Une Pluie sans Fin (2018) de Dong Yue

Premier long métrage du jeune réalisateur-scénariste Dong Yue, après ses études à l'Académie du Film de Pékin et après plusieurs années entant que chef opérateur. Le cinéaste a eu l'idée du film en 2013 après un reportage sur une ville délaissée et désoeuvrée du nord-est de la Chine après que ses usines aient été fermées : "Ebranlé j'ai eu envie d'écrire une histoire témoignant de l'atmosphère qui régnait en Chine avant les réformes majeures de la fin des années 90. A partir de là, j'ai fait pas mal de recherches sur la Chine de cette époque. Puis, je me suis entretenu avec bon nombre d'ouvriers, d'agents de sécurité et de policiers qui avaient connu cette époque. Je me suis aussi inspiré d'affaires criminelles, de romans et de films"... D'ailleurs le cinéaste avoue s'être inspiré de films comme "Sueurs Froides" (1956) de Alfred Hitchcock et "Conversations Secrètes" (1974) de Francis Ford Coppola. Peu de temps avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine (1997) on suit donc un agent de sécurité d'un usine qui tente d'aider la police malgré elle sur une enquête sur des meurtres atroces de jeunes filles des environs.

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Cet agent de sécurité, fan de la police, est incarné par Duan Yihong, méconnu en France mais on peut citer le film inédit chez nous, "The Dead End" (2015) de Cao Baoping tandis que sa belle dans le film est interprétée par l'actrice Jiang Yiyan vue dans "Le Règne des Assassins" (2010) de John Woo et Chao-Bin Su et "City of Life and Death" (2010) de Chuan Lu... Plus qu'un thriller donc le cinéaste a voulu témoigné d'un contexte géo-politique et social particulier, la rétrocession de Hon-Kong symbolisant une frontière entre passé et avenir comme il l'explique : "Pour la Chine communiste, la décennie 90 commence en 1989 et s'achève en 1997. Car après 1997, la société chinoise change d'époque : les grandes entreprises d'Etat ont subi des réformes économiques et plusieurs usines d'Etat, dont la productivité était faible, ont été fermées. De nombreux ouvriers qui pensaient que leur outil de travail leur appartenait ont dû quitter ces usines étatiques où ils avaient travaillé toute leur vie. Il leur a fallu accepter l'idée qu'ils étaient dès lors abandonnés par la société et par l'époque."... D'ailleurs, le réalisateur marque le coup en tournant son film dans la ville de Hengyang, dans la province de Hunan, qui a été autrefois un site industriel majeur... Pour accentuer cette fracture socio-politique le réalisateur a choisi une palette chromatique volontairement marron-gris avec en prime l'omniprésence de la pluie. Par contre, plus que les films sus-cités, ce film renvoie clairement au thriller "Seven" (1996) de David Fincher, de par l'importance de la pluie notamment mais aussi par cette longue séquence de poursuite dans l'usine et une gare.

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On peut citer également les films "Memories of Murder" (2003) de Bong Joon-Ho et "A Touch of Sin" (2013) de Jia Zhangke pour l'atmosphère et surtout pour l'évocation d'un pays en transition. L'ambiance poisseuse (météo et environnement industriel) donne effectivement une atmosphère pesante et de malaise ambiant. L'enquête reste finalement assez classique mais enrichit par cet amour du travail zèlé du "héros" qui reste une sorte d'icône communiste du travailleur plein d'abnégation et de loyauté. L'histoire d'amour est touchante sans pour autant empiété sur l'intrigue principale. Le scénario est marqué par un rebondissement et une révélation qui sont les deux atouts qui confirme ou non la valeur intrinsèque du film. Malheureusement le rebondissement s'avère être une mort aussi incompréhensive et stupide, comment justifier cet acte pour une raison aussi futile ?! Heureusement, la révélation finale permet de revenir intelligemment au propos de fond, reliant thriller et contexte historico-économique. Résultat, un film dense et riche sur l'aveuglement communiste... Un beau et bon film, parfois maladroit mais prenant qui a été notamment primé du Grand Prix au Festival du film policier de Beaune 2018.

Note :

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