

Il ne s’agit pas de découvrir le détail qui ajoute du réalisme mais de lier ce détail à l’intention de la scène. Si nous désirons montrer l’état d’esprit d’un personnage concoctant sa vengeance après une humiliation, nous pourrions vouloir accompagner cette action d’une sorte de frénésie pour marquer que le personnage ne raisonne plus mais est emporté par une passion dévorante.
La perte de contrôle de lui-même qui est une sorte de négation de la culpabilité qu’il ressent pourrait alors se montrer dans le fait qu’il allume cigarette sur cigarette.

Le détail devient porteur de sens. Il est soumis à l’interprétation du lecteur. Gardez en tête que l’on n’écrit pas pour soi mais pour un lecteur. Le détail fonctionne comme un symbole que le lecteur par association (par ses expériences ou les conventions) reliera à la signification de la scène.

On peut aussi le considérer comme la trace de quelque chose. Ainsi, le détail est vecteur de sens. Un simple détail et c’est tout le point de vue de la scène qui changera dans l’esprit du lecteur. Par exemple, un personnage est en train de mourir mais l’auteur ne souhaite pas montrer effectivement les derniers moments de son personnage. Mais il ne désire pas non plus laisser un doute sur le devenir de ce personnage. Comment peut-il alors concilier son intention avec un détail ?

L’heure de la mort peut être un bon indice visuel. L’aurore, par exemple, ne se prête pas à une telle signification.
Un des personnages qui a assisté aux derniers instants pourrait sortir de la pièce et son regard pourrait répondre aux regards interrogateurs d’autres personnages. La vérité du détail est un indice qui communiquera une information parce que celle-ci explique et permet de comprendre ce que l’auteur a à dire.

La trahison du détail

L’auteur peut être confronté à un sérieux problème. Le choix des options qui s’ouvre devant lui risque de noyer le sens. A force d’ajouter des détails ici et là, l’auteur se disperse et le détail devient insignifiant, ornemental, gratuit ou étrangement trop réel.

Car ce n’est pas la réalité d’un geste qui doit être recherchée mais sa participation au tout qu’il aide à structurer.