[Cannes 2018] “Ayka” de Sergueï Dvortsevoy

aykaAyka porte bien son titre. La caméra de Sergueï Dvortsevoy ne quitte pas d’une semelle cette femme Kirghize qui se débat pour sa survie dans les rues enneigées de Moscou, cumulant les petits boulots pour essayer de se nourrir, de se payer un toit pour la nuit ou pour régler ses dettes. On fait sa connaissance dans la maternité d’un hôpital, où elle vient d’accoucher d’un enfant qu’on devine non-désiré. Elle s’enfuit à la première occasion, abandonnant derrière elle le nouveau né. On comprend qu’elle n’a pas trop le choix. Elle doit rembourser ses dettes et son séjour à l’hôpital lui a fait perdre de précieuses heures de travail. Alors, elle reprend son poste et met les bouchées doubles, en pure perte puisque le patron indélicat, une fois le travail effectué, oublie de payer ces employées non-déclarées…

Alors, elle cherche à trouver d’autres jobs, ne ménageant pas sa peine. Faire le ménage, déneiger les routes alors que la capitale russe connaît un épisode neigeux important, cela ne lui fait pas peur, même handicapée par une cicatrice de césarienne mal suturée. Elle ajuste le pansement, serre les dents et se bat, jusqu’au bout. Hélas, ces petits boulots ne sont pas suffisants, et les propositions d’emploi ne sont pas légion. On lui demande d’attendre la Coupe du Monde 2018 pour que des emplois soient disponibles, mais il faut attendre six mois et Ayka, pressée par les hommes de main des prêteurs sur gage ne dispose pas de ce temps. De toute façon, comme son titre de séjour arrive à expiration, elle ne pourrait prétendre à des emplois officiels, et rémunérés comme tels.

Pourtant, Ayka accepte sans broncher ces conditions de vie infâmes. Comme elle le dit à un moment du récit, elle ne veut pour rien au monde retourner au Kirghizistan vivre une vie de nomade ou de paysanne, comme ses proches. Si elle retourne au pays, c’est pour ouvrir une boutique de confection de vêtements. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle s’est endettée, pour acheter des machines à coudre lui permettant d’exercer ce métier.
Dvortsevoy filme au plus près le visage de Samal Yeslyamova, qui incarne avec conviction cette femme en souffrance, à la dérive, mais qui se bat avec l’énergie du désespoir. Il l’accompagne dans sa descente aux enfers, jusqu’à un choix final qui la condamne probablement. Mais ne vaut-il pas mieux mourir libre, fière et fidèle à ses valeurs que d’agoniser lentement, pour un gain d’espérance de vie minime?

Un tel sujet ne peut que nous toucher et nous faire réagir. Cependant, à cause des partis-pris radicaux de mise en scène, presque plus dans l’esprit des films de Brillante Mendoza que du cinéma des frères Dardenne, de cette caméra qui colle au personnage jusqu’à donner la nausée, de certains plans sursignifiants, Ayka s’avère plus éreintant que bouleversant . Il a aussi le malheur de passer entre le Capharnaüm déjà bien sordide de Nadine Labaki et Le Poirier savage de Nuri Bilge Ceylan, qui suit, trois heures durant, les errances d’un jeune misanthrope. En fin de festival, ça pique un peu…