Leto (2018) de Kirill Serebrennikov

Un des films évènements du dernier Festival de Cannes de par ses qualités intrinsèques mais aussi de par les soucis judiciaires de son réalisateur... Ce film russe est écrit et réalisé par Kirill Serebrennikov, méconnu chez nous à l'exception de son unique film sortie dans nos salles jusqu'ici avec "Le Disciple" (2016)... Leningrad au début des années 1980, alors que les disques de rock occidentaux s'échangent sous le manteau une nouvelle génération de musicien émerge et vont révolutionner le rock russe. Le film repose sur les biographies de Viktor Tsoi et Mike Naumenko, deux rockers russes icôniques morts trop jeunes. Cette émergence d'un renouveau du rock russe correspond avec la période de la Perestroïka sous l'impulsion de Gorbatchev. Serebrennikov précise : "Leto est une histoire de rock'n roll (...) dans un climat totalement hostile à la musique rock et aux influences occidentales (...). Notre histoire traite de la foi nécessaire pour surmonter ce contexte, et de l'insouciance de nos héros face aux restrictions dont ils ont hérité. Par dessous tout, cette histoire est celle d'un amour ingénu et inaltéré, comme une ode à ceux qui vont devenir des icônes du rock, à la façon dont ils vivaient et à l'air qu'ils respiraient"...

Leto (2018) de Kirill Serebrennikov

Les rôles principaux, Viktor Tsoi et Mike Naumenko sont respectivement incarnés par Roman Bilyk et Teo Yoo ; Bilyk étant lui-même rocker est également compositeur du film. On notera que Natalia Naumenko (dont l'autobiographie a été une source importante du réalisateur-scénariste) est jouée par Irina Starshenbaum... La première force du film réside dans l'idée de faire un parallèle entre la Perestroïka, période politique d'espérance, et la liberté qui semblait enfin à porter de main pour la jeune génération. Pour appuyer encore plus son propos le cinéaste crée un contraste saisissant entre le fond et la forme, d'abord en choisissant le Noir et Blanc ("La seule manière de raconter l'histoire de cette génération, puisque la notion de couleur n'est apparue que plus tard dans l'inconscient collectif russe." dixit le cinéaste), puis en choisissant de terminer le film sans assumer la fin tragique des deux rockers ("faire un film sur des gens qui étaient heureux, qui jouissaient d'une liberté de création totale malgré la pression des autorités. Ils faisaient de la musique, ils ne voyaient pas comment ne pas créer ainsi. Il leur aurait été contre-nature de faire autrement")... Serebrennikov signe une mise en scène inventive et inspirée avec des interludes parfois d'un onirique et rock, parfois plus mélancolique et nostalgique.

Leto (2018) de Kirill Serebrennikov

Malheureusement, ces interludes deviennent de plus en plus rares pour ne pas dire inexistants dans sa seconde moitié ce qui, tout à coup, rend le récit plus sage et une sensation de longueur apparait vers la fin. Dommage, si le cinéaste avait assumer jusqu'au bout ces interludes en interaction avec le spectateur le film aurait été plus "rock'n roll" dans tous le sens du terme... La promo du film fut un peu secoué par le bruit qu'à fait l'affaire de l'arrestation de Kirill Serebrennikov. En effet il fut arrêté (pour fraude et détournement de fonds publics) peu de temps avant la fin du tournage fin août 2017 et fut assigné à résidence. La fin du tournage pu être assurée grâce aux notes et répétitions préalables, le montage ayant pu être finalisé à domicile... Mais cette affaire a surtout fait parler grâce à la tribune mondiale que fournit le Festival de Cannes, où Serebrennikov était évidemment absent mais son équipe avait inscrit son nom sur des panneaux filmés par les médias du monde entier. En prime, le film fût primé du Prix Cannes Soundtrack de la meilleure musique... En conclusion Serebrennikov signe un film mélancolique et assez pessimiste malgré un réel fond rock'n roll et libertaire, un décalage voir un contraste qui offre une émotion assez unique. On frôle le chef d'oeuvre... A voir et à conseiller.

Note :

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