Voyage en terre inconnue #4 – Haute Société (1956)

Par Ciné Maccro

Haute Société, film musical américain de 1956, réalisé par Charles Walters, avec Grace Kelly, Bing Crosby et Frank Sinatra

Bienvenue dans Voyage en terre inconnue, la chronique qui revient sur des films inconnus (ou presque) en France ! Aujourd’hui, pour le quatrième volet, revenons sur un film quelque peu oublié dans notre contrée, dernier oeuvre de la divine Grace Kelly, avec un casting de premier ordre : vous l’aurez compris, on va évoquer Haute Société !

Il est parfois bon de faire un retour dans le passé, ce dernier permettant le plus souvent d’apprendre pour construire notre futur. Si cela s’applique à la vie en général, le cinéma n’y échappe pas, tant une cinéphilie se construit par des expériences de toutes époques afin d’avoir le panel le plus large pour essayer de comprendre le cinéma. Alors qu’en 2017, le film musical a subi un retour inattendu et tonitruant sur le devant de la scène, avec principalement La La Land, mais aussi The Greatest Showman, l’occasion était trop belle de revenir sur un film un peu oublié, remake d’un film de George Cukor, avec deux immenses jazzman, une légende de la comédie musicale et une actrice incroyable devenue princesse. Comment résister à la tentation du visionnage ?

Dès le titre et l’affiche, Haute Société annonce la couleur, celle d’un triangle amoureux au coeur d’une dénonciation amère de la mondanité de cette classe supérieure. Si le triangle semble plus être un quatuor (en cause, la présence de George (John Lund), fiancé de Samantha (Grace Kelly)), Charles Walters prend le temps d’installer ses personnages dans un rôle social, une caricature d’une position qu’ils sont amenés à tenir tout du long. George est cet homme de la classe moyenne qui accède, un peu sans le vouloir, à la haute société sans réussir à s’y intégrer ; Mike (Frank Sinatra) est lui un journaliste d’investigation, jalousant un monde qui lui semblait inaccessible avant d’y prendre goût, tel un miroir de George ; Dexter (Bing Crosby) est ce mondain qui se veut simple dans l’esprit comme dans les actions pour reconquérir sa belle ; Samantha enfin, est l’archétype de cet enfant né avec une cuillère d’argent dans la bouche et qui se complaît dans cette situation. C’est assez habilement d’ailleurs que le réalisateur va, après les avoir installer aux yeux du spectateur, commencer à effriter de ces figures pour y faire passer son message. L’exemple le plus parlant restera sûrement le personnage de Grace Kelly, exposé comme une femme parfaite en tout point (caricature de la figure qu’elle était à ce moment-là ?), qui va progressivement s’effriter, comme si ce qui nous apparaissait en premier lieu était une couverture à une femme qui souffre d’une situation où elle n’arrive pas à s’incarner. Si le scénario est finalement assez classique et que le final, s’il est cohérent, gâche un peu le reste, le film reste une oeuvre douce amère, exposant les difficultés derrière les artifices de cette haute société où, par le culte de cette image de perfection, les hommes et les femmes ne s’expriment jamais pleinement.

Comment dénoncer ce bonheur apparent, cette relative opulence de la haute société ? Si nous avons employé plus haut le terme de « caricature », ce n’est par hasard, tant Walters va chercher continuellement l’excès. L’excès tout d’abord dans l’opulence du décor ou des costumes, raffiné au possible pour coller au plus près du cliché de la haute société, mais également, et cela est plus habile, dans la direction d’acteurs. L’exemple le plus parlant est encore une fois à venir chercher du côté de la formidable Grace Kelly, qui surjoue habilement pour rester juste dans son rôle, au point de perturber le spectateur. Si cela peut sembler maladroit, l’ambiance presque vaudevillesque du film vient justement appuyer sur le ridicule que ce monde apporte. En se refermant sur lui-même dans un mensonge et une superficialité ridicule, la haute société se tourne en ridicule et prouve que, derrière l’image de richesse qui en fait envier plus d’un (n’est-ce pas monsieur Sinatra ?), la réalité est plus écornée, moins enviable, le tout étant démontré donc par des simples décisions de mise en scène qui peuvent nous faire penser que le film est raté lorsque l’on ne saisit pas la substantifique moelle de la fine mise en scène de Walters.

Dès lors, quel message cherche à nous délivrer le film ? En dénonçant l’ambiance « m’as-tu vu », Haute Société cherche à nous délivrer une ode à la simplicité et à la gratuité des relations. C’est finalement ce qui oppose George de Dexter ; George, à trop vouloir s’intégrer dans ce monde d’artifice, en oublie presque son humanité et apparaît comme un être froid et antipathique, tandis que Dexter à l’inverse reste simple et humain face à Samantha, qu’il va pousser progressivement à briser son image de jeune première parfaite. Haute Société cherche à démontrer que le culte de l’image aboutira nécessairement à une impasse qui nous sera préjudiciable, et que l’humanité, aussi pure et simple soit-elle, gagnera toujours.

Haute Société, outre d’être une très bonne comédie musicale certes perfectible, reste avant tout une formidable fable sociale plus profonde qu’il n’y paraît, porté par un casting juste dans son message et pétri de talent, qui démontrera au spectateur que tricher avec ses émotions et ses sentiments ne peut ni plaire ni convaincre, et, par le prisme de l’opulence de cette haute société, qu’il vaut mieux être soi-même que se construire une image déshumanisante et déshumanisée qui ne finira que par nous porter préjudice. Un excellent moment de cinéma donc, qui démontre encore une fois que le septième art sait se transcender, que se soit dans les registres ou les époques.


Note 

4/5

Comédie musicale savoureuse couplée à une fable sociale plus fine qu’il n’y paraît, Haute Société est porté par un casting fantastique. Vrai moment de plaisir cinématographique, cela malgré un scénario classique et prévisible et un final un peu malvenu, Haute Société est typiquement ce genre de vieux film oublié qui ne mériterait que de revenir en lumière.


Bande-annonce :