La structure du scénario et aristote

Par William Potillion @scenarmag

Passons à la troisième partie de notre article commencé ici :
LA STRUCTURE DU SCÉNARIO ET ARISTOTE

Voyons comment Aristote considère ce que nous sommes bien obligés d’appeler une intrigue secondaire.

IV. L’épisode est une partie complète en elle-même de la tragédie, placée entre les chants complets du chœur.
CHAPITRE XII: Divisions de la tragédie.

X. Parmi les fables et les actions simples, les plus mauvaises sont les épisodiques ; or j’entends par « fable épisodique» celle où la succession des épisodes ne serait conforme ni à la vraisemblance, ni à la nécessité. Des actions de cette nature sont conçues par les mauvais poètes en raison de leur propre goût, et, par les bons, pour condescendre à celui des acteurs. En effet, composant des pièces destinées aux concours [cela a rapport à l’origine des tragédies grecques qui étaient représentées dans le cadre de concours dramatiques en l’honneur de Dionysos. Cette tradition s’est perpétuée de nos jours (surtout dans le domaine du scénario, d’ailleurs) en s’ornant d’atours néanmoins plus modernes], développant le sujet au-delà de l’étendue possible, ils sont forcés de rompre la suite de l’action.
CHAPITRE IX: Comparaison de l’histoire et de la poésie. – De l’élément historique dans le drame. – Abus des épisodes dons le drame. De la péripétie (34), considérée comme moyen dramatique

L’intrigue secondaire n’est pas une mauvaise chose en soi si elle est utilisée à éclairer l’intrigue principale. Je vous conseille la lecture de cet article à ce sujet :
DU BON USAGE DE L’INTRIGUE SECONDAIRE

Ce que cherche à dire Aristote, en somme, est de ne pas digresser. Considérons American Beauty. On pourrait croire qu’en effet, l’histoire part dans tous les sens. Et pourtant, il existe bien une structure unifiée.

American Beauty

A quoi correspond cette structure unifiée, ce tout de American Beauty ?

La prémisse pourrait s’énoncer ainsi : La perception de la beauté et l’effet qu’elle a sur les gens.

Et tous les personnages y participent à leur façon. Prenons Ricky par exemple. Il y a une scène où il montre à Jane la vidéo du Dancing Bag et lui dit qu’il a soudain réalisé qu’il y avait tant de beauté dans le monde qu’il a cru que son cœur allait éclater.

La perception de la beauté, le désir de la beauté, l’angoisse que le beau peut susciter en l’être humain : tout cela obsède l’idée qui fonde American Beauty.

Plus précisément, American Beauty utilise les informations fournies dans les intrigues secondaires (qui sont la description de relations particulières entre personnages) pour alimenter ce que vit Lester et pourquoi.

Il faut garder en tête qu’un auteur s’adresse à un lecteur (que cet auteur soit scénariste ou non). Dans American Beauty, le lecteur comprend assez vite ce qu’il se passe : un homme dans sa crise de la quarantaine s’amourache d’une adolescente.

Aristote reconnaît d’ailleurs que le lecteur/spectateur se saisit naturellement du setup, de la mise en place de l’histoire (ce qui est différent de sa mise en intrigue, plus complexe à appréhender). Néanmoins, les détails de cette situation, de cette idée fondamentale de l’histoire, ne peuvent être naturellement assumés par le lecteur/spectateur.

Celui-ci a donc besoin d’inférer les spécificités de la situation autrement (et l’intrigue secondaire est alors un bon moyen).

Pour comprendre l’attitude de Lester, ses décisions, ce qui le motive, le lecteur ira chercher l’information auprès des autres personnages (et le canal par lequel cette information transitera sera les intrigues secondaires).

Par exemple, on comprend facilement que le béguin de Lester pour Angela a pour cause l’échec de son propre mariage. Mais quelle est la nature de cet échec ? Qu’est-ce que Lester a perdu ? Qu’est-ce qui a causé cette crise ? Le lecteur ne peut le deviner parce qu’on nous entrons dans les détails de la vie d’un individu.

Que l’amour ne dure pas toujours est un énoncé facilement compréhensible, partagé par le plus grand nombre, ce qui lui confère une certaine universalité. Mais les raisons qui aboutissent à une séparation sont spécifiques à chaque couple.

On ne peut pas deviner ce que Lester a perdu et cette information doit nous être communiquée autrement. Ce sera par la relation entre Jane et Ricky que nous comprendrons que l’amour innocent qu’ils partagent est précisément un modèle de ce que Lester a perdu et auquel il aspire profondément.

Ricky lui-même représente cet esprit que Lester avait autrefois. Les scènes qui décrivent la relation entre Lester et Ricky aident le lecteur/spectateur à comprendre ce qu’il se passe chez Lester. Lorsqu’il achète de la drogue à Ricky, cela lui rappelle son adolescence tout comme lorsqu’il postule pour un emploi dans un fast-food.

Tous les incidents qui se produisent dans une histoire doivent communiquer sur la nature de ce qui cause (ou justifie) les actions des personnages. Et concernant le scénario, il faut le montrer et non se contenter de le dire.

Destin et destinée

XI. Mais comme l’imitation, dans la tragédie, ne porte pas seulement sur une action parfaite, mais encore sur des faits qui excitent la terreur et la pitié, et que ces sentiments naissent surtout lorsque les faits arrivent contre toute attente, et mieux encore lorsqu’ils sont amenés les uns par les autres, car, de cette façon, la surprise est plus vive que s’ils surviennent à l’improviste et par hasard, attendu que, parmi les choses fortuites, celle-là semblent les plus surprenantes qui paraissent produites comme à dessein (ainsi, par exemple, la statue de Mutys, à Argos, tua celui qui avait causé la mort de Mitys en tombant sur lui pendant qu’il la regardait, car il semblait que cet événement n’était pas un pur effet du hasard), il s’ensuit nécessairement que les fables conçues dans cet esprit sont les plus belles.
CHAPITRE IX: Comparaison de l’histoire et de la poésie. – De l’élément historique dans le drame. – Abus des épisodes dons le drame. De la péripétie (34), considérée comme moyen dramatique

La position d’Aristote sur le destin se lit dans Œdipe roi de Sophocle. On n’échappe pas à sa destinée quoi qu’on fasse pour l’éviter. Tous les efforts d’Œdipe pour éluder la prédiction de l’oracle (l’inceste et le parricide) le rapproche davantage de l’accomplissement de cette terrible destinée.

Pourtant, la plupart des événements dans Œdipe roi apparaissent être le fait du hasard. Mais au fur et à mesure que l’intrigue se déploie, il est évident que le hasard n’entre pas en jeu.

Œdipe rencontre effectivement sa destinée parce qu’il a négligé la prophétie. Ce qui apparaît être de pures coïncidences ne l’est pas. Tout concourt à la même signification. Et cette signification sera formée de coïncidences, de destinée, de nécessité et de probabilité.

Je vous donne rendez-vous dans le prochain article pour la suite.