Joint Security Area

Par Ciné Maccro

Joint Security Area, thriller sud-coréen de 2000, réalisé par Park Chan-wook, avec Song Kang-ho, Lee Byung-hun et Lee Young-ae

Comment exprimer la déchirure qui sépare son pays en deux tout en ne biaisant pas son propos pour un camp plutôt que l’autre ? C’est toute la problématique auquelle s’est confronté Park Chan-Wook en 2000 avec son deuxième film, Joint Security Area. Alors que La Rabbia ressort depuis quelques jours le film en version restaurée, l’occasion est donc trop belle de revenir sur cette oeuvre politique, pamphlet si important dans un contexte de décompression politique entre les deux Corée. Mais le film vaut-il vraiment le coup ? Tentative de réponse en quelques points.

Pour mesurer le poids qui reposait sur les épaules de Park Chan-wook, il faut tout d’abord reconsidérer le contexte politique de la production du film. Première oeuvre cinématographique à ne pas présenter les deux pays comme foncièrement ennemies, le film se fait au moment du sommet de Pyeongchang, où les deux dirigeants se rencontrent en juin 2000 (Joint Security Area sortira en septembre de la même année. Un tel contexte, loin de toute censure permet donc de présenter avant tout des êtres humains, frères de sang, et non des soldats à la solde d’un pouvoir. C’est justement là que Park Chan-Wook ouvre sa réflexion : en installant le spectateur dans une certaine zone de confort en lui présentant l’oeuvre auquel il s’attend, c’est-à-dire un thriller très politisé, le réalisateur cherche à renforcer le côté découverte du spectateur qui voit que, derrière le masque des illusions voulu par les régimes (mais pas que), se cache en vérité des hommes et des femmes avec leurs forces et leurs faiblesses. En effet, si Park cherche cet effet avec les soldats des deux camps, le procédé scénaristique marche aussi pour Sophie, major suisse enquêtrice, tout en jouant finement sur les codes. Si nos personnages sont présentés d’abord par leurs fonctions, l’évolution de ces derniers à nos yeux va différer : si Sophie part d’un postulat relativement positif pour terminer sur une note plus sombre, les soldats seront amenés à passer du rejet de la part des spectateurs à une certaine affection terminale, preuve en effet que le conflit est avant tout un jeu de dupes.

C’est d’ailleurs par ce prisme des apparences que Park va continuellement jouer pour dénoncer les ravages de la guerre, non pas de masse comme la plupart des films mais en se concentrant ici sur l’humain et sur la destruction personnelle. En actant son oeuvre autour d’un flashback central, le réalisateur joue sur les échelles de représentation pour montrer tout le processus minutieux et diabolique d’auto-destruction que va provoquer le conflit sur nos protagonistes. En tissant au fur et à mesure de l’oeuvre un lien affectif entre les personnages et le spectateur (Sophie dans un premier temps, puis les quatre soldats), Park va chercher à impliquer le plus possible le spectateur dans la décision que les protagonistes devront prendre : doivent-il sacrifier l’honneur de leur mission, assignée par une autorité assez floue et dure avec eux, pour une cause personnelle, de justice ou d’amitié ? C’est ce choix difficile que nos différents protagonistes effectueront chacun à leur manière et qui les amènera vers un destin plus ou moins funeste, preuve finalement que dans un conflit aussi réglé que celui-ci, le libre arbitre de chacun dicte leurs actions, en bien comme un mal. Et en plaçant cette notion de libre arbitre au sein de son troisième acte, Park cherche à démystifier, voir même à ridiculiser le conflit qui sépare les deux Corées, en montrant qu’avant tout cette ligne à Panmunjeom reste une séparation idéologique, séparation normalement psychique qui devient physique, plus qu’une confrontation de peuples.

En tournant en ridicule le conflit qui scie son pays en deux, Park Chan-Wook offre une oeuvre humaine majeure, portée par maîtrise parfaite, et qui résume en 1h30 tout le déchirement que subit la péninsule coréenne depuis 65 ans. Portée par un magnifique casting, Joint Security Area nous touche en plein coeur et nous montre que, sous l’image politique que l’on nous représente constamment, se cache avant tout des hommes et des femmes avec leurs histoires et leurs déchirures. Et rien que pour ce morceau d’histoire qui s’ouvre devant nos yeux, le film mérite amplement d’être vu par tous, l’occasion de la ressortie en salles étant une excuse parfaite pour une séance.


Note 

4/5

Pamphlet humaniste dénonciateur de la guerre, Joint Security Area s’avance comme le premier tour de force d’un Park Chan-Wook qui démontre ce qui constituera plus tard son cinéma. Une oeuvre touchante qui joue des processus scénaristiques pour impliquer au maximum le spectateur et lui faire vivre un moment de cinéma unique.


Bande-annonce :