SANS UN BRUIT : Le monde du silence ★★★☆☆

Le grand succès horrifique de cet été mérite-t-il la dithyrambe qui l’entoure ?

Dans le cadre d’une industrie américaine de plus en plus sclérosée par une taylorisation des blockbusters, le cinéma d’horreur continue d’étonner, et de créer des succès surprises désormais inspirés par la méthode florissante de Jason Blum. Un concept fort, une unité de lieu et de temps réduites, un budget limité : voilà tous les ingrédients d’une recette qui nécessite néanmoins que le producteur les use avec parcimonie, en laissant s’exprimer derrière les fourneaux un artiste avec une vision consistante (M. Night Shyamalan sur The Visit et Split, Fede Alvarez sur Don’t Breathe ou encore Jordan Peele sur Get Out) et non une serpillière risquant de vriller dans tous les sens et de se complaire dans ses contradictions (James DeMonaco avec la saga American Nightmare). En bref, le modèle de Blum House demande des cinéastes droits dans leurs bottes, avant tout désireux d’exploiter leurs contraintes comme une force, et comme une motivation pour utiliser au mieux les outils du médium cinématographique. Cette mise en avant de talents honnêtes et humbles fait forcément des envieux chez la concurrence, et c’est aujourd’hui Platinum Dunes, la boîte de production de Michael Bay, auparavant spécialisée dans des remakes lamentables de classiques de l’épouvante, qui se taille la part du lion avec Sans un bruit, phénomène Outre-Atlantique qui nous arrive avec une hype monstrueuse.

SANS UN BRUIT : Le monde du silence ★★★☆☆

Troisième long-métrage du réalisateur et acteur John Krasinski, ce dernier a la principale qualité de ne jamais prendre de haut son sujet ô combien excitant, ayant pour centre de gravité une famille américaine tentant de survivre dans une apocalypse où des monstres dotés d’une ouïe ultra-sensible ont décimé l’humanité. Posant intelligemment ses enjeux dans un prologue sans concessions, Sans un bruit se construit sur une note d’intention vivifiante, affirmant qu’il jouera avec son concept de la première à la dernière minute, sans aucun bout de gras ou digression gênante pour lui barrer la route. A l’heure d’un fantastique de plus en plus rationalisé et justifié, Krasinski ne s’embarrasse d’aucun sous-texte pseudo-intello ou d’une mythologie prémâchée. Son monde existe, et plutôt que de chercher à le légitimer, il nous immerge en son sein, avec sa caméra posée près de cette famille, en tant que témoin d’un monde à l’agonie dans lequel elle a appris à se façonner vaille que vaille un quotidien.

De ce simple postulat, le cinéaste assume avec humilité et ludisme qu’il réalise un pur film d’exploitation, et ce dans le sens le plus noble du terme, c’est-à-dire régi par des codes narratifs qu’il faut savoir maîtriser pour les exploiter avec force. En l’occurrence, Sans un bruit pêche parfois de ce côté-là, à cause de certains prétextes pas toujours finauds pour faire avancer son intrigue, quand ce ne sont pas des set-up/pay-off un peu trop évidents. Mais c’est aussi cette fragilité presque revendiquée qui permet au film d’engendrer une angoisse quasi-constante, en jouant avec les attentes du spectateur, qui sait pertinemment que tel élément ou telle péripétie va nécessairement tomber sur les personnages à la manière d’une fatalité divine. Cependant, son évidence ne l’empêche pas de surprendre par instants, notamment en ce qui concerne le modèle familial érigé par le métrage dans sa première partie, que d’aucuns résumeront à un retour décomplexé à un conservatisme triomphant, avec les femmes aux tâches ménagères et les hommes pour protéger le groupe. En réalité, Sans un bruit se montre bien plus fin, et déjoue pas mal de clichés à travers l’évolution de ses protagonistes, de façon à même dépolitiser l’ensemble de toute considération sociétale, pour qu’il ne reste qu’un humanisme porté par son dispositif. Nous faisons face à des corps contraints au silence, qui expriment comme ils peuvent leur amour pour l’autre. Rien de révolutionnaire en soi, mais la caméra de Krasinski transpire d’une envie évidente de cinéma, d’un découpage souvent réussi cherchant régulièrement la pureté du muet. Et même si sa réalisation n’est jamais aussi stratégique et jouissive que celle de Don’t Breathe (qui était plus extrême encore avec une démarche similaire), Sans un bruit est une proposition qui, bien qu’un peu surévaluée par son succès, le mérite très clairement.

Réalisé par John Krasinski, avec Emily Blunt, John Krasinski, Millicent Simmonds

Sortie le 20 juin 2018.