Taxi Driver

Taxi Driver, drame psychologique américain de 1976, réalisé par Martin Scorsese, avec Robert De Niro, Cybill Sheperd et Jodie Foster

Dans chaque carrière d’un immense réalisateurs, il y a un temps où ces derniers n’ont pas encore une notoriété internationale. Pour Scorsese, il y a clairement un avant et un après Taxi Driver. Palme d’Or 1976, il offre au monde la confirmation du potentiel du réalisateur américain, après Mean Streets trois ans auparavant. Mais Taxi Driver mérite-t-il véritablement sa réputation ? Tentative de réponse en quelques points.

Pour bien comprendre Taxi Driver, il faut tout d’abord revenir à la génèse du film par Paul Schrader, scénariste de l’oeuvre, et errant dans les rues de Los Angeles au moment d’écrire le scénario du film, qui se servira de sa propre expérience pour écrire son film comme une véritable catharsis de sa situation, faisant de Travis Bickle un miroir de lui-même. Car avant tout Taxi Driver raconte l’histoire d’un homme, Travis Bickle, ancien marine paumé qui erre dans New York au volant de son taxi. Un homme qui se cherche un lien à la société dont il se sent de plus en plus en marge. L’alcool et la dépression le pousse à aller se chercher des chimères dans des sphères sociales en inadéquation avec lui-même ; Palantine et Betsy, idoles d’un jour vont s’avérer être en fait des illusions sociales, des liens que Travis veut chercher à créer, pensant qu’ils lui permettront de se hisser plus haut que ces bas fonds qu’ils exècrent et de faire de lui un homme meilleur. C’est après s’être heurté au plafond de verre qu’il ira chercher dans ces maudits taudis humains que sont les réseaux de prostitution la force de s’accomplir vraiment en tant qu’homme. Si le résumé peut sembler simpliste, il révèle en vérité toute la finesse d’un véritable parcours d’initiation, parcours qui va transformer notre anti-héros d’un être passif, homme en puissance à un être actif, homme en acte. Une scène illustre d’ailleurs magnifiquement cette idée du passage : le fameux « Are you talking to me ? ». Face à son miroir et donc à lui-même, cette scène marque le véritable passage de Travis dans une espèce d’autre réalité qui va l’amener à accomplir son destin, et illustre l’introspection du personnage, qui semble s’adresser au lui d’autrefois qu’il s’apprête à enterrer définitivement. La passivité de Travis est d’ailleurs mis en valeur initialement, tel un prisme psychologique, par le caractère de Betsy et de ses compagnons, d’une froideur atroce qui rend le personnage presque inhumain et empêche un véritable attachement du spectateur, au contraire de celui d’Iris qui nous touchera par la suite bien plus. C’est en insufflant au fur et à mesure toute son humanité à l’oeuvre (cela bien aidé par la performance toute en finesse de De Niro) que Schrader délivre son message par l’écriture, et laisse à Scorsese le soin de magnifier ce dernier, celui qu’il vaut mieux sauver que détruire, soi-même ou autrui, et préférer l’humanisme à la superficialité.

Taxi Driver

Comment Scorsese s’y prend donc pour venir appuyer le message de Schrader ? En s’appuyant sur la même subtilité que son scénariste pour mettre en valeur le propos du film. En cherchant à filmer de la manière la plus frontale une Amérique en plein chamboulement (pour ne pas dire perdition), il ancre son film dans un cadre contextuel assez précis pour y immerger son spectateur et le faire réagir quant à la situation d’un pays qui semble véritablement aux abois. Outre l’idée que le personnage doive s’accomplir, Taxi Driver interroge aussi l’immobilisme de son pays, son incapacité à se renouveler et sa tendance à la décrépitude. En montrant les sales quartiers de New York comme un véritable bazar (et bordel) à ciel ouvert, Scorsese cherche à illustrer la déchéance d’une partie de l’Amérique, et l’inaptitude des politiciens (illustré subtilement par la scène de Palantine dans le taxi de Travis) à écouter la population et a réagir. C’est d’ailleurs assez justement que l’équipe travaille sur la couleur pour illustrer l’humanité de ces personnages, offrant à Betsy, Palantine et consorts des couleurs très froides et austères, où le blanc semble des plus omniprésents (et montrant que Travis fait tâche par sa couleur de taxi ou d’habits), alors qu’Iris elle est remplie de couleurs par ses vêtements comme par les pièces dans laquelle elle vit. Appuyé par la majestueuse composition de Bernard Herrmann, jazz symphonique au rythme lancinant qui accompagne les tribulations psychologiques de Travis, Scorsese veut pousser à mettre un grand coup de pied pour nettoyer ce dépotoir (comme le dit Travis à Palantine), et le film veut, en prisme de son personnage et de sa dernière scène, pousser l’Amérique à tourner le dos aux chimères et au culte de l’image pour se consacrer à nettoyer et à sauver l’humanité qui persiste dans le coeur des plus démunis, seule voie pour retrouver la paix intérieure. En proposant une vraie mise en abîme de l’Amérique, Scorsese et Schrader vont chercher à montrer qu’il sommeille en chacun de nous un Travis Bickle, et que nous pouvons réaliser chacun une action pour permettre le juste équilibre des choses et de s’accomplir soi-même, sans que cela ne fasse de nous des héros mais plus des êtres humains.

Taxi Driver

Véritable coup de pied dans un système qui se morfond sur lui-même, Taxi Driver est une ode à l’accomplissement de soi et à l’humanisme, doublé d’une formidable et subtile critique sociale. En proposant un film fin et millimétré, Scorsese offre la possibilité au spectateur de se dresser tout d’abord comme un compagnon de Travis avant d’y voir un certain modèle à suivre, cela malgré la brutalité de ses actions. Véritable coup de poing cinématographique, il fait rentrer Scorsese dans la cours des (très) grands, offrant un moment de cinéma qui se déguste sans modération et constitue une des Palme d’Or les plus incroyables de l’Histoire. Chef d’oeuvre, classique, Taxi Driver est définitivement un de ces films que chacun devrait voir au moins une fois dans sa vie.


Note

5/5

Palme d’Or de Martin Scorsese, Taxi Driver est avant tout une formidable fable humaniste doublé d’une subtile critique sociale, porté par le quatuor Scorsese/Schrader/De Niro/Herrmann de très haut niveau. Oeuvre culte et immense chef d’oeuvre, le film s’impose comme une immense claque cinématographique que chacun devrait avoir le droit de recevoir.


Bande-annonce :