First Man

Par Ciné Maccro

First Man, drame biographique américain de 2018, réalisé par Damien Chazelle, avec Ryan Gosling, Claire Foy et Jason Clarke

Deux petites années après La La Land qui avait connu un incroyable succès critique, et quatre ans après s’être révélé avec Whiplash, Damien Chazelle retrouve Ryan Gosling et va tenter de se mettre à nouveau sur orbite en prenant le risque de changer radicalement de registre, pour un film qui s’annonçait comme charnière dans la filmographie du nouveau prodige d’Hollywood. Chazelle a-t-il eu raison de viser la Lune ou le défi était-il trop grand, le ramenant les deux pieds sur Terre ? Tentative de réponse en quelques points.

La première chose qui frappe lors du visionnage de First Man, c’est la volonté de Chazelle de se démarquer de ces deux précédentes oeuvres. Les éclairages esthétisés, les mouvements de caméra virtuoses et l’esthétique léchée de Whiplash et de La La Land laisse ici place à une volonté d’abord plus abrupte de montrer l’action. Si La La Land brillait par son côté aérien et ces nombreux plans larges, First Man pénètre lui beaucoup plus dans la sphère privée en choisissant d’aborder les personnages par des plans serrés étouffants, et une caméra parkinsonienne tout du moins dans le premier acte. C’est là déjà que l’on observe la première rupture chez Chazelle : quand Whiplash et (surtout) La La Land évoquait de jeunes adultes dont les rêves de gloire les rendaient prêt à tout, avant d’arriver à une chute douloureuse, First Man présente lui la vision d’un homme qui fuyait cette reconnaissance mondiale si soudaine et qu’il avait tout sauf recherchée. Plus qu’un film de rêve, First Man semble être un film de fuite : celle d’un homme toujours en retrait par rapport à l’extraordinaire destin qui l’attend, celle de sa famille qui ne supporte plus le poids de ce paternel et qui tente, comme elle peut, de s’en exonérer. Les seuls moments intimes où Chazelle, et son directeur de la photographie Linus Sandgren (qui a un sérieux problème de tremblements pendant une bonne partie du film), décident de rompre avec les plans serrés, c’est pour montrer Neil Armstrong et sa femme Janet, deux personnes au destin brisé (le choix de commencer le récit par la mort de Karen, tel un point de départ à une reconstruction, n’est d’ailleurs pas anodin), qui semblent être plus deux fantômes tentant désespérément de communiquer que deux véritables amants (il n’y a que deux scènes d’amour véritables entre les deux, et elles restent d’une froideur extrême). Dans ces deux rôles d’écorchés vifs, Ryan Gosling y retrouve un certain mètre étalon, dans un rôle qui semble être une version améliorée de sa partition dans Drive, tandis que Claire Foy (qui s’impose clairement comme une favorite à l’Oscar dans quelques moins) nous expose une palette intime mais en même temps terriblement vibrante, pour former un duo impeccable que Chazelle laisse volontiers s’exprimer, au gré du talent des deux acteurs.

C’est justement par ce contre-pied que le biopic de Chazelle trouve toute sa force et son décalage par rapport à la majorité des films du genre. En nous centrant sur l’humain pendant un bon moment, Chazelle donne une dimension beaucoup plus terre-à-terre aux grandioses scènes de l’espace. Plutôt que de surhumaniser Neil Armstrong et ses acolytes comme l’a fait l’Histoire, Chazelle prend le parti de montrer des êtres finalement faibles pour faire d’eux nos égaux, et ainsi nous emporter complètement par la conquête spatiale. En faisant de Neil un monsieur tout-le-monde, pas vraiment gâté pour lui, on en vient à se dire que nous sommes finalement un peu comme lui, et nous nous sentons alors un peu à notre place dans le cockpit du vaisseau, et nous permettant ainsi d’être concerné par toute la tension et la passion qui animent les astronautes. Outre la grandiose partition livrée par Justin Hurwitz, c’est le pouvoir émotionnel que ces scènes un peu lambda apportent au film et aux personnages qui rend les scènes d’espace aussi magistrales, et qui permettent à l’oeuvre de marquer férocement son spectateur. C’est en choisissant ce parti-pris que Chazelle va d’ailleurs insuffler à l’oeuvre sa dimension réflective, en nous questionnant sur l’idéalisation de personnes qui nous sont totalement étrangères. A l’heure d’un monde où tout va si vite, et dans lequel un illustre inconnu dont nous savons généralement très peu peut devenir tout d’un coup une célébrité planétaire (à un degré d’ampleur moindre, c’est un peu ce qui s’est passé avec Chazelle et son succès fulgurant sur ses deux précédentes oeuvres), Chazelle semble vouloir remettre au centre des choses l’être humain et montrer que la gloire demande souvent beaucoup de sacrifices, et ne rend pas nécéssairement plus heureux (cette réflexion est d’ailleurs déjà présente dans Whiplash et dans La La Land). C’est d’ailleurs en acmé de cette réflexion que Chazelle vient, dans la scène finale, nous livrer un des moments les plus forts mais aussi les plus symboliques de son oeuvre : doit-on choisir la famille ou la gloire ? Vaut-il mieux être aimé intensément par quelques personnes ou peu par beaucoup ? En choisissant de commencer son film par le deuil, Chazelle semble nous guider face à un chemin initiatique, celui de Neil Armstrong, mais pas celui que l’on connait tous : First Man n’est finalement pas l’histoire d’un astronaute moqué par ses compères et qui finira par obtenir, grâce son dévouement, la chance inouïe d’être le premier homme à poser le pied sur la Lune ; First Man est le portrait d’un homme brisé par la mort, chez sa fille comme chez ses amis, et qui va se jeter corps et âme dans son travail, au détriment de sa famille, pour finalement accomplir ce que l’on attend de lui et ainsi pouvoir retrouver sa place, morale et sociétale, après être allé au bout de son deuil.

En définitive, First Man est une oeuvre charnière dans la filmographie de Chazelle. En changeant de registre tout en conservant en filigrane ses thématiques propres, Chazelle prend un risque payant pour offrir une oeuvre plus sombre, porté notamment par un casting flamboyant et une BO magistrale. Si First Man semble moins tailler que ces prédécesseurs pour tout rafler, il semble quand même que le film montre la maturité de Chazelle après l’énorme succès de La La Land, mais aussi sa capacité à nous offrir autre chose qu’un film musical, le tout en nous livrant un des films les plus intenses et les plus grandioses de l’année.


Note

4.25/5

S’il n’est pas dénué de tous défauts, First Man s’impose néanmoins comme une oeuvre intense. Plus intime que grandiloquentes, First Man est la preuve que Damien Chazelle sait se mettre en danger pour nous prouver qu’il est définitivement l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération.


Bande-annonce :